Les ancêtres de feu l’honorable Sénateur Joseph Rosaire Thibaudeau

Year
1909
Month
7
Day
8
Article Title
Les ancêtres de feu l’honorable Sénateur Joseph Rosaire Thibaudeau
Author
Placide Gaudet
Page Number
01
Article Type
Language
Article Contents
Les ancêtres de feu l’honorable Sénateur Joseph Rosaire Thibaudeau Le regretté défunt, M. Joseph Rosaire Thibaudeau, sénateur pour la division de Rigaud, et shérif du district de Montréal, mort subitement, le mercredi matin, 16 courant à Montréal, n’était pas, comme disent La Patrie et la Presse, “originaire d’une ancienne famille française émigrée de France au temps de la révolution de 1789.” Pierre Thibodeau, aïeul du grand’père de feu l’honorable sénateur J. R. Thibaudeau, avait vu le jour en France, en 1631, et vint à l’Acadie vers 1650. Il se fixa à Port-Royal, où, en 1660, il épousa Jeanne Terriot, native de l’Acadie. Ce Thibodeau fut la tige de la famille acadienne de ce nom, tant dans les provinces maritimes, que dans la province de Québec, dans les Etats de la Nouvelle-Angleterre et en Louisiane. C’est le même dont parle M. Rameau de Saint Père au chapitre VI, tome I, d’Une colonie féodale. Voici l’extrait de son acte de sépulture : “Le 26e décembre de l’année mil sept cent quatre est décédé Pierre Thibaudeau âgé de quatre vingt ans, habitant et meunier au haut de la rivière de Port Royal au lieu appelé La prée Ronde, après avoir été muni des Sacrements, et a été enterré le 27 du susdit mois de la même année dans le cimetière de cette paroisse avec les cérémonies ordinaires par moy soussigné. “F. Justinien Durand, Récollet, curé du Port Royal. Sa femme décéda à Port Royal vint deux ans plus tard comme en fait foi la pièce suivante : “Le huit décembre mil sept cent vingt six j’ay inhumé le corps de Jeanne Tériau, femme de feu Pierre Tibeaudeau, habitant de la Paroisse de St. Jean-Baptiste, morte le sept du dit mois et an, après avoir reçu les sacrements de pénitence et d’extrême onction, âgée de quatre vingt sept ans. Témoins, Michel Tibaudeau, son fils, habitant de la dite paroisse de St Jean-Baptiste qui a signé avec moi et son autre fils Antoine Tibaudeau, aussi habitant de la dite paroisse de St Jean-Baptiste lequel a déclaré ne scavoir signer de ce interpellé suivant l’ordonnance. “Michel Tibeaudeaux “R. C. DeBreslay, curé.” L’âge donné dans chacun de ces actes de sépulture est inexacte. Pierre Thibodeau n’avait que 75 ans, à sa mort, et non 80; et Jeanne Terriot, sa femme, née en 1644, à Port Royal, était âgée de 82 ans et non 87, quand elle décéda. Autrefois, comme aujourd’hui, lorsqu’on enterrait des vieilles personnes on ne se faisait presque invariablement aucun scrupule de les vieillir de plusieurs années. Pierre Thibodeau et Jeanne Terriot eurent dix sept enfants dont un seul mourut au berceau. Les seiz autres se marièrent et eurent de nombreuses familles. Des sept fils deux eurent le même prénom : celui de Pierre. L’aîné de ceux-ci naquit en 1667, se maria en 1690 à Anne Marie Bourget et fut l’un des premiers de Pigiguit (aujourd’hui Windsor) au district des Mines. L’autre Pierre, né en 1676, épousa à Port-Royal, le 25 nov. 1706, Anne-Marie Aucoin, fille de Martin et de Marie Gaudet, de la Rivière-aux-Canards au bassin des Mines. Faits à noter : tous les fils du meunier de la Prée Ronde savaient signer à l’exception d’Antoine. Au bas de l’acte du mariage de Pierre Thibaudeau, le jeune, se trouvent les signatures suivantes : “Pierre Tibeaudeau” (l’époux), “(x) marque de l’épouse,” “DeGoutin (beau-frère de l’époux)” “Clode Tibeaudeau, (frère de l’époux)” “Pierre Godet, (ami et témoin de l’époux).” “F. Justinien Durand, Récollet, missionnaire.” Quatre ans après la célébration de ce mariage, c'est-à-dire le 16 octobre 1710, Subercase, gouverneur de l’Acadie, rendait à Francis Nicholson, colonel anglais, le fort de Port Royal qui en changea le nom en celui d’Annapolis Royal. A cette date Pierre Thibodeau et Anne Marie Aucoin avaient trois enfants, savoir : Marguerite, née 1er oct. 1707, et baptisée le lendemain; Paul, née 25 sept. 1708, et baptisé le lendemain, et Rose née 8 avril 1710 et baptisée le 8 juin suivant. Ces trois enfants naquirent à Port Royal où ils furent baptisés. Les nouveaux maîtres de Port-Royal ne tardèrent pas à montrer leur haine contre les missionnaires. En effet dans la première quinzaine du mois de janvier 1711, trois mois à peine après la reddition du fort ils s’emparèrent du Révérend Père Justinien Durand, curé de la paroisse de St-Jean-Baptiste de Port-Royal, et l’emmenèrent prisonnier à Boston, où il fut détenu jusqu’à la mi-décembre de la même année. Le premier acte, inscrit sur les régistres par ce missionnaire, après sa rentrée dans sa paroisse est un baptême, en date du 20 décembre 1711. Est-ce l’enlèvement du Père Durand ou les exactions imposées aux habitants par Samuel Vetch, premier gouverneur anglais de Port-Royal, qui portèrent Pierre Thibodeau à quitter temporairement son habitation avec sa femme et leurs trois jeunes enfants? C’est apparemment l’une de ces causes. Le 22 février 1712, Pierre Thibodeau fit baptiser à la Grand Prée, une fille du nom de Brigite, née le 21 oct. 1711, vraisemblement à la Rivière aux Canards, où il s’était refugié chez les parents de sa femme. Le ménage était encore à la Rivière-aux-Canards d’après une liste des habitants du district des Mines et du nombre de leurs enfants, faite à la Grand Prée, le 9 septembre 1714. D’après cette liste, Pierre Thibodeau, sa femme, avec leurs deux fils et trois filles étaient la Rivière-aux-Canards. Nous connaissons déjà les prénoms du fils aîné et des trois filles. Quant au fils cadet il se nommait Olivier et était né à la Rivière-aux-Canards, en 1713. Cet Olivier mourut de la picote à Québec en 1757, comme nous verrons plus loin. C’était un des petits-fils du meunier de la Prée Ronde et le bisaïeul de feu le regretté Sénateur J. R. Thibaudeau. Un autre enfant a dû naître à la Rivière-aux-Canards, en 1715, et c’est vraisemblablement l’année suivante, que Pierre Thibodeau et sa femme avec leurs six enfants retournèrent à Port-Royal, après une absence de cinq ans. Ils firent baptiser cinq autres enfants à Port Royal, savoir : Elisabeth, née et baptisée 30 janvier 1717; Jeanne née et baptisée 6 mars 1719; Catherine-Joseph née et baptisée 25 mars 1721; Ursule, née 17 avril 1723; et baptisée le lendemain, et Pierre, né 22 déc. 1724, baptisé le lendemain. Le 5 avril 1726, Pierre Thibodeau et Anne Marie Aucoin, sa femme, furent parrain et marraine à Port-Royal d’Elizabeth Thibodeau, leur nièce, fille de Charles et de Françoise Comeau. Après cette date leurs noms n’apparaissent plus sur les registres de Port-Royal, d’où il faut conclure que c’est l’année du départ de Pierre Thibodeau et de Anne-Marie Aucoin avec leurs onze enfants pour Chipody. Partirent en même temps qu’eux, et pour le même endroit, Charles Thibodeau et Françoise Comeau, sa femme, et leurs sept enfants dont trois fils. La rivière Chipody – qu’on orthographie de nos jours “Shepody” -- se jette dans le comté d’Albert, au Nouveau-Brunswick. C’est aujourd’hui un centre entièrement de langue anglaise. C’est dans ce lieu charmant que le meunier de la Prée Ronde tenta, en 1698, d’y fonder une colonie, projet qu’il abandonna peu de temps après. Après l’arrivée des deux frères Thibodeau, en 1726, d’autres colons acadiens allèrent bientôt les rejoindre. Pierre Thibodeau mourut peu d’années après s’être établi à Chipody. Paul, son fils aîné, alla se marier vers 1732, à Pigiguit avec Marguerite Trahan et retourna à Chipody. Olivier, fils cadet, le même qui naquit à la rivière-aux-Canards, en 1713, épousa à Beaubassin, le 14 octobre 1734, Isabelle Melanson, fille d’Ambroise et de défunte Françoise Bourg (ancienne orthographe de Bourque). L’acte de mariage dit qu’il est de Chipody et que son père est défunt. Comme les registres des actes de baptême, mariage et sépulture relatifs à Chipody ne sont point au pays, et sont mêmes introuvables, il est difficile de dire exactement le nombre d’enfants issus d’Olivier Thibodeau et d’Isabelle Melanson. Cependant, je ne crois pas m’écarter beaucoup de la vérité en en fixant le nombre à douze, dont au moins sept moururent en bas âge. Les prénoms de six me sont connus, savoir : Isabelle, Joseph-Amable, Urbain, Jean, Anselme, et Marguerite. D’après un démembrement des habitants de Chipody, fait le 31 janvier 1752, Olivier Thibodeau a avec lui sa femme, 3 fils, et 3 filles. Un autre dénombrement, fait au printemps de 1755, nous dit que Olivier Thibodeau et sa femme ont quatre fils et deux filles. Quelques semaines plus tard les deux forts de l’Acadie française : Beauséjour et Gaspareau étaient livrés au colonel Robert Monckton, commandant en chef des troupes qui attaquèrent Beauséjour au mois de juin 1755. A l’automne de la même année eut lieu le grand Dérangement dans l’Acadie anglaise, ou Nouvelle-Ecosse proprement dite, et aussi dans l’Acadie française, c’est-à-dire dans le territoire qui forme aujourd’hui les comtés de Westmorland et d’Albert – Il y avait alors dans les trois rivières de Chipoudy, Ptkoudiac et Memeramcouk plus de trois mille habitants desservis par l’abbé LeGuerne, sans compter ceux de Tintamarre, Au Lac, Ouescak, Beauséjour et la baie Verte. Olivier Thibodeau, sa femme et leurs enfants échappèrent à la déportation, et réussirent à gagner Québec. Là, le 18 décembre 1757, la femme d’Olivier Thibodeau mit au monde une fille qui fut baptisée le même jour, sous le prénom de Marguerite. Cette enfant mourut le même jour et fut inhumée le lendemain. La mère de l’enfant fut enterrée le 21 du même mois et le père le lendemain. Tous deux moururent de la picote. Sont morts également à Québec, de la même maladie, Ambroise Melanson, père de la femme d’Olivier Thibodeau, et Anne-Marie Aucoin, veuve de Pierre Thibodeau, et mère d’Olivier. Les deux actes de mariage suivant qui m’ont été fournis au mois de juillet 1902, par M. Ph. Gagnon, l’aimable conservateur des archives judiciaire à Québec, trouvent ici leur place. “L’an mil sept cent soixante dix-sept le trois du mois d’août après avoir publié aux prosnes des messes paroissiales par trois dimanches consécutifs les bans de mariage entre Urbain Thybodeau, fils de feu Olivier Thybodeau et de défunte Elizabeth Blançon (sic pour Melançon) acadiens de présent domiciles en cette paroisse (Ste Famille, Isle d’Orléans) d’une part et Anasthasie Deblois, fille de Pierre Deblois et de Catherine Letourneau habitant de cette paroisse d’autre part, etc, etc., présence de Jean Thybodeau frère de l’époux et de Joseph Perreault son ami et voisin, etc. Les époux ne savent signer. “Eudo, ptre.” Cet Urbain Thibodeau était né à Chipoudy en 1749, et le prêtre qui le maria était un ancien missionnaire de Malpec, Ile St Jean. Au Cap Santé “Le dix neuf janvier mil huit cent dix-huit, après la publication d’un ban de marriage faite au prône de la messe paroissiale entre Pierre Chrysolonge Thibaudault marchand, fils majeur de feu Urban Thibaudault de son vivant marchand et de Marie Anastasie deblois ses père et mère de cette paroisse d’une part et Emilie Delisle fille mineure de Joseph Delisle menuisier et de Marguerite Germain ses père et mère aussi de cette paroisse d’autre part dispense obtenue des deux autres bans en date du onze juillet 1817 de Messire Robert vicaire général, etc, etc., En présence de Joseph, Jean et François Thibaudault, frères de l’époux, etc, etc. Signé “F. Gatien ptre.” Et par plusieurs autres. De cette union est né au Cap Santé, comté de Port Neuf, le 1er octobre 1837, l’honorable sénateur Joseph Rosarie Thibodeau, décédé à Montréal le 16 juin courant. Le regretté défunt était un petit-fils d’un proscrit du grand Dérangement. Je n’en connais pas d’autre au Canada. PLACIDE GAUDET. Ottawa, 20 juin 1909.