Eclaircissements sur la question acadienne: le serment d'allegeance (suite)

Newspaper
Year
1888
Month
10
Day
24
Article Title
Eclaircissements sur la question acadienne: le serment d'allegeance (suite)
Author
----
Page Number
3
Article Type
Language
Article Contents
ECLAIRCISSEMENTS SUR LA QUESTION ACADIENNE Le serment d’allegeance (Suite) Une fois maîtres de cette pièce, qui rétablissait leurs droits incontestables, les Acadiens n’hésitèrent plus à prêter serment selon la formule suivante : “Je promets et jure de bonne foi que je serai sincère et fidèle à Sa Majesté le roi George le Second.” De leur côté, les habitants de Port-Royal avaient exigé les mêmes conditions du gouverneur lui-même, mais avec un résultat bien différent. Armstrong ne s’était plus possédé de colère en recevant la requête qui lui avait été présentée et qu’il avait qualifiée d’insolente rébellion contre Sa Majesté et son gouvernement. Il avait fait jeter en prison et mettre dans les fers les trois députés, Charles Landry, Guillaume Bourgeois et François Richard, qui avient osé lui remettre cette requête. C’est dans cette disposition d’esprit qu’Armstrong recut l’enseigne Wroth à son retour à Port-Royal. On s’imagine le désappointement et l’indignation avec lesquels il accueillit son rapport. Il le fit comparaître devant le Conseil, qui censura avec lui sa conduite et désavoua les articles en déclarant toutefois, par une étrange contradiction, les Acadiens, liés par le serment qu’ils avaient prêté. C’était une indignité de plus à ajouter à tant d’autres; et ce ne devait pas être la dernière. Armstrong enleva en même temps aux prétendus rebelles le droit de commencer avec les trafiquants anglais et de pêcher sur les côtes, priviléges réservés, disait-il, aux seuls sujets de Sa Majesté. C’était le dernier moyen qui lui restait pour se venger d’avoir vu toutes ses espérances s’envoler en fumée. La nouvelle de cette déconvenue parvenue à Londres, fit décider le renvoi du gouverneur en chef, le général Philipps, dont Armstrong n’était que le suppléant avec le titre de lieutenant-gouverneur. L’expérience acquise par Philipps durant sa première administration faisait espérer qu’il parviendrait à mettre un terme à la situation anormale de la Nouvelle-Ecosse. Il réussit en effet à faire prêter serment aux Acadiens (1730), en leur accordant des concessions qui leur tenaient, le plus au cœur, celle de ne point porter des armes contre leurs compatriotes les Français, ni contre les Sauvages leurs alliés. De là le nom de Neutres (French Neutrals) qui leur dut donné depuis. C’était une révolution dans leur existence : de sujets francais ils devenaient sujets anglais. Dix-sept ans de résistance prouvent jusqu’à quel point c’était malgré eux. Chacun des gouverneurs, l’un après l’autre, les avait retenus captifs dans leur propre pays, et avait refusé d’exécuter le traité et les ordres de la reine Anne. Par suite, les Acadiens n’avaient pu profiter des avantages que la France leur avait offerts, au lendemain de la paix, pour s’établir à l’Ile Royale. Dans l’intervalle, la France s’était de plus en plus désintéressée d’eux, et eux, de leur côté, s’étaient vus rivés de plus en plus à l’Acadie par l’augmentation rapide de leurs familles et par la valeur toujours croissante de leurs propriétés. Enfin ils avient été vaincus par la lassitude d’une lutte sans issue, et cela sans aucune faute de leur part. Malheureusement, en prêtant serment avec la condition de rester neutres, les Acadiens ne paraissent pas avoir obtenu que cette clause fût mise par écrit et jointe à la formule du serment, comme ils l’avaient exigé de l’enseigne Wroth. Ce fut là une grande faute de leur part, qu’ils expièrent cruellement plus tard. (1) Il était facile de prévoir qu’un pareil régime ne pouvait aboutir qu’à des résultats funestes pour le petit peuple naissant, qui se trouvait ainsi placé entre deux puissances rivales, toujours prêtes à en venir aux mains, et qui ne manqueraient pas de se disputer sa neutralité. Il était fatalement destiné à être victime; mais son infortune a dépassé toute prévision. En 1732, Philipps s’en retourna en Angleterre pour jouir du succès de sa mission, et abandonna de nouveau à Armstrong l’administration de la province. IV On a vu qu’une des clauses du traité d’Utrecht garantissait aux colons le libre exercice de la religion catholique; on a vu aussi les promesses faites par les autorités anglaises de respecter cette garantie. Li l’on s’en tenait seulement aux affirmations des gouverneurs, on serait porté à croire qu’il n’y eut jamais de justes plaintes à porter contre eux touchant l’exécution de cette clause. Cela est cependant difficile à concilier avec le fanatisme intense qui régnait à cette époque, et avec les cris de haine qui retentissent d’un bout à l’autre de leurs rapports. Mais on a, pour s’éclairer et se former un jugement impartial les témoignages des parties adverses, je veux dire des Acadiens et des missionnaires. Ces témoignages donnent une tout autre idée du régime qu’ils subissaient. Il faut que les Acadiens aient eu à souffrir de bien criantes injustices pour avoir été obligés, à plusieurs reprises, d’aller porter leurs plaintes et implorer protection jusqu’au pied du trône de France. Une de ces requêtes, couverte des signatures des habitants de Port-Royal, représente au roi Louis XV qu’ils sont en proie à une véritable persécution religieuse de la part du gouverneur Armstrong. “Nous supplions, disent-ils, très humblement Votre Grande Majesté de nous permettre de représenter la triste situation où nous sommes réduits, déclarant véritablement que dans la paroisse de Saint-Jean-Baptiste d’Annapolis-Royale, en la Nouvelle-Escosse ou Acadie : Que le 29 mai (nouveau style) de l’année 1736, contrairement aux articles du traité de paix fait Utrecht, et contrairement à toutes les promesses à nous faites; quand nous avons prêté le serment de fidélité à Sa Majesté Britannique le roi George II, le gouverneur Laurent Armstrong a fait défense à MM. de Saint-Poncy et Chauvreux, nos deux prêtres missionnaires aussi dignes que nous en ayons jamais eus, a fait défense, disons-nous de dire la sainte messe, entrer dans l’église, entendre nos confessions, nous administrer les autres sacrements et faire aucune de leurs fonctions ecclésiastiques. Mis aux arrêts et obligés de partir, les dits missionnaires sans que le gouverneur, ni autres personnes qu’il a pu faire tomber dans son avis, aient pu nous faire connaitre, ni qu’ils puissent prouver que nos susdits et dignes missionaires aient d’autres fautes que celles dont ils prétendent les trouver coupables, pour n’avoir pas boulu aller loin de notre paroisse relever un brigantin, ce qui ne regarde en rien nos dignes missionnaires ni leurs fonctions. Le dimanche suivant le dit gouverneur fit assembler les députés et leur fit défense de faire ni dire aucune prière dans la chapelle du haut de la rivière. Ce sont ces tristes et déplorables conjonctures où nous sommes chaque jour exposés au sujet de notre religion, article qui nous touche de plus près, qui nous oblige d’implorer, avec la dernière soumission, Sa Majesté chrétienne le Roi de France Louis XV pour qu’elle daigne…. Faire déterminer et arrêter, d’une manière stable, les conditions aux-quelles nos missionnaires pourront se tenir dans la suite, afin que nous ne soyons pas privés de secours spirituels au moindre caprice de ceux qui commandement.” (1) Les Acadiens ne furent pas sans inquiétude sur ce sujet, car ils firent dresser et signer un acte authentique de cette promesse par les hommes les plus autorisés qu’ils eussent parmi eux. Voici le certificat des missionaires : “Nous, Charles de la Gaudalis, Prêtre, Curé Missionnaire de la Paroisse des Mines, et Noêl Alexandre Noiville, Prêtre, bachelier de la Sacrée Faculté de Théologie de Sorbonne, Missionnaire Apostolique et curé de l’Assomption et de la Sainte-Famille de Pigiguit, certifions à qui il appartiendra, que Son Excellence le Seigneur Richard Philips, écr., capitaine en chef et Gouverneur-Général de la Province de Sa Majesté la Nouvelle-Ecosse ou l’Acadie, a promis aux habitants des Mines et autres rivières qui en dépendent qu’il les exempte du fait des armes et de la guerre contre les François et les Sauvages, et que les dits habitants se sont engagés uniquement et ont promis de jamais prendre les armes dans le fait de la guerre contre le Royaume d’Angleterre et Son Gouvernement. Le présent certificat fait et donné et signé par nous cy-nommés, le 25 avril 1730, pour être mis entre les mains des habitants et leur valoir et servir partout où besoin sera ou que de raison en est.” (Signé) DEBOURG, DE LA GAUDALIS, BELLEHUMEUR, Curé. Collationné le 25 avril, Noel Noiville, Prêtre et Missionnaire. Archives des affaires étrangères, Paris.