Une visite a Port Royal

Newspaper
Year
1888
Month
5
Day
30
Article Title
Une visite a Port Royal
Author
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Page Number
2
Article Type
Language
Article Contents
UNE VISITE A PORT ROYAL Enfin un jour de fête nous a fourni les loisirs d’une courte visite à travers le vieux et mélancolique fort qui a retenti jadis du bruit assourdissant de la mitraille, où le canon acadien répondait éloquemment aux canons de l’Angleterre. Ces reliques du passé n’ont pas péri de vétusté; elles sont là comme autrefois, et leur language muet éveille des souvenirs de la période la plus tourmentée de notre histoire à tout acadien que le hasard jette sur ces bords où la tristesse des anciens jours semble encore régner. La verdure couvre ces murailles qui révèlent l’intelligence dont étaient doués nos malheureux ancêtres; et dans l’enceinte d’une de ces ambuscades antiques existe encore la poudrière qui est probablement l’œuvre de Lawrence et de ses compagnons. La voûte de cette poudrière est couverte de signatures, noms des visiteurs que la curiosité ou l’intérêt ont conduits au sein de ce monument d’un autre âge. Ce vieux fort est la propriété du gouvernement anglais, et sa voix parle seule aux descendants d’une héroïque poignée de martyrs. De l’opinion d’ingénieurs anglais et autres, ce fort, œuvre des Acadiens du siècle dernier, est le plus systématiquement construit de l’Amérique, ce qui prouve que nos pères n’étaient pas ignorants des secrets de la stratégie. Nous avons vu ce fort, et, tout en en savourant la structure des yeux, nous n’avons pu nous empêcher de penser à Voltaire. Ce banni de la cour du roi de Prusse comparait le Canada à quelques arpents de neige, et pour avoir été mal renseigné sur la vérité historique nous croyions voir dans ces reliques quelques vestiges d’un travail de peu d’importance; le contraire existe : nous avons vu, non sans surprise, l'œuvre du génie de l’homme d’autrefois, un lieu qui fait le désespoir de notre plume et qui remplit notre âme d’amers souvenirs. Port Royal (connu aujourd’hui sous le nom d’Annapolis) est une charmante petite ville, bien située, et sous le rapport climatologique elle est peut- être l’une des premières de l’Amérique. Si on nous demandait : est-elle prospère? nous répondrions : ses habitants ne sont pas absolument pauvres, son commerce n’est pas tout à fût stagnant, mais le nuage de la fortune ne semble pas flotter dans son beau ciel d’azur et de poésie.