Les Anciens Missionnaires de l’Acadie devant l’Histoire

Year
1910
Month
10
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13
Article Title
Les Anciens Missionnaires de l’Acadie devant l’Histoire
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1, 4, 5, 8
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Les Anciens Missionnaires de l’Acadie devant l’Histoire (Droits de reproduction réservés) AVANT-PROPOS Ce petit travail, qui n’a d’autres proportions que celles d’une brochure, est destiné à notre peuple. Nous avons voulu le faire court, l’écrire en style simple, le diviser d’une manière claire et méthodique, afin que les aspects de la question y exposée ne se confondent point dans l’esprit du lecteur. Il a pour objectif la réhabilitation de quelques anciens missionnaires de l’Acadie que plusieurs historiens mal informées ont représentées sous de fausses lumières. Aujourd’hui, malheureusement, la version de ces historiens fait école, non seulement dans les provinces anglaises du pays, mais chez un bon nombre de Canadiens ou d’Acadiens français. Pour l’honneur du ministère catholique et de ses premiers ouvriers dans les régions de l’Acadie, nous allons essayer de justifier la conduite des missionnaires que l’histoire a le plus incriminés. Les prêtres que l’ignorance des faits ou la mauvaise foi ont calomniés le plus sévèrement, surtout ceux du 18e siècle, furent, à notre sens, des hommes de la trempe des premiers apôtres du Christ. Ils ont subi, pour la cause du bien, presque toutes les persécutions que saint Paul dit avoir endurées au cours de son ministère, et leur courage n’a pas failli. La race dont ils ont éclairé et fortifié les âmes a donné ses preuves. En face de l’exil, de la déportation, de la perte des biens de ce monde, elle est restée aussi ferme, aussi inéblanlable que les premiers chrétiens devant les artifices et les persécutions ne Neron. Hommage et reconnaissances à ces anciens missionnaires! CHAPITRE PREMIER – OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES Dans les écoles anglaises et françaises du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Ecosse, des manuels d’Histoire du Canada ont enseigné, depuis de longues années, que le anciens missionnaires français missionnaires français de l’Acadie encouragèrent les Indiens, en maintes circonstances, à porter la torche incendiaire et le couteau de scalpe dans des bourgades ennemies ou dans de paisibles familles anglaises. En général, la grande histoire, écrite par les auteurs anglais, confirme, souvent par de longs détails, ces accusations diffamantes et mal fondées. Si les chroniqueurs et les conférenciers publics de notre siècle se bornaient à répéter cette seule accusation contre les anciens missionnaires, ce ne serait peut-être encore que demi-mal. Mais dans la grande histoire, dans celle où doivent nécessairement s’inspirer les professeurs d’universités, de collèges et les instituteurs, l’ancien clergé d’Acadie est taxé en bloc d’intolérance religieuse et de révolte ouverte contre les intendants ou les gouverneurs du pays. D’autres, un peu plus modérés, reconnaissent le zèle et le dévouement d’un certain nombre de missionnaires. Toutefois ils affirment témérairement, sans avoir étudié la question à toutes ses sources, que les prêtres de l’Acadie, surtout dans la première moitié du dix-huitième siècle, se livrèrent, par amour pour la France et en haine des Anglais, à des procédés politiques inexcusables et indignes de ministre sacrés et l’Evangile. D’après ces historiens, les anciens missionnaires de l’Acadie se complurent à lutter, avant la conquête de 1710, conter les hauts fonctionnaires français de l’Acadie, et, après la conquête anglaise, ils intriguèrent contre les gouverneurs anglais de la Nouvelle-Ecosse. Ils ajoutent que les papiers et les correspondances d’Etat, à Paris et à Londres, font foi de cette assertion. Faute d’être réfutées, ces erreurs s’accréditent fortement chez les Anglais et même parmi nos populations françaises. Il est urgent de les démasquer. Pour détruire les accusation de ce genre portées contre les missionnaires, nous avons tiré nos documents et nos preuves de source parfaitement authentiques. L’histoire ne s’invente pas. Néanmoins, il arrive souvent que l’historien qui ne se donne pas la peine d’aller à tous les foyers de renseignement, forme tout de même l’opinion publique, quoiqu’il ne reproduise, au sujet d’un fait ou de l’appréciation d’une époque, qu’une partie des documents qui ont été enregistrés par l’histoire. Il n’a présenté qu’un côté de la médaille, celui qui lui a été révélé, enseigné par les auteurs qu’il a consultés et étudiés, par les traditions de famille ou de la société qu’il a fréquentée depuis son enfance. Un historien consciencieux, digne de ce nom, doit chercher et exposer tous les aspects d’une question historique, scruter le pour et le contre, avant de passer finalement un jugement, surtout sur une question ou sur une période importante de l’histoire. Nos éclaircissements relativement à la conduite des missionnaires sont puisés en partie à de nombreux documents mis au jour par feu l’abbé Casgrain, docteur-es-lettres, membre de la Société Historique de Boston, professeur d’histoire à l’Université Laval de Québec, etc.; aux pièces justificatives fournies par les correspondances des prêtres de Saint-Sulpice et des Missions-Etrangères conservées en partie aux archives du Séminaire de Québec, du Collège de Montréal, et aux copies tirées par les employés des Archives fédérales, aux correspondances de la Marine et des Colonies, Paris. Afin que ces divers documents se détachent clairement les uns des autres, nous les rangeons, chacun à sa place, dans trois classes ou divisions principales. A chaque division nous consacrerons un chapitre. Le chapitre qui va suivre traitera des luttes dans la famille, c’est-à-dire des difficultés suscitées aux anciens missionnaires de l’Acadie, par les gouverneurs ou les fonctionnaires français du pays. Un autre chapitre exposera les malentendus qui s’élevèrent entre les missionnaires et les fonctionnaires ou les gouverneurs anglais, c’est-à-dire, les luttes contre l’ennemi. Le dernier chapitre démontrera la nécessité où se trouvaient les missionnaire d’accompagner les Sauvages dans leurs partis de guerre, afin d’en réprimer les désordres et les cruautés; en d’autres mots, il traitera des luttes contre la barbarie. Avant d’entrer en matière, il ne sera peut-être pas hors de propos de jeter un coup d’œil, pour l’intelligence de la situation, sur les différentes classes de missionnaires qui ont semé la parole de Dieu dans nos régions de l’Acadie, depuis la fondation de la colonie jusqu’à la conquête définitive de 1710, et même jusqu’ la déportation de 1755. Depuis la fondation de Port-Royal, en 1605, les missionnaires se sont succédés sans interruption, sur l’une ou l’autre des plages de l’Acadie. De 1605 à 1710, nous apercevons les Récollets, les Jésuites, les Capucins et les Pères Pénitents – environ quarante prêtres – qui parcourent nos rivières et traversent nos forêts, de la Baie des Chaleurs jusqu’à Poboncoup (Pubnico, N. E.) Dans la première moitié du dix-huitième siècle, depuis la conquête de 1710 jusqu’en 1755, pas moins de soixante prêtres s’occupèrent des missions de l’Acadie. Durant cette époque, ceux qui furent le plus en vue, par les postes d’honneur qu’ils occupèrent, furent les Sulpiciens et les prêtres des Missions-Etrangères. Il est vrai que, de 1676 à 1755, les Jésuites et les Récollets eurent toujours de zélés apôtres en Acadie, mais dans presque toute cette période, la plupart des travaux de l’apostolat, surtout autour de Port-Royal, furent confiés, de par la volonté du Roi de France, aux Sulpiciens et aux prêtres des Missions-Etrangères. Plus que les autres missionnaires, les prêtres de ces deux congrégations françaises ont été attaqués, calomniés sans merci par divers historiens de notre continent. Voici les principaux missionnaires Sulpiciens ou des Missions-Étrangères qui parurent en Acadie de 1670 à 1770, et dont les noms paraissent souvent dans l’histoire : Sulpiciens L’abbé Beaudoin, L’abbé Breslay L’abbé Chauvrelux, L’abbé Desenclaves, L’abbé De la Goudalie, L’abbé De Miniac, L’abbé D’Urfé, L’abbé Geoffroy, L’abbé Métivier, L’abbé Métivier, L’abbé Trouvé. Prêtres des Missions-Etrangères L’abbé Cassiet, L’abbé Gaulin, L’abbé Girard, L’abbé Le Loutre, L’abbé Maillard, L’abbé Maudoux, L’abbé Petit, L’abbé Saint-Poncy, L’abbé Thury. A cette époque, les Jésuites et les Récollets furent, eux aussi, blâmés par les hauts fonctionnaires français ou anglais du pays. Cependant, comme ils travaillèrent la plupart du temps chez les Sauvages ou exercèrent leur saint ministère dans des postes éloignés des centres administratifs, il y eut moins de récriminations adressées, à leur sujet, par vengeance, à la Cour d’Angleterre ou à celle de France. Avant d’entrer en matière, saluons, parmi les plus anciens missionnaires, le prête Aubry, de Paris, l’abbé Jesse Flesché qui baptisa Membertou et sa famille, les Pères jésuites Pierre Biard et Enemond Massé, le Père récollet Bernadin, qui périt seul, dans les bois, en 1623, en allant de Miscou à la rivière Saint Jean; le Père Ignace, de Paris, (1) qui a laissé plusieurs renseignements intéressants sur les missions de l’Acadie; P. Léonard de Chartres, capucin, qui fut supérieur des missions, à Port-Royal, et bénit l’union en mariage de Latour et Madame D’Aulnay. Il fut mis à mort par les Anglais, quelque temps après la prise de Port-Royal, en 1654. Nous voyons au fort Saint-Pierre, dans le district de Pénobscot (Maine), le Père Bernadin de Crépy que les Anglais emmenèrent prisonnier en Angleterre, en 1654. Au village de Saint-Pierre, (Compté de Richmond, Cap Breton), il y avait, à cette même époque, les Pères Augustin de Pontoise, les Frères Félix de Reims et Elzéar de Saint-Florentin. Tous ces religieux furent obligés de s’en retourner en France en 1655. A Népisiguit (Bathurst), apparaît l’auguste figure du Père Balthazar qui convertit un grand nombre d’Abénakis. A Port-Royal, ce sont les Pères Cosme de Mentes, Gabriel de Joinville, Pascal d’Auxerre, les Frères Didace de Liesse, Félix de Troyes qui, vers 1655, furent obligés de retourner en France, bannis par l’intolérance et la persécution anglaises. Nous pourrions noter parmi les Pères Jésuites injustement critiqués, de 1650 à 1730, les Pères Jacques et Vincent Bigot, Cahill et Rasle. Les attaques lancées contre les Récollets tombent le plus souvent sur les Pères Simon, René, Pain, Moulin et Jacques Dudrand. (2) Maintenant, que ceci soit bien noté. Les accusations des fonctionnaires de l’Etat contre les missionnaires de l’Acadie ont été enregistrées soit au ministère de la Marine et des Colonies, à Paris, ou au Public Record, Londres. Il n’est pas étonnant que ceux qui n’ont compulsé que les régistres de la Marine et des Colonies, à Paris, ou les cahiers du Public Record, à Londres, soient restés imbus de préjugés à l’endroit des missionnaires. Il fallait, avant de passer jugement sur ces ouvriers de Dieu, aller chercher les répliques faites à ces accusations intéressées, malveillantes et plus souvent entièrement fausses. Les réponses des missionnaires étaient adressées quelquefois à l’évêque de Québec ou à M. le Supérieur de Saint-Sulpice, Montréal, mais la plupart du temps elles étaient envoyées à Paris, aux supérieurs de Saint-Sulpice ou des Missions-Etrangères, les abbés Brisacier, Tronson, Couturier et Le Chassier. C’est de cette source qu’il est possible de tirer toutes les preuves voulves pour réhabiliter pleinement les missionnaires de l’Acadie. Afin de ne pas dépasser le cadre d’une brochure, nous nous efforcerons de condenser ces pièces justificatives dans les trois divisions ci-dessus spécifiées. CHAPITRE DEUXIÈME – ÉPREUVES DES MISSIONNAIRES SOUS LE RÉGIME FRANÇAIS Fitii mat is meae pugnaverunt contra me. Les fils de ma mère ont fait la lutte contre moi. (Can. I. C.) Depuis la naissance de la colonie française d’Acadie jusqu’à sa disparition presque complète en 1755, la population catholique de l’Acadie et du Golfe comprenait trois classes d’hommes plus ou moins distinctes : 1° les Sauvages, convertis, il est vrai, au christianisme, toutefois encore peu civilisés – indigènes gagnés à Dieu par des miracles de la grâce, par la prière de la Robe-Noire, mais demeurant toujours très attachés à leurs coutumes, à leurs usages barbares, même à quelques-uns de leurs anciens rites superstitieux ou païens; 2° Les pêcheurs nomades et les coureurs de bois, qui préféraient les aventures dans la forêt à la vie régulière des campagnes ou des villages; 3° les colons ou habitants qui s’occupaient à défricher la forêt, à travailler les terres et qui à l’année ronde, vivaient près du clocher de leur église. Cette dernière classe avait cure de ses devoirs religieux et de famille. Elle était remplie de foi et de respect envers l’Eglise et les ministres de ses autels. Par un travail dur, opiniâtre, ininterrompu, elle sanctifiait toutes ses journées, aux quatre saisons de l’année, et, à cause de son esprit de travail, d’ordre et de stabilité, elle formait réellement le groupe de résistance, en cas d’invasion. C’était, en un mot, l’avant-garde française au nord de l’Amérique. Par suite de leur existence nomade, les deux premières classes étaient difficiles à suivre et à diriger. Et par là même qu’elles échappaient à la direction de leurs aviseurs spirituels, elles subissaient, hélàs! Trop souvent l’influence néfaste de quelques fonctionnaires corrupteurs et corrompus. Presque à chaque page de notre histoire, nous voyons de pauvres Sauvages ou des coureurs de bois subir l’influence de certains officiers publics français nommés à leur poste par favoritisme et intrigue, et qui étaient plus soucieux de faire leur fortune particulière que de promouvoir les intérêts de l’Église ou de maintenir l’honneur et la gloire de la France au Nouveau-Monde. L’abbé Geoffroy (3) fut un des premiers missionnaires qui eut à souffrir de la part des fonctionnaires de l’Acadie. Il fut outragé, dit Casgrain, volé, pillé par des flibustiers; maltraité par certains officiers publics qui abusaient de leur position pour se livrer à de honteuses spéculations, à un commerce illicite aux dépens de la morale publique, pour vendre de l’eau-de-vie à flots, surtout aux Sauvages qu’ils ruinaient par là et abrutissaient. Et c’est à Port-Royal, plus qu’ailleurs, que ces mauvais traitements furent, presque dès l’origine de la colonie, le partage des ouvriers de la foi. Là les prêtres furent exposés à toutes sortes d’injures chaque fois que l’Acadie passa entre les mains d’aventuriers qui, loin de la défendre contre les Anglais, se disputaient entre eux les meilleurs postes de traite, négligeaient de restaurer les forts et s’en allaient laissant les ports ouverts aux pirates et aux envahisseurs de la Nouvelle-Angleterre. « Depuis 1680, nous dit M. de Menneval, gouverneur de l’Acadie, il existait à Port Royal un petit groupe de jeunes officiers bavards, malveillants, acrimonieux, qui assiégeaient le ministère de la Marine de récriminations assez peu fondées, afin de se donner quelque importance, d’obtenir un commandement, et, par ce moyen, la liberté de se livrer sans contrôle à un commerce véreux, à la traite à outrance et s’amasser une fortune par toutes sortes d’exactions et de moyens illicites ». N’y eût-il eu que les jeunes officiers à soumettre à l’ordre et à la raison, les missionnaires auraient pu faire respecter plus ou moins facilement les règlements et les lois de l’Eglise, mais que faire quand les gouverneurs comme François Perrot et de Villebon se mettaient de la partie? Evidemment, le scandale, devenue alors plus grave, exigeait de la part des missionnaires une désapprobation explicite, claire, complète. Et toutes les fois que, en vertu de leur charge, les prêtes de es régions condamnèrent les exactions et les moyens illicites dont parle le gouverneur de Menneval, ils se trouvèrent en face d’une opposition systématique organisée par la tourbe des intrigants que la convoitise du gain et de l’argent avait amenés et retenait en Acadie. Ceux-ci faisaient alors pleuvoir chez le gouverneur et l’évêque de Québec, plus souvent au ministère des Colonies, à Paris, les mémoires et les réquisitoires les plus exagérés, les plus injustes contre la prétendue ingérence des missionnaires. Examinons, par exemple la ligne de conduite du gouverneur Perrot. Perrot, comme on le sait, avait été gouverneur de Montréal, avant d’être nommé gouverneur de Port-Royal. Dans ce premier poste, il avait exercé ses fonctions d’une manière si indigne qu’il avait été révoqué de sa charge et emprisonné à Québec. De Québec il avait été transféré à la Bastille en France. Par considération pour son oncle, l’ancien intendant Talon, il fut enfin mis en liberté et, grâce à ces malheureuses influences de famille, fut envoyé gouverneur en Acadie. L’abbé Casgrain dit que Perrot fut à peine rendu à son nouveau poste, à Port-Royal, « qu’il s’engagea dans un commerce scandaleux de contrebande. On le vit même vendre de l’eau-de-vie à la pinte et au pot. Il monopolisa à son profit le commerce des pelleteries, vendit la pêche aux Anglais et fit tant de commerce interlope, ourdit tant d’intrigues secrètes avec les Anglais de Boston qu’il fut destitué de ses fonctions. » Les prêtres de Port-Royal avaient-ils donc si grand tort de s’élever contre la conduite criminelle d’un pareil gouverneur? M. de Menneval, qui lui succéda, était, au contraire, un gouverneur intègre, exemplaire. Il n’en fallut pas plus pour soulever contre lui tous les officiers subalternes avides de gain et de richesses que Perrot avait réunis autour de lui. Malheureusement, les gouverneurs avaient besoin de ces officiers, surtout en temps de guerre; car ils pouvaient être requis à chaque instant et pouvaient rendre de grands services. D’après les ordonnances royales, le commerce leur était interdit, mais il se gênaient peu depuis qu’ils avaient vu le gouverneur Perrot tenir un magasin à Port-Royal, accaparer toutes les branches du commerce, régler, de concert avec ses associés, le prix des achats et des ventes, envoyer comme coureurs de bois, embauchés à son service, les soldats que la France lui avait confiés pour fortifier sa garnison et défendre son fort. Monsieur le gouverneur Perrot ne fut pas le seul à donner l’exemple de lucre. M. de Villebon, qui fut gouverneur, de 1690 à 1701 – quoique excellent militaire, rempli de courage et d’énergie – se laissa, lui aussi, éblouir par cet appât du gain. Il encouragea la vente abusive et irrégulière de l’eau-de-vie, fit du commerce à temps et à contre-temps et usa de toutes sortes de représailles contre les missionnaires qui, par devoir, s’élevèrent quelquefois contre les abus dont certains trafics étaient la cause. « Tous les honnêtes gens, dit Casgrain, qui n’approuvaient pas ces désordres leur étaient odieux. Les mécontents, les repris de justice, les aventuriers – et il y a toujours de cette gente dans une colonie – se ralliaient aux coureurs de bois. C’est contre cette classe d’aventuriers sans foi ni loi, qui foisonnaient en Acadie, parce qu’ils y étaient loin de toutes les autorités supérieurs de Québec et de Louisbourg, contre ces officiers subalternes tels que Desgouttins, de Gargas, de Soulègre et contre des gouverneurs tels que Perrot et de Villebon que les missionnaires eurent à lutter pour sauvegarder les Acadiens et les Sauvages de la corruption et de toutes sortes de maux… Le caractère de la population n’était pas toujours apathique aux menées de ces aventuriers qu’un certain nombre écoutaient assez volontiers dans leur méfiance instinctive contre tout ce qui gênait leurs intérêts matériels. » Ceci explique le mécontentement, les amères correspondances de ceux qui écrivaient au ministre de la Marine et des Colonies contre l’abbé Geoffroy parce que ce dernier s’efforçait de réprimer les abus qui s’introduisaient dans les missions et d’orienter la ligne de conduite de ses ouailles. Lorsqu’ils faisaient parvenir au ministère de la Marine et des Colonies leurs plaintes de ce genre pour la plupart puériles, ces officiers se gardaient bien de faire allusion aux œuvres admirables de l’abbé Geoffroy. Ils n’ignoraient pourtant pas que ce jeune missionnaire avait fait construire en Acadie, à ses propres frais, c’est-à-dire avec ses biens de famille, des maisons d’école, qu’il les avait fournies de l’ameublement nécessaire, les visitait régulièrement et y donnait l’encouragement et les conseils voulus pour assurer le progrès de l’enseignement. C’est aussi le même abbé qui fut le premier à ouvrir des négociations avec les Filles de la Croix pour une fondation d’écoles de filles en Acadie. Par suite d’une déclaration de guerre et de la prise de Port-Royal, en 1690, par Phips, ces religieuses ne vinrent pas en Acadie pendant que l’abbé Geoffroy y exerçait le ministère, mais c’est lui qui eut le mérite de jeter les premières assises de la fondation des Sœurs de l’Institut de la Croix à Port-Royal, en 1701. M. Geoffroy quitta l’Acadie en 1692. « Il laissa après lui un excellent souvenir de son dévouement », dit l’abbé Casgrain. Plus tard, le gouverneur De Subercase fit des démarches réitérées auprès de M. Leschassier, supérieur de Saint-Sulpice, pour obtenir les services de M. Geoffroy dans l’intérêt des missions de Terreneuve. A cette époque, De Subercase était gouverneur de Plaisance et il voulait s’assurer le concours, pour la fondation d’un séminaire, de l’abbé Geoffroy « dont il connaissait, disait-il, le zèle et l’habileté. » Il suffit, du reste, de dire que le missionnaire Geoffroy, après son départ de l’Acadie, fut nommé curé de Laprairie, démontrer l’inanité des nombreuses plaintes portées contre lui au ministre des Colonies, à Paris, par ses ennemis de Port-Royal. Jusqu’à la fin de sa vie, il fut le grand architecte du diocèse de Québec. Il fit construire en pierre l’église de Champlain, bâtit les églises de Sorel, Contrecoeur et d’autres paroisses et rétablit, à Champlain, la mission que les Sœurs de la Congrégation y avaient eue autrefois. Le roi de France allait le récompenser de son zèle et de ses admirables services pour la religion quand le bon abbé fut appelé, en 1707, à l’inestimable récompense d’en haut. Son supérieur, M. Leschassier, écrivit au grand vicaire de Québec qui lui avait annoncé sa mort : « Nous avons bien regretté M. Geoffroy… Je crois que ce cher défunt joint maintenant de la récompense de ses travaux et de ses souffrances. » Après les mauvais traitements infligés à ce dernier missionnaires, voyons ce que l’histoire dit de l’abbé Trouvé. (4) Ce dernier était à peine installé, en 1688, dans la jeune paroisse de Beaubassin, qu’il se vit en butte aux embarras et aux désagréments les plus intolérables. Ce n’était pas, disent les chroniqueurs, la population agricole, toujours fidèle à ses devoirs, toujours accessible aux bons conseils, qui lui suscitait ces misères, mais bien le contrebandiers qui infestaient le pays, qui perdaient les Sauvages et cherchaient à pervertir les blancs. Plusieurs historiens, entre autres Kingsford, Hannay, Johnson, etc., ont relevé les calomnies colportées contre les abbés Trouvé et Geoffroy, inventées par l’esprit de vengeance, répandues par malice et adressés tantôt à Québec, tantôt à Versailles. En regard de ces libelles diffamatoires, ils auraient dû citer les rapports véridiques d’hommes désintéressés, comme de Menneval, etc., qui occupaient alors des positions honorables dans l’Etat. Ils auraient dû savoir que la vie et les actes du missionnaire zélé, activ, véritablement dévoué sont souvent mal interprétés et sévèrement critiqués par ceux dont ils combattent et réprouvent la mauvaise conduite. L’homme de Dieu, qui fait son devoir opportune, importune, comme dit saint Paul, doit faire face inévitablement aux malversations et à la malveillance de ceux dont il aura blâmé et condamné les désordres. Les fonctionnaires publics peu scrupuleux sont gênés par les préceptes et la discipline de l’Eglise. Ce qu’il faut à ces hommes, ce sont des prêtres inertes, sans énergie, sans talents, sans caractère, qui tolèrent les abus, qui laissent faire le mal, en faisant semblant de ne pas le voir. Quand des hommes d’Etat mal intentionnées, mal disposés peuvent trouver des curés de ce genre, ils sont contents; ils ont leur homme. Plus le gardien des âmes est muet, plus ils loueront sa prudence. Plus il est complice, pour ainsi dire, de leurs méfaits, plus il s’attire, pour l’heure actuelle, et par politique seulement, leur admiration extérieur, leurs sympathies apparentes, leurs bonnes grâces du moment. L’Acadie a eu, à son berceau, de ces missionnaires inertes et tolérant les abus. Nommons les abbés Brault, Vauquelin, Guay et Deschambault, hommes peu formés, inexpérimentés, mal équilibrés, qui sacrifièrent les préceptes de l’Evangile et la discipline de l’Eglise aux convoitises des accapareurs et à la cupidité des ladres de l’époque. Ils furent loués, dans des correspondances d’Etat; mais les bonnes âmes, le peuple demanda leur rappel. Leur nombre fut petit et leur règne fut court. Ils furent rappelés en France avant que les désordres sur lesquels ils fermaient les yeux n’eussent jeté de trop profondes racines dans le pays. Si, au contraire, le chargé des âmes est clairvoyant, inflexible en fait de doctrine et de discipline; s’il est intrépide dans ses exhortations, les citoyens mal intentionnés le détesterons et ne laisseront pas souvent d’inventer contre lui toutes sortes de mensonges et de calomnies. C’est ce qui arriva, en Acadie, au dix-huitième siècle. Les missionnaires de cette époque bravèrent les vengeances du pouvoir et ne surent pas faiblir devant leurs obligations. En agissant ainsi, ils obéissaient d’abord à Dieu, ensuite aux ordonnances réitérées du roi et des gouverneurs généraux de la colonie. (A continuer) (1) Voir, dans l’appendice, une lettre du R. P. Ignace, capucin, sur l’Acadie. Le lecteur verra le texte latin photographié sur l’original aux Archives de la Propagande, Rome, ainsi que la traduction française en regard. (2) Nous ne faisons pas l’histoire des anciens missionnaires de l’Acadie. Il s’agit seulement de justifier la conduite de ceux que eurent des difficultés avec les gouverneurs ou les officiers du pays et ceux que l’histoire incrimine à cause de leur incrimine à cause de leur influence auprès des Sauvages. Cependant, à la suite des missionnaires ci-dessus mentionnés, rappelons aussi les noms suivants : Prêtres séculiers ou de congrégations séculières : les abbés Barthélemy, Bergier, Biscaret, Brassard, Cassiet, Courtin, De Jarente, De Métivier, De Vailier, Dosque, Le Guerne, La Lanne, Laforce, Manach, Péronnel, etc. Prêtres réguliers, Récollets, Cordeliers et autres : les Pères Aubré, Cellin, Caulet, Dulonjon, De Kergariou, Du Buron, Flamant, Germain, Guégot, Kvielve, Lagrée, La Corne, Lemoigu, Lepage, Moireau, Moulin, Patin, Raoul, etc. (3) L’abbé Louis Geoffroy naquit à Paris, vers l’année 1661. Il fut élevé au séminaire des Trente-Trois. Cette institution, ainsi nommé en l’honneur des trente trois années que Jésus-Christ passa sur la terre, avait été fondée par Claude Bernard, dit le « pauvre prêtre ». On y recevait trente trois étudiants auxquels la reine Anne d’Autriche assura trente trois livres de pain par jour Il fut ordonné prête à Paris, par Mgr de Laval, en 1685, entra dans la compagnie de Saint-Sulpice, la même année, et vint en Acadie où il exerça le ministère en plusieurs lieux, mais surtout à Port-Royal. Il passa la dernière partie de sa vie au Canada, où Mgr de Saint-Vallier le nomma desservant des deux missions de Champlain et de Batiscan et en même temps vicaire général pour toutes les paroisses rurales du diocèse. Il mourut à l’Hotel-Dieu de Québec, en 1707. (4) L’abbé Trouvé, Sulpicien, naquit en Tourain d’une famille riche, vers 1644. Ordonné prêtre, à Québec, en 1688, par Mgr. de Laval, il fut supérieur, durant douze ans, d’une mission sulpicienne qui faisait du ministère près du lac Ontario. Il passa en France, fut curé et chanoine dans le diocèse de Tours, revient au Canada, passa en Acadie en 1688, et alla se fixer à Beaubassin (Amherst). Il fut, pour ainsi dire, le premier organisateur résident de cette mission. Beaubassin a été la paroisse-même de Memramcook. C’est de ce centre (illisible), vers la fin du dix-septième siècle, les abbés Petit, Trouvé et Beaudoin rayonnaient pour visiter tour à tour Chépoudy, Memramcook et Petitcodiac où il y avait, ici et là, quelques postes occupés par des pêcheurs ou par des employés au commerce des fourrures.