l'Assomption au Madawaska

Year
1909
Month
9
Day
23
Article Title
l'Assomption au Madawaska
Author
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Page Number
1, 8
Article Type
Language
Article Contents
L’ASSOMPTION AU MADAWASKA Conférence donnée le 15 Aout 1909, à Saint-Hilaire, par M. Joseph Saindon, élève finissant du Collège Sainte-Anne de Lapocatière. Monsieur le curé, Mesdames et Messieurs, C’est aujourd’hui le jour de l’Assomption, fête nationale des Acadiens. Je voudrais en ce jour faire revivre un peu du passé glorieux de nos aïeux afin de retremper votre patriotisme et vous inspirer par une connaissance plus intime de notre histoire, un plus grand amour pour notre malheureuse patrie qui fut longtemps persécutée et méconnue, mais qui s’avance aujourd’hui avec confiance, guidée par “l’Étoile de la mer, Stella maris.” Tout peuple qui a une histoire a aussi une mission, et Dieu veut qu’il réponde à cette mission, sinon il lui en demande dès ici-bas un compte sévère. Or un peuple ne peut être fidèle à sa mission qu’en préparant bien son avenir. Mais comment doit-il préparer son avenir? Par la connaissance de son passé, car le présent a ses racines dans le passé et pour bien connaître la situation et les besoins du temps présent il faut connaître ce qui a fait défaut dans le passé. Et puisqu’un peuple ne peut connaître son passé qu’en étudiant son histoire, l’étude de l’histoire est donc pour lui un devoir de la plus haute importance. Je ne chercherai pas à vous démontrer que le peuple acadien a une histoire et partant une mission. Tous ceux qui ont lu quelque peu les annales de la bravoure française en Amérique, savent que les plus belles et les plus glorieuses pages en ont été écrites sur le sol de l’Acadie, sur cette terre d’Evangéline que le voyageur ne peut aujourd’hui fouler sans éprouver de ces émotions profondes telles qu’en éprouvent ceux qui visitent les pays d’outre-mer, où survivent tous les souvenirs classiques de plusieurs siècles de gloire. C’est dire que notre histoire ne craint pas la comparaison avec celle des autres peuples, et nous devons en être fiers. Ce sont nos pères qui l’ont écrite à la pointe de leur épée, sur le champ de bataille, ou dans les sillons de leur sol arrosé de sueurs fécondes, et qui y ont mis le sceau de la souffrance et d’un sang généreux. Et nous, leurs fils, que ferons-nous pour nous rendre dignes d’eux? Suivrons-nous comme eux le sentier de l’honneur, de l’honnêteté et du devoir? Hélas! je le crains! La cause en est que les intérêts matériels, les jouissances et le plaisir ont acquis trop de prépondérance parmi nous. Le dévouement, l’abnégation, le courage, c’était bon pour les gens du 17e siècle! La planète a roulé depuis cette époque!! Allons, suivons le progrès, vivons et amusons-nous! Tel est le langage que nous entendons tous les jours. Oh! de grâce, n’allez pas grossir les rangs de ces jouisseurs! Regardez plus haut! Suivez l’exemple de nos ancêtres qui ne connurent jamais la richesse mais qui n’en étaient pas moins heureux que nous. Pour notre propre édification, faisons ensemble une petite excursion dans le passé de nos aïeux. Vous reviendrez, j’en suis sûr, enchanté de votre voyage, regrettant tout au plus de n’avoir eu pour guide qu’un aveugle. Il est vrai que je suis encore jeune pour m’imposer la tâche d’instruire les autres, mais je compte sur votre bienveillance. Un poète n’a-t-il pas dit : “A tous les cœurs bien nés que la patrie est chère!” Oui la patrie doit être chère à tous et nous devons bien l’aimer. Mais on aime aussi bien sa patrie à 20 ans qu’à 40 ans. Et quand on aime sa patrie, on lui veut du bien, on la voudrait mieux connue, plus grande et plus belle à mesure qu’elle vieillit sous le soleil du bon Dieu : “sub sole Domini!” Et voilà pourquoi, malgré ma jeunesse et mon inexpérience, je tâcherai de vous apprendre quelque chose de la patrie acadienne. Si je réussis, je pourrai au moins me rendre ce témoignage que j’ai bien mérité de la patrie, et je ne désire pas d’autre récompense. Le peuple acadien n’est pas un peuple qui est allé inscrire par ses conquêtes et sa puissance son nom au temple de la gloire. C’est un vaillant petit peuple que le malheur a bien souvent visité, mais que n ous retrouvons toujours plus fort que le malheur plus fier et plus confiant dans l’avenir, un peuple qui est né dans la misère et l’abandon, qui a grandi dans l’épreuve et qui s’est vu un jour dispersé aux quatre vents du ciel en fragments épars, mais qui a su résister à toutes les souffrances et à toutes les persécutions et se faire une place au soleil des nations. La lecture seule de son histoire nous fait verser des larmes sincères, et cependant les récits qu’elle nous donne sont encore au-dessus de la réalité. Pas un peuple n’a plus souffert, et comme il n’est rien de plus digne de sympathie et d’amour que la souffrance, nos sympathies et nos amours doivent aller au peuple acadien. Suivons donc ce petit peuple de héros, gravissons avec respect le sanglant calvaire où il est allé confesser sa foi nationale et religieuse, et si le passé nous montre des deuils navrants en nous reportant à une époque que nous remercions Dieu de ne pas avoir connue, nous verrons que le présent est plein de joies légitimes et que l’avenir porte des promesses et ces espérances immortelles. L’Acadie est née d’une pensée de patriotisme et de dévouement. Il y avait en France sous Henri IV de grands seigneurs mus par le patriotique pésir d’aller porter dans les pays nouveaux la semence féconde de leur race, de leur religion et de leur civilisation. Pendant que les autres peuples courent vers N. Monde enfièvrés par la soif de l’or ou par fanatisme religieux, il est beau de voir les colonisateurs français seuls montrer l’idée chevaleresque et désintéressée de la patrie qu’ils rêvent d’agrandir. Et voilà pourquoi la France en se retirant devant le vainqueur laissera une empreinte que celui-ci ne pourra jamais effacer, un esprit qu’il ne pourra jamais bannir. Telle fut l’idée de M. de Monts et de Poutrincourt en venant fonder Port Royal. Les premiers habitants qu’ils amenèrent partaient de Bretagne, de Touraine et de Normandie. La plume se refuse à décrire les difficultés que les premiers colons recontrèrent dans leur développement. La colonie tomba plusieurs fois meurtrie et sanglante, mais conservant encore au sein de ses glorieux débris un principe de vie qui la sauva de la destruction complète. C’est que nos ancêtres n’étaient pas des hommes ordinaires. Je décrirai d’abord brièvement les difficultés des commencements de la colonie pour appuyer davantage sur l’année du grand dérangement et pleurer sur ce lamentable holocauste d’un peuple qui n’avait commis d’autre faute que celle d’être fidèle à la France et à sa religion. Avez-vous déjà songé à la dose de courage qu’il a fallu à nos pères pour s’éloigner de leur pays et venir fonder sur cette terre d’Amérique le berceau d’une France nouvelle? Voyez ces hardis pionniers, bravant les fureurs de l’océan sur des vaisseaux souvent avariés, aborder aux rivages d’Acadie! Que de risques à courir, que de privations en perspective! Mais qu’importait tout cela! Ils avaient au cœur la vaillance, ils avaient au cœur le courage, cela leur suffisait! Ils durent tout créer à force de travail. Leur premier soin fut de faire un abattis au sein de la forêt et d’y bâtir des cabanes, “faites pièces sur pièces,” suivant le langage du temps. C’est là, dans ces mesures ouvertes à tous les vents, qu’ils souffrirent les intempéries d’un climat auquel ils n’étaient pas habitués et qui ne leur rappelait en rien leur doux ciel de France. Plus d’une fois peut-être ils regrettèrent la vieille patrie où ils avaient coulé des jours plus calmes et plus heureux, plus d’une fois leurs yeux s’emplirent de larmes amères et brûlantes; mais leur courage avait bien vite raison de ces défaillances, ils se remettaient plus âpres au travail et portaient en avant dans les terres, les bornes de leur domaine. Mais ils restaient dans l’isolement le plus complet, car ils ne pouvaient songer à établir des communications suivies avec les établissements de la Province de Québec. Pourtant cet échange d’amitié, de protection et de ressources avec leurs frères eût été pour eux si doux, si consolant, d’un si grand prix!... Il était donc écrit qu’ils boiraient jusqu’à la lie le calice de la souffrance et de l’abandon. Dieu multipliait des épreuves afin de les rendre plus forts aux jours de grande douleur! D’un autre côté, ils perdaient leurs gouverneurs au moment où leur présence était le plus nécessaire pour le développement agricole et commercial de la colonie. Mais comme dans toute mort il reste un principe de vie, la jeune Acadie se reprenait à revivre après chaque lambeau d’elle-même qu’on lui arrachait. Si du moins le missionnaire avait pu être toujours là pour les remplacer, mais le champ était beaucoup trop vaste pour le nombre des ouvriers. Ceux qui connaissent la piété et la foi des Acadiens savent quelle douleur ceux-ci durent éprouver plus d’une fois en se voyant privés des secours du missionnaire. Le prêtre était leur conseiller; il réglait leurs difficultés, les encourageait, les aidait de ses lumières, les dirigeait même dans leurs travaux. Il était pour eux un père : c’est dans son cœur ouvert à toutes les infortunes qu’ils allaient cacher leurs chagrins et raffermir leurs âmes. C’est dans son cœur qu’ils allaient apprendre à souffrir et à se résigner! Pressés par les besoins spirituels de leurs ouailles, ces missionnaires, seuls éducateurs à cette époque, ne purent répandre parmi les braves acadiens, les bienfaits de l’éducation, bâse essentielle de toute société bien organisée. Je ne pousserai pas plus loin l’énumération des difficultés qui entourèrent le berceau de l’Acadie française, j’ai hâte de vous montrer et de blâmer avec vous l’inexplicable et coupable indifférence de la France envers la petite colonie qu’elle venait de fonder. La cour de Versailles a eu bien des torts vis-a-vis de la Nouvelle France, mais nulle part l’impéritie et l’ingratitude de cette cour ne furent plus sensibles que sur cette terre acadienne toujours sacrifiée. On s’imaginait là bas qu’une colonie pouvait s’improviser comme un château de Versailles. Mais si on avait dépensé en Acadie seulement la moitié de ce que coûta ce château, on y compterait peut être aujourd’hui un million d’habitants au lieu de 150,000. La France n’encourageait pas assez l’émigration. C’est par ce moyen pourtant qu’elle se fut assuré des colonies prospères. Avec quelques milliers de colons, avec les hommes tués dans une seule bataille de Turenne et de Condé, elle aurait occupé fortement une grande partie de l’Amérique. “Elle aimait mieux, écrit Beaurioh Murdoch, elle aimait mieux se livrer à ses entreprises hasardeuses et faire la guerre, elle aimait mieux dépenser des millions de piastres et verser des torrents de sang humain pour des parcelles de territoire en Europe, tandis qu’elle perdait sa prépondérance en Amérique! Quel regret d’avoir perdu un monde qu’il aurait été si facile d’acquérir, un monde qui n’aurait coûté que les sueurs qui fertilisent les sillons et qui fondent aujourd’hui les Empires.” Puisque la France ne voulait pas débourser d’argent, elle aurait dû trouver d’autres moyens de soutenir les colonies. Il y aurait eu de grands profits à retirer du commerce des fourrures, mais elle ne se mettait pas en peine de procurer aux Acadiens les objets nécessaires aux échanges avec les Sauvages. Très souvent les habitants furent obligés de trafiquer avec les Anglais de la Nouvelle-Angleterre. “Cependant, remarque Rameau, le gouvernement français aurait voulu qu’ils eussent aimé mieux languir que d’avoir recours aux Anglais. On trouvait très choquant pour les convenances et les dignités de la cour de Versailles que les Acadiens n’attendissent pas pour manger que l’on voulait bien penser à eux.” “Périssent les colonies plutôt qu’un principe,” dit un vieil adage. Peut-être la France espérait-elle sans raison que les acadiens s’y conformeraient. Durant les premières années de la colonie, alors qu’on manquait de tout, le gouvernement français ne s’occupa guère d’envoyer aux habitants les grains de semence et les instruments nécessaires à la culture des champs. Ils durent eux-mêmes passer en France et acheter, malgré leur extrême pauvreté, ce qui leur était indispensable. A plusieurs reprises, ils se virent réduits à une telle nécessité qu’ils durent faire provision de racines pour l’hiver et se vêtir de peaux de bêtes. Voilà comment on récompensait leurs efforts. Tandis qu’en France on s’adonnait follement au plaisir, un vaillant petit peuple d’Amérique pleurait son abandon et demandait en suppliant quelques secours toujours refusés. Tandis qu’en France on s’étourdissait dans les fêtes mondaines, un brave petit peuple se débattait dans la misère et la souffrance. Tandis qu’en France on jetait sans compter des milliers et des milliers de francs à la recherche de vaines jouissances, un pauvre petit peuple montrait de faim, et ce petit peuple, c’était le peuple acadien, enfant de la vieille France, Glorieux rejeton issu du noble sang de la plus chevaleresque des nations. Et la mère-patrie fermait l’oreille à ses cris de détresse… La France devait payer cher cette imprévoyance. Et ce n’était pas assez de tous ces malheurs, Dieu ménagea au peuple acadien un autre genre d’obstacles qui faillirent le conduire au tombeau. La résistance héroïque qu’il déploya suffit pour immortaliser à jamais sa vaillance et faire l’admiration du monde entier. Les Anglais imitant les Français étaient passés en Amérique dès 1606 et s’étaient fixés dans le pays qu’on appela la Nouvelle-Angleterre. Le voisinage des Français inquiéta bientôt leur jalousie. Ils considèrent les postes acadiens, plus anciens que les leurs, comme un empiètement à la couronne britannique, comme si la terre n’avait été créée que pour eux. Jamais peuple n’a montré plus de bassesse et de cruauté, et c’est justice que l’histoire ait flétri sa honteuse cupidité. Ils se montrère en Acadie pour la première fois en 1613, neuf ans après sa fondation. Une petite flotille, commandée par Samuel Argall, vrai forban s’il en fut, fondit sur l’établissement de Saint Sauveur, et n’y laissa que des ruines. Après ce facile succès, Argal atteignit Port Royal. Tous les habitants confiants de rien et Port Royal fut pris par surprise. Cet acte inqualifiable, perpétré en temps de paix, met bien à jour la basse jalousie des Anglais. Ainsi donc, dès que les ressources dont on avait presque toujours manqué devinrent abondantes, l’ennemi les enleva ou les détruisit. Le traité de Saint-Germain-en-Laye confirma la France dans la possession de l’Acadie. En 1654 nouvelle attaque des Anglais. Toute la province tombe entre leurs mains, mais elle est rendue à la France en 1667 par le traité de Brida. Les orages arrachent les grands arbres, tandis que les jeunes arbrisseaux leur échappent. Ainsi la petite colonie continua à vivre à travers les vicissitudes de la fortune et les ouragans qui se déchaînaient contre elle. En 1690 et 1696 les acadiens subirent de désastreuses attaques de la part des Anglais. En 1704 la guerre recommença entre la France et l’Angleterre. A cette époque la population s’élevait à 1800 âmes. Encore dix années de paix et de travail, la population se fût élevée à 3 ou 4 000 âmes, et l’Acadie avec un peu de secours eût pu défier les efforts de la Nouvelle-Angleterre; mais les évènements, plus rapides que les progrès, se précipitaient et cette dernière guerre devait ravir à la France un des plus beaux fleurons de sa couronne. De 1704 à 1710 les anglais organisèrent trois ou quatre expéditions contre Port Royal, mais leurs efforts restèrent infructueux. Ces échecs successifs soulevèrent à Boston une émotion qui touchait à la furent : on s’était attendu à une conquête et l’on apprenait la nouvelle de plusieurs défaites. Les Bostonnais demandèrent des secours à l’Angleterre. De son côté, M. de Subercase, gouverneur de Port Royal, renouvelle à la France ses avertissements et ses demandes de renforts. On fut très surpris à la cour de France de voir avec quelle opiniâtreté les Acadiens, dix fois moins nombreux que leurs ennemis, repoussaient les invasions anglaises, on les en complimenta, mais sans se soqcier davantage de seconder leur courageuse résistance. Nicholson, commandant de la flotte anglaise, parut devant Port Royal le 24 septembre 1710. Sommé de se rendre, M. de Subercase répondit à Nicholson avec noblesse et fierté “de venir lui-même prendre les clefs du Fort,” digne réponse de celle que 30 ans auparavant, le fier Frontenac donnait aux Anglais par la bouche de ses canons. Mais la famine était dans le port, ses munitions étaient épuisées, et M. de Subercase fut obligé de capituler après 19 jours de résistance héroïque. Cette défense de Port Royal, contre un ennemi dix fois plus nombreux, est la plus glorieuse page de la bravoure acadienne. Le drapeau de la vieille monarchie salique allait donc disparaître à jamais de cette terre bénie de l’Acadie?... Pourtant, les pauvres Acadiens avaient aimé leur mère patrie. En dépit de son indifférence, en dépit de son abandon, ils avaient rêvé de lui donner une colonie forte et prospère, ils s’étaient bercés de l’espoir qu’elle viendrait tôt ou tard à leur secours, essuyer leurs sueurs et sécher leurs larmes, et dans cette pensée, ils avaient supporté toutes les fatigues, endure toutes les privations, donné toutes leurs sueurs; pour elle ils s’étaient battus comme des lions, pour elle ils avaient arrosé le sol de leur sang, et après tant de souffrances, et après tant d’héroïques sacrifices, leur rêves s’écroulaient, leurs espérances s’évanouissaient dans une glorieuse défaite dont ils n’espéraient plus jamais se relever! Comme leurs cœurs durent saigner en apprenant en 1713, que la mère-patrie les abandonnait à l’Angleterre par le honteux traité d’Utrecht. La France s’en allait mais Dieu restait avec eux. Ils étaient forts contre l’épreuve et ce coup, pourtant mortel, ne devait pas les abattre. Au moment où l’Acadie passait sous la domination anglaise on y comptait 2100 habitants. Cette population paraît bien minime au premier abord, mais quand on songe aux difficultés sans nombre et aux invasions que ces pauvres gens eurent à subir, on peut s’étonner de trouver un tel nombre d’habitants dans le pays. Le petit peuple acadien devient bien plus intéressant à étudier, plus digne de sympathie et d’admiration, quand on jette les yeux sur la suite de son histoire et sur le développement rapide qu’il prit malgré la conquête et la domination étrangère, jusqu’au jour où, victime d’une honteuse cupidité et d’une misérable brutalité, il fut arraché de son pays et dispersé au loin comme les feuilles d’un arbre emportées par une violente tempête. Cependant Dieu fit sortir de ses blessures mortelles un principe de vie qui fut le gage de sa résurrection. Par le traité d’Utrecht, les Acadiens passaient sous la couronne d’Angleterre. Une clause du traité leur garantissait le libre exercice de leur religion, une année de délai était accordée à ceux qui voudraient s’éloigner de la province. Mais les pauvres Acadiens pouvaient-ils se décider à laisser en des mains ennemies la terre qu’ils avaient eux-mêmes défrichée, qui leur avait coûté tant de souffrances et tant de labeurs? Non, la plupart aimaient mieux rester dans le pays et devenir sujets britanniques. Pour cela ils devaient prêter le serment d’allégeance appelé “serment du Test.” Ceux qui le prêtèrent y mirent la condition expresse qu’ils ne seraient jamais forcés à prendre les armes contre leurs frères les Canadiens. Ceci est à remarquer, car c’est de là que naîtront bien des difficultés, et les Anglais en prendront occasion pour les Anglais en prendront occasion pour accuser les Acadiens et justifier leurs honteuses déprédations. Ils se contiennent d’abord parce qu’ils ne se sentiront pas assez forts. Pendant l’année 1749, on vit débarquer dans le havre de Chibouctou 2544 colons, accompagnés d’une forte garnison. Jamais le gouvernement anglais n’avait tenté pareil essai, ni réalisé un tel effort. A partir de ce moment le gouverneur se rendit odieux par ses actes arbitraires. Il enleva aux Acadiens leurs armes sous prétexte qu’en refusant de se battre contre les Canadiens, ils manquaient de loyauté à la couronne britannique. Ce fut afin de mettre un terme à ces vexations que les Acadiens demandèrent l’autorisation de quitter la province. Ils comptaient bien obtenir cette permission, parce qu’un édit de la reine Anne leur avait garanti cette liberté sur le champ, ils se mirent à ouvrir un chemin du côté de la province de Québec. Cornwallis cria à la trahison, prétendit qu’on ouvrait ainsi une route à l’invasion canadienne et déclara que ceux qui s’éloigneraient ne pourraient emporter aucun de leurs effets et que leurs biens seraient confisqués. Les Acadiens protestèrent contre cette violation ouverte du traité de 1713 : on leur répondit en jetant leurs délégués en prison. Sur ces entrefaites, quelques habitants de Chignectou s’étant unis aux Canadiens contre les Anglais, ceux-ci en prirent occasion pour exiger le “serment du Test” dans toute sa rigueur. Ce serment était contraire à la foi catholique et méprisait les liens du sang. Les Acadiens aimèrent mieux s’exposer à toutes les persécutions que de le prêter. Cet acte, qualifié de fanatisme par les uns, de courage par les autres, n’en était pas moins un acte du plus pur héroïsme et de la plus entière générosité. Lawrence, gouverneur d’Halifax, l’infâme Lawrence qui n’attendait que le moment favorable pour consommer l’immolation brutale de cette vaillante petite race jugea l’occasion opportune. Les Acadiens devenaient nombreux, ils avaient de belles terres et des bestiaux, les Anglais jugèrent bon de leur voler ce butin. Voilà pourquoi ils résolurent de les étouffer ou plutôt de les anéantir à jamais. La véritable cause de cette honteuse et cruelle spoliation qui ternira à jamais le nom anglais et qui a malheureusement plus d’un pendant dans l’histoire de ce peuple, ce fut la convoitise. Le loup anglo saxon craignait que l’agneau acadien troublât son breuvage, bien que ce dernier bût a quelques centaines de milles plus loin, et l’histoire impartiale n’a pas craint d’affirmer que la cupidité fut le principal motif que le fit agir avec une férocité dont l’histoire du monde offre peu d’exemples. Lawrence en ces circonstances montra un astuce dont lui seul était capable. De sa propre autorité, il rédigea une longue proclamation qu’il prétendit émaner du Cabinet d’Angleterre, alors que celui-ci n’en savait rien et lui avait même recommandé la modération. Il remet cette proclamation entre les mains de Winslow et de Murray, ses lieutenants, avec l’injonction impérieuse d’exécuter ses ordres à la lettre. Vers la fin d’août 1755, Winslow jetait l’ancre devant Grand-Pré. Comme le missionnaire était absent, il fit enlever les vases sacrés de l’église qu’il transforma en arsenal et s’installa lui-même dans le presbytère. Autour de lui se déroulait une nature riante. Il se sentait dans une atmosphère de quiétude et d’honnêteté où tout rappelait le bonheur domestique et les joies champêtres. Des croisées du presbytère, il embrassait ce charmant paysage avec tout le mouvement rural qui l’animait. Dans son esprit, il s’établissait un contraste frappant entre cette douce scène pastorale et la scène de désespoir qu’il allait provoquer dans quelques jours. L’année fatale était arrivée, cette année pleine de deuils et de tristesses que les Acadiens ne désignent que sous du nom “d’année du grand derangement” et qu’ils ne peuvent rappeler sans verser des larmes. Murray et Winslow rédigèrent ensemble une courte proclamation ordonnant à tous les hommes de se rendre le vendredi suivant aux églises de Pisiquit et de Grand-Pré. Les Acadiens tombèrent dans cet infâme guet-apens. Ils répondirent sans défiance à l’appel de Winslow et le 5 septembre, à trois heures, 418 hommes se trouvaient réunis dans l’église seule de Grand-Pré. Winslow, le vil exécuteur des ordres d’un tyran, paraît dans le chœur entouré de ses officiers. Un anxieux silence se fait aussitôt dans cette foule de braves cultivateurs. Winslow gravit les degrés de l’autel, et là où l’on avait entendu que des paroles de paix et de salut, il lit de décret infâme qui condamne tout un peuple a l’exil, à la douleur, à la mort. “Je viens, dit il hypocritement, vous faire connaître les dernières ordonnances de sa majesté le roi d’Angleterre, commandant en ce pays par l’entremise de son Excellence Sir Charles Lawrence. Vos biens sont confisqués au bénéfice de la couronne, vous êtes ici les prisonniers du roi, et vous serez déportés dans d’autres provinces.” Un murmure d’indignation s’échappe du cœur blessé de cette foule prisonnière et ce murmure monte toujours comme le flot qui vient se briser au pied de l’église de Grand Pré. Mais voici qu’apparait Père Félicien. Il détache de sa poitrine la croix du missionnaire, l’élève haut, bien haut, et montre à ce peuple si plein de foi le divin Sauveur cloué en croix pour le salut de ceux mêmes qui l’outragent. Et vous, s’écrie-t-il, dans un élan de sublime éloquence, vous que j’ai guidés pendant 40 ans, vous pour qui j’ai tant souffert, parce que je vous aimais tant, avez-vous si tôt oublié la leçon d’amour?... A genoux, mes enfants, et répétons ensemble : “O Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font!” Les têtes s’inclinent pour recevoir sa bénédiction pour recevoir sa bénédiction, pendant que des sanglots avec des paroles de pardon s’échappent de ces rudes poitrines tantôt gonflées par la douleur et la colère. Murray avait opéré dans le même sens à Pisiquid. Il passa ses détenus vers Grand Pré. Craignant que les prisonniers n’envinssent à quelque acte de désespoir, Winslow résolut de presser le départ. Le 10 septembre 240 hommes furent enveloppés par un peloton de 80 soldats armés de pied en cap. Winslow commanda la marche vers le rivage au son du tambour. Jusque-là ils s’étaient soumis sans résistance, mais quand ils se virent violemment séparés de leurs familles, ils déclarèrent avec des cris menaçants qu’ils n’obéiraient pas. Les soldats croisèrent la baïonnette et marchèrent sur eux. Tous furent enfin jetés sur cinq vaisseaux de transport qui s’éloignèrent au milieu des adieux déchirants de la population en pleurs sur le rivage. Mais ce n’était là que le prélude du malheur. Dès le matin, le 8 octobre suivant (illisible) soldats entrèrent dans les maisons, en firent sortir tous ceux qu’ils y trouvèrent et les poussèrent vers le rivage. (a continuer)