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Les groupes nationaux
M. Oscar Havard publiait, il y a quelques semaines, dans le “Soleil de Paris, un fort vigoureux article sur l’Acadie et sur les misères sans nombre que nos frères acadiens ont endurés pour maintenir l’intégrité de leur race, de leur langue te de leurs coutumes. Et après avoir exprimé tout son étonnement à l’identité de ceux qui, dans le pays d’Evangéline, se font les adversaires implacables de la race et des institutions françaises, M. Havard s’écrie :
“Catholique de France, nous ne saurions rester indifférents à une aussi noble cause! Un jour viendra, - et ce jour n’est pas loin, - où, sur les rives du Saint-Laurent, Canadiens et Acadiens formeront un groupe de quinze millions d’hommes parlant notre langue. Eh bien! n’est-il pas nécessaire que, dès maintenant, nous favorisions non seulement de nos vœux, mais de toute notre influence, l’héroïque colonie qui veut, non sans raison, garder intacte sa langue – notre langue! – et résister aux manèges plus politiques que religieux d’un parti singulièrement oublieux de son histoire et de nos services?”
Paroles encourageantes, s’il en fut jamais, non seulement pour nos frères Acadiens, mais pour tout ce qu’il y a de français catholiques sur le continent américain. Car, malgré certaines déclamations intéressées où l’on fait beaucoup de bruit autour des sectaires du gouvernement français pour mieux oublier les catholiques de France, il reste indubitable que ces derniers jouissent encore de l’influence qu’ils ont gagnée dans l’Eglise par des siècles de dévouement et de travaux apostoliques. Le fait qu’au sein même de la persécution ils se maintiennent encore au premier rang des œuvres catholiques, que parmi leurs évêques les confesseurs se multiplient avec la même rapidité que les empiètements du Bloc contre le droit, que dans leurs diocèses surgissent les œuvres de reconstruction qui vont préparer les glorieux lendemains, montre qu’ils savent mériter plus que jamais cette affection séculaire qui est due à la “Fille ainée de l’Eglise.”
Et qu’une parole d’encouragement nous vienne des catholiques de France pour tous les rameaux de la race distribués, transplantés un peu partout dans l’univers, il y a la de quoi réconforter les plus abattus, de quoi retremper les courages les plus émoussés. Que cette mère sublime trouve encore dans son cœur abreuvé d’amertumes une parole d’affection pour ceux des siens qui, à l’étranger, luttent pour des idéaux qu’elle a sauvés elle-même a travers un siècle de révolution, pour une foi qu’elle doit maintenant défendre jusqu’au martyre chez elle après l’avoir promenée à travers le monde il y a dans ce fait, pour toutes les âmes catholiques et françaises, une leçon qu’on ne peut laisser passer inaperçue, une marque de tendresse à laquelle on ne peut refuser de répondre.
Plusieurs fois déjà avons-nous vu dans les journaux catholiques français des articles sympathiques aux groupes français d’Amérique. Jamais nous n’y avons encore rencontré cet appel vibrant aux catholiques de France que M. Havard vient de lancer en faveur des fils d’Evangéline.
Et si cet appel, pour nous, veut dire quelque chose, c’est qu’il nous invite à préparer résolument notre avenir à grouper nos efforts plus que nous ne l’avons jamais fait pour atteindre ce jour où sur le contient américain “15,000,000 d’hommes parleront notre langue.”
Nous avons déjà parlé de l’indifférence coupable de la province de Québec pour ceux de ses enfants qui ont établi leurs foyers en dehors de ses frontières bien qu’à ses côtés. Nous avons montré quels devoirs nous imposait le souci de notre expansion nationale.
A-t-on songé aux effets d’une solidarité étroite qui réunirait pour le bénéfice des grandes causes nationales toutes les forces françaises, et au besoin les forces latines, éparpillées dans les deux Amériques? Sans doute, la distance qui séparait les groupes a beaucoup contribué à les tenir dans l’ignorance les uns des autres. Mais le progrès moderne qui existe pour nous comme pour les autres, a renversé bien des barrières, repetissé bien des espaces, et nous pouvons déjà sentir vivre dans toutes ces artères d’idées que le télégraphe promène à travers le continent le sang vigoureux d’une civilisation et d’un idéal qui sont les nôtres.
Pour rappeler le conseil d’un jésuite patriote aux Franco-Américains, par-dessus les frontières, donnons-nous la main. Et dans cette étreinte ne voyons plus seulement les parents les plus rapprochés, acadiens, franco-américains ou canadiens d’Ontario, mais réunissons dans la fraternité commune français et acadiens de la Louisiane, français du Mexique, de l’Amérique Centrale du Brésil ou de la Corne d’Or. Travaillons à la fédération morale de tous les groupes de notre race sur le continent. Les moyens ne nous manquent pas. Cent journaux français, distribués de Québec à la Nouvelle Orléans et de Mexico à Sao Paulo deviendront, si nous le voulons, les apôtres de notre solidarité continentale.
Nous avons souvent songé aux surprises d’un congrès réunissant les représentants de tous les groupes français d’Amérique. Ce congrès ne serait peut-être pas possible en ce moment, et encore, pourquoi ne le serait-il pas?
Un rêve diront les gens pratiques. Peut-être. Ce fut un rêve également que la survivance de tous nos groupes dissé minés dans les deux hémisphères, que l’on vouait à une mort certaine et qui se retrouvent subitement après cinquante ans, après un siècle de luttes et d’efforts, chantant joyeusement la vie et l’espoir en des lendemains que l’on ne peut plus même mesurer.