Les Acadiens

Newspaper
Year
1888
Month
9
Day
5
Article Title
Les Acadiens
Author
----
Page Number
2
Article Type
Language
Article Contents
LES ACADIENS La parole du psalmiste s’accomplit. Les nuages de l’infortune ont pendant longtemps flotté sur les hauteurs de l’Acadie, mais l’ange gardien des peuples veillait sur elle. L’écrivain sacré a dit : “ceux qui sèment dans les pleurs moissonnerent dans l’allégresse”, et si les ancêtres de ceux qui habitent aujourd’hui le pays d’Evangéline ont semé dans une terre arrosée de larmes, on peut dire, ce qui confirme la promesse du chantre sacré, que les descendants de l’arbre généalogique acadien commencent à moissonner dans l’allégresse. “Qui seminant in lacrymis in jubilatione metent.” Les premiers jours de l’existence nationale de ce petit peuple ont été une chaine non interrompue de misères. En 1755, au moment où le soleil de l’Irlande commençait à s’obscurcir, la main glacée du malheur posait son crêpe fatal sur le front soucieux de l’Acadie; et dès lors s’ouvrit pour elle une période mouvementée qui fera à jamais la honte de ses persécuteurs. Les années qui suivirent n’ont pas été marquées par des événements aussi tristes, mais l’âme chrétiennement affectueuse de l’Acadie souffrait encore des blessures qu’elles avait reçues. L’œil plein du tableau des malheurs qu’elle avait subis, le courage paralysé, elle contemplait l’avenir qui se déroulait à l’horizon avec une confiance fugitive tant les vents désastreux de l’injustice avaient poussé sa barque loin du port de la nationalité. Les choses ne devaient continuer ainsi; la foi inébranlable du peuple méritait un meilleur sort. Malgré les calomnies qui pesaient sur son berceau, cette race héroïque, puisant la force dans la douleur même qui l’oppressait, lutta contre la sort jusqu’à ce qu’enfin le firmament de son existence s’éclairât de quelques étoiles. Dieu le voulait, les étoiles se multiplièrent et le jour de la prospérité ne tarda guère à poindre. Les enfants de ces héros se sont doublés, triplés en nombre, et à l’heure qu’il est, les Acadiens sont un peuple vigoureux d’au-delà 130,000 hommes. Les Acadiens n’ont pas seulement grandi en nombre; ils ont poussé en vigueur intellectuelle. Déjà plusieurs branches tributaires du grand fleuve de la science fécondent l’intelligence en certaines parties du pays. Le collège St. Joseph de Memramcook est devenu Université, et une foule de petits ruisseaux semblent être pleins de l’espérance de devenir fleuves. Les arts et les sciences sont cultivés avec un succès relatif, et les lettres sont en plein épanouissement. Encore quelques années, et l’Acadie pourra compter sur l’appui de plusieurs littérateurs de mérite. Les Bourgeois et les Poiriers sont nos deux premières abeilles; plusieurs pages que ne désavoueraient pas les meilleurs hommes de lettres du Canada-Français les ont depuis longtemps fait remarquer du monde littéraire et savant, ici et à l’étranger. L’éloquence de la chaire et l’éloquence politique ne sont certes pas à l’arrière plan; les Cormier, les Bourgeois, les Richard, les Doucet, les Landry, les Poirier et quelques autres font réellement honneur à leur patrie. Ici comme ailleurs on semble comprendre l’importance qu’il y a pour tout homme qui veut jouer un role de quelqu’imoprtance dans le monde de s’exercer à parler en public. L’orateur qui prend sa mission au sérieux est une puissance. L’occasion de porter la parole se présente fréquemment, voire même dans les assemblées des conseils municipaux, dans les comices agricoles, et souvent avec profit dans les simples réunions de famille. Si les arts libéraux ont fait quelques sensibles progrès en Acadie pendant la dernière décade surtout, il est aussi certain que l’art agricole a progressé rationnellement. La culture du sol ne s’y fait presque plus par routine, et la propice agriculture parait être, sans le moindre doute, la vocation spéciale du peuple acadien. L’agriculture a sauvé l’Europe française au onzième siècle. St. Bénoit était l’apôtre qiu l’affermit en France. Le même art a fait naître l’Acadie à la prospérité relative dont elle jouit aujourd’hui; elle la maintiendra florissante et ferme pourvu que les abbés Richard, les Ouellet, les Michaud, se multiplient pour en prêcher l’importance au point de vue national et religieux, et, s’il se peut, pour en donner l’exemple. Quels que soient vos progrès sous le rapport intellectuel, compatriotes bien-aimés, n’oubliez pas que l’agriculture est la pierre angulaire de votre édifice national et la clef de votre avenir. Maintenant que vous avez trois avocats pour protéger vos intérêts, défendre vos droits acquis, vous éclairer au flambeau de la science dans le tortueux sentier de l’avenir, efforcez-vous de vaincre les obstacles qui pourraient encore intimider votre courage, et Dieu aidant vous vous maintiendrez honorablement au niveau des races hétérogènes qui copartagent avec vous le sol fécond que vous ont légué vos ancêtres. O glorieuse terre d’Acadie, Dieu le veut! le sang innocent que tu as bu va produire d’abandontes moissons. Courage, magnanimes fils de Poutrincourt, l’aube blanchissante de l’avenir se déroule pour vous pleine de brillantes espérances.