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ECLAIRCISSEMENTS SUR LA QUESTION ACADIENNE
Le serment d’allegeance
(Suite)
L’année suivante Nicholson était parti. La Nouvelle-Ecosse avait pour lieutenant-gouverneur le colonel Vetch. Cet officier qui n’avait pas eu de termes assez violents pour censurer la conduite de son prédécesseur, ne respecta pas plus que lui la foi des traités, et mit les mêmes obstacles au départ des habitants. (1)
Les naïfs Acadiens, si honteusement bernés par Nicholson, s’attendaient si bien à partir dans le cours de 1715, qu’ils n’ensemencèrent pas leurs terres au printemps de cette année, ayant en prévision amassé des vivres pour deux ans. (2) Vetch savait si bien qu’il n’avait aucun droit sur les Acadiens et qu’il commettait une criante injustice en les retenant malgré eux, qu’il se hâta d’écrire aux lords du Commerce dès le 19 de mars de cette année : “Comme la saison avance, à moins que des ordres prompts ne soient expédiés, les habitants vont émigrer avec leurs troupeaux et leurs effets au Cap-Breton, ce qui va dépouiller et ruiner entièrement la Nouvelle Ecosse et en même temps faire du Cap-Breton une colonie populeuse et bien pourvue, entreprise que plusieurs années et de grandes dépenses n’accompliraient pas si on la faisait directement de France.” (3)
On jugera de l’importance qu’attachait le gouverneur Vetch aux établissements français par le passage suivant d’une lettre qu’il adressait peu de mois auparavant aux mêmes Lords du commerce : “Les Français forment une population d’environ deux mille cinq cents âmes…. Ils sont avec les sauvages, les seuls habitants de ce pays; et comme ils ont contracté des mariages avec les sauvages, qui sont de même religion, ils sont sur eux une puissante influence. Cent Français, nés dans le pays, parfaitement accoutumés comme ils le sont aux forêts, habiles à marcher en raquettes et à conduire des canots d’écorce, sont de plus grande valeur et d’un plus grand service que cinq cents hommes nouvellement arrivés d’Europe. Il Il faut en dire autant de leur habileté à la pèche et à la culture du sol.” (4)
On n’avait pas à la Cour de France une moindre opinion de ces Français d’outre-mer. Le Conseil de Marine, qui siégeait au Louvre, disait d’eux vers le même temps :
“Ces Français-Acadiens sont naturellement industrieux. (5) Ils naissent forgerons, menuisiers, tonneliers, charpentiers, constructeurs; ils font eux-mêmes les toiles et les étoffes dont ils s’habillent; c’est pourquoi, outre le défrichement des terres de l’Ile Royale, ils fourniraient à cette colonie un nombre considérable de bons ouvriers qui contribueraient bien mieux à son établissement que des personnes qu’on y enverrait de France et qui ne seraient faites ni au climat, ni aux usages du pays.” (6)
II
Un des moyens dont les autorités anglaises se servirent pour tenir les Acadiens et les lier à la Nouvelle-Ecosse, fut le serment d’allégeance qu’elles voulurent dès lors leur impo-imposer.
La mort de la reine Anne et l’accession du roi George premier au trône d’Angleterre, en fournirent l’occasion au gouverneur Caulfield, qui venait de remplacer le colonel Vetch. Il chargea deux de ses officiers, MM. Capoon et Button, de parcourir les centres acadiens depuis Port-Royal jusqu’à Beaubassin et la rivière St. Jean, d’y convoquer des assemblées, d’y lire la proclamation officielle envoyée de Londres, et tâcher d’arracher un serment d’allégeance en faveur du nouveau roi. Le serment du test refermant un acte d’apostasie, il ne put être question de l’imposer. On y substitua la formule suivante :
“….Je promets sincèrement et jure que je veux être fidèle et tenir une véritable alégeance à Sa Majesté le roi George.
“Ainsi Dieu me soit en aide.”
Cette tentative était un piège aussi habile que dangereux; car si les Acadiens avaient prêté ce serment sans réserve, on aurait pas manqué de s’en prévaloir pour leur dire qu’ils s’étaient déclarés et étaient devenus sujets anglais et que, par conséquent, ils n’avaient plus le droit de quitter le pays. (7)
Les Acadiens se tirèrent de ce mauvais pas avec autant d’habileté que de sagesse. La lettre des habitants des Mines, en particulier, est à citer, car elle est un modèle du genre.
“Pour satisfaire à ce que vous nous avez fait l’honneur de nous publier mercredi dernier,…. Nous avons l’honneur de vous dire que l’on ne peut être plus reconnaissants que nous le sommes des bontés du roi George, lequels nous reconnaissons être légitime souverain de la Grande-Brétagne et sous la domination duquel nous nous ferions une véritable joie de rester, étant aussi bon Prince qu’il l’est, si nous n’avions pas pris, dès l’été dernier, avant de savoir son exaltation à la couronne, la résolution de retourner sous la domination de notre Prince, le roi de France, ayant même donné tous nos seings à l’envoyé de sa part auquel nous ne pouvons contrevenir jusqu’à ce que leurs deux Majestés de France et d’angleterre aient disposé de nous autrement; quoique nous nous obligions avec plaisir et par reconnaissance pendant que nous resterons ici, à l’Acadie, de ne rien faire ni entreprendre contre Sa Majesté Britannique le roi George. (8)
(A suivre)
(1) “Ayant appris Monsieur, par plusieurs habitants du Port-Royal, des Mines et de Beaubassin que celui qui commande à votre absence au Port-Royal (le Colonel Vetch), leur a fait défense de sortir, et même en a refusé la permission à ceux qui lui ont demandé, ce qui fait que les habitants qui seraient maintenant établis sur les terres du roi, ne trouvent la plupart hors d’état de se retirer cette année….”
“C’est ce qui m’a déterminé, Monsieur, suivant l’ordre que le roi m’en a donnée, d’y envoyer M. de la Ronde Denis, capitaine d’une compagnie détachée de la Marine, a qui j’ai remis en main les ordres de la Reine, et conférera avec vous des raisons pour lesquelles ils sont détenus. J’espère, Monsieur, que vous rendrez toute la justice dûe, et que vous n’aurez d’autre vue que de suivre les volontés de la reine.” –(Archives de la Marine et des Colonies. Lettre de M. L’Hermite à M. Nicholson : Louisbourg, le 11 juillet, 1714.
“Celuy qui commande au Port-Royal a fait défense de sortir du pays avant l’arrivée de M. de Nicholson; de sorte que tous ceux qui sont venus ici s’étaient échappés. Ils m’ont représenté, ainsi que M. Gaulin et les Pères de l’Acadie qui m’ont tous envoyé des espress, qu’il étoit nécessaire leurs droits, les Anglois ayant défendu aux missionnaires de se mêler des affaires de ces habitants.” –(Archives de la Marine et des Colonies. Lettre du Major L’Hermite au Conseil de la Marine, datés de Louisbourg, 29 août, 1714.
“Par sa lettre du 6 novembre, 1715, il marque (M. de Costebelle) qu’il a parlé au Sieur Capon, envoyé du gouverneur du Port Royal, de la manière dure et injuste avec laquelle le général Nicholson avoit traité les habitants françois de l’Acadie, contraire en tous aux ordres qu’il avoit reçus de la feme reine d’Angleterre, et à la parole qu’il avoit donnée aux Sieurs de la Ronde et Pinsens.
“Cet envoyé a convenu que la conduite de ce général n’avoit été approuvée d,aucun officier de sa matin; mais que le gouverneur particulier ne pouvoit rien changer sans le nouveaux ordres du roy d’Angleterre; ainsi tous les autres différents movements sont suspendus pour la libre évacuation des habitants jusqu’à une plus ample décision des deux courounes.” –(Conseil de la Marine, 27 mars, 1716.
Un récent biographie qualifie Vetch de premier gouverneur anglais de la Nouvelle-Ecosse. Les pièces citées citées dans la présent article démontrent surabondamment le contraire. – (Collections of the Nova Scotia Historical Society, Vol. IV. Biographical sketch of Hon. Samuel Vetch, by the Rev. G. Patterson.
(2) M. de Costebelle, par sa lettre du 9 septembre, marque “…qu’on l’a assuré que les habitants françois des Mines n’ont point ensemencé leurs terres en 1715, qu’ils avoient des grains pour vivre deux ans et qu’ils restoient disposés à une entière fracuation lorsqu’ils auroient des bâtiments pour les transporter à l’Isle Royale avec leurs familles et leurs effets.” –(Conseil de la Marine, 28 mars, 1716.
M. Begon, par salettre du 25 septembre, 1715, marque “que le Père Justinien, missionnaire récollet au Port-Royal, lui a marqué que tous les habitants françois de l’Acadie ont pris la résolution d’aller s’établir à l’Isle Royale à quoi une Lettre Pastorale de M. l’Evêque de Québec a beaucoup contribué.”
“….Les Anglois font tout ce qu’ils peuvent pour retenir les François, non-seulement en ménageant, mais aussi en leur refusant les choses nécessaires pour leur passage et leur faisant entendre qu’ils ne leur permettront pas de disposer de leurs bestiaux, qu’on leur donnera seulement quelques vivres.” –(Conseil de Marine, 28 mars, 1716.
(3) Letter from Col. Vetch to the Board of Trade, March 9th, 1714-15. Voir Doc. inédits, No. XIII, p. 109. Pièce omise dans le volume d’Archives de la Nouvelle-Ecosse, publié à Halifax.
(4) Archives de la Nouvelle-Ecosse, p. 6.
(5) “Ces peuples sont naturellement adroits et industrieux au-delà de ce qui se voit en Europe; ils réussissent en tout ce qu’ils entreprennent; ils ne doivent qu’à la nature la connoissance qu’ils ont de plusieurs arts.” –(Archives de la Marine et des Colonies, Mémoire concernant les habitants de l’Acadie, 1717.
(6) Conseil de Marine, 5 juin, 1717.
(7) Je leur ai dit tout ce que Ja pu pour leur faire comprendre que, s’ils ont une lois prêté serment de fidélité, qu’ils n’auront pas la liberté de sortir un grain de blé de chez eux. L’HERMITE. A Louisbourg, le 29 août, 1714.
(8) Public Record Office. Lettre des habitants des mines au Gouverneur Caulfield, 3 janvier, 1714-15. Voir Doc. inédits,, No. XV, p. 111. Pièce omise dans le volume d’Archives de la Nouvelle-Ecosse, publié à Halifax.