Considérations sur le Caractère Acadien

Year
1910
Month
6
Day
30
Article Title
Considérations sur le Caractère Acadien
Author
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Page Number
6, 8
Article Type
Language
Article Contents
Considérations sur le Caractère Acadien Discours prononcé au Cercle Saint-Thomas le 1er mai 1910, par le président du Cercle, Jean Vautour. Révérend Père, Chers camarades, Thomas Haliburton, auteur canadien de la Nouvelle-Ecosse, reprochait à ses compatriotes un défaut qui, selon lui, était la cause de beaucoup de leurs insuccès. Ce reproche, il le met dans la bouche d’un de ses personnages que vous connaisse tous. Sam Slick, à qui l’on demandais son opinion sur les habitants de la Nouvelle-Ecosse, répondait dans son langage tout américain « They want pluck ». Ce reproche pourrait s’adresser avec plus de justesse encore aux Acadiens non seulement de la Nouvelle-Ecosse mais de partout. Et certainement si Sam Slick parcourait maintenant les centres acadiens de la Nouvelle-Ecosse, du Nouveau-Brunswick, de l’Ile du Prince Edouard ou des Etats-Unis, et que l’on viat lui demander son opinion sur ce peuple, il ne cesserait de répéter à ses interrogateurs : « They want pluck ». J’emploie ici l’expression même de Haliburton parce qu’il me semble difficile de rendre en français avec autant de brièveté et de force tout ce qui est exprimé par le mot anglais, à moins de dire : Ils not pas de toupet. Ces mots, en effet, caractérisent bien, je crois, le tempérament de l’Acadien. L’Acadien manque de cet esprit d’initiative qui pousse en avant et fait arriver au premier rang ceux qui en sont doués. Il manque je dirais presque de courage lorsqu’il se trouve en face des autres nationalités et il n’ose pas affirmer ses droits. Il semble qu’il se considère comme inférieur aux autres et qu’il a honte de lever la tête et de les regarder en face. Pourquoi? En quoi sommes-nous inférieurs? L’Acadie porte au front la palme du martyre, mais nous ne sommes pas des vaincus. Et de quoi avons-nous à rougir? De la France, notre vieille patrie? C’est la nation vaillante et généreuse, la nation de l’honneur, la nation des lettres et des sciences. Serait ce de nos ancêtres, de ces premiers Français qui sont venus s’établir en Acadie? De ce troupeau paisible qui vivait au bord du Bassin des Mines, dispersé un jour par le loup ravisseur? Chers camarades, nous n’avons pas à rougir, car ce sont là des héros, de véritables martyrs. Notre passé a pu être malheureux, mais il n’est obscurci par aucune tache de honte qui puisse retomber sur nous. Mais d’où vient donc alors cet esprit de l’Acadien qui semble toujours se faire petit au milieu des autres peuples qui l’entourent? Sans doute cela s’explique un peu par l’ensemble des circonstances qui président à la vie du peuple acadien. Leur nombre assez restreint, leur prospérité matérielle pas encore développée, leur instruction, ce vaste pays dans lequel ils sont dispersés au milieu d’étrangers, tout cela peut jeter un certain jour sur le caractère des Acadiens. Mais il me semble qu’il faut aller chercher plus loin l’origine de cet état d’esprit facile à constater. Ne serait ce pas le fruit de longues années de misères et de persécutions? Hélas! cela semble trop vrai. Il y a chez l’Acadien autre chose que ce sentiment qui naît de la conscience de notre faiblesse, de notre manque de ressources ou de notre défaut d’instructions. L’Acadien qui n’a pu être vaincu tout-à-fait a été affaibli par l’oppression. Ce jour qui a longtemps pesé sur lui a fini par user son énergie et user son courage. En butte à la persécution dès qu’il essayait de faire un pas en avant, il s’est habitué à laisser les autres marcher les premiers. Lui s’est contenté de suivre à distance. Et maintenant que des jours meilleurs se sont levés pour le peuple acadien, il semble qu’il ne peut plus se résoudre à affirmer son entité nationale. C’est d’ailleurs le résultat naturel de toute longue contrainte de la volonté. Voltaire disait : « Mentez, mentez sans cesse, il en restera toujours quelque chose ». L’oppression prolongée produit toujours sur la volonté ce que le mensonge réitéré finit par produire sur l’intelligence. Prenez un homme de volonté, tenez le asservi pendant longtemps, puis rendez-le à lui-même. Vous verrez que sa volonté aura été très affaiblie. Il ne saura plus se déterminer lui-même, et instinctivement il se mettra sous la conduite des autres. C’est ce qui est arrivé au peuple acadien. Dès son enfance, il a été opprimé par la volonté d’un plus fort que lui. Il a grandi dans cet état, et maintenant, au moment de son adolescence, où il pourrait jouir de sa liberté, il ne sait plus se séparer des autres peuples pour suivre sa propre voie. Heureusement, de nos jours, il y a du progrès sur ce point, beaucoup de progrès même. Les Acadiens s’éveillent et commencement à affirmer partout leur nationalité. Il y a maintenant des Acadiens qui remplissent les plus hautes positions et qui font vraiment honneur à notre race. Nous avons de nombreux représentants dans les chambres et au Sénat, et ils n’oublient pas la cause acadienne. Dans les lettres canadiennes le sénateur Poirier fait bonne figure. Partout naît un courant patriotique fortement alimenté par la Société L’Assomption. Toutes ces forces concentrées vers le même but ne peuvent qu’améliorer (illisible) condition du peuple acadien, et en bien des endroits les résultats obtenus sont un heureux présage pour notre avenir national. Je sais une petite ville où il y a dix ans, on se serait moqué de vous si jamais vous vous étiez avisé de parler français sur la rue. Maintenant, le français est en honneur tout comme l’anglais. A côté de médecins et d’avocats de langue anglaise, nous avons nos médecins et nos avocats acadiens. A côté du journal anglais, nous avons le nôtre qui ne cesse de lutter pour nos droits, notre langue et notre religion. Dans le commerce, les Acadiens ne sont pas moins avancés. Une banque française, sous la direction d’un Acadien, s’élève maintenant en face de la banque anglaise. Vous pouvez aller partout, parler français! Vous serez compris et on ne vous respectera pas moins. Il a suffi aux Acadiens de lever la tête et de combattre un peu pour qu’aussitôt on apprît à tenir compte d’eux, de leur race et de leur langue. Ce progrès va-t-il continuer? C’est à nous, c’est à nous, chers amis, de répondre à cette question, Vous avez du patriotisme; à la lecture de notre histoire, à ce récit si touchant de nos malheurs, n’avez-vous pas senti quelque chose passer dans tout votre être? N’avez-vous pas senti quelquefois vos jeunes cœurs s’émouvoir et battre au nom de la patrie? Eh bien! l’Acadie se relèvera. Car plus tard, vous serez les dirigeants dans notre pays. Vous serez au premier rang lorsqu’il faudra défendre notre religion, conserver notre langue et nos traditions, au premier rang pour réclamer nos droits et les défendre lorsqu’ils seront attaqués. Manquerez vous de courage? Je suis sur que non. L’instruction catholique et française que vous recevez ici, votre volonté formée par une éducation supérieure m’en donnent l’assurance. Vous qui devez donner l’exemple, vous n’enseignerez pas au peuple acadien à baisser la tête. Vous regarderez le ciel et bous monterez à l’Acadien l’étoile de Marie qui doit guider notre faible barque au milieu des dangers et des inquiétudes de la vie.