De l'enseignement

Newspaper
Year
1888
Month
7
Day
11
Article Title
De l'enseignement
Author
Hon. P. S. Poirier
Page Number
2
Article Type
Language
Article Contents
DE L’ENSEIGNEMENT Des (illisible) Naturelles dans nos Colleges Par L’Hon. P. S. Poirier (Suite et fin) Après Sadowa la presse française disait : c’est l’école primaire prussienne qui a battu l’Autriche; après Sédan la presse européenne répétait : c’est l’école technique allemande qui a écrasé la France. Nos hommes politiques et “professionnels” seront ce que le collège les aura faits. Forts pour la lutte et la victoire, s’ils sont supérieurement armés et experts dans les armes dont ils auront à se servir. Ils seront forts pour la victoire, si comme les soldats prussiens, en 1870, ils connaissent le terrain qu’ils auront à parcourir et les sentiers qu’il leur faudra trouver; s’ils partent avec l’idée qu’un homme en vaut un autre et quelquefois davantage, s’ils n’ignorent aucune des armes de leurs adversaires. Mais si, tout entiers aux choses et aux nécessités d’un autre âge, ils sont plus familiers avec le disque et la javelot qu’avec la poudre à canon et la dynamite, avec la catapulte et le bélier qu’avec l’électricité et la vapeur, avec la Théogonie du vieil Hésiode qu’avec Dana et Ampére, avec l’ambroisie des dieux de l’Olympe qu’avec la chimie de Silliman et de Payen; s’ils ne savent attaque qu’à la manière des Grecs devant Troie, et se défendre qu’avec la tactique militaire de Turnus; si comme les Gaulois de Vercigétorix ils n’ont que leur poitrine nue et leur courage à opposer aux légions de César autrement et mieux armées; s’il leur faut, comme et Français à Crécy répondre avec des arbalètes, aux bouches à feu des Anglais; si, en un mot, leur éducation n’est pas contemporaine et n’embrasse pas toutes les sciences auxquelles l’activité des hommes de notre siècle se livre avec une si fiévreuse énergie, ils seront bientôt distancés dans l’arène, battus en champ clos aussi bien qu’en bataille rangée. Les découvertes si merveilleuse de notre génération d’autres les feront, et elles tourneront à leur profit; l’usage des procédés qui affermissent tous les jours la royauté de l’homme sur la matière n’arrivera jusqu’à eux qu’en second lieu; ils seront bientôt les seconds et les derniers en richesse, en bien-être, en considération, en influence, en puissance. A moins que nous ne soyons aussi bien armés et entrainés que les autres races qui nous entourent, je devrais dire mieux armés et supérieurement entrainés attendu que nos leur sommes inférieurs par le nombre, ils avanceront et nous demeurerons dans le “statu quo.” Or le divin mot du Maitre : “Celui qui n’avance pas recule,” s’applique à la progressibilité matérielle presque aussi directement qu’à la perfectibilité de l’âme. Les Chinois d’il y a trois mille ans étaient à la tête de la civilisation humaine. Dans leurs satisfaction orgueilleuse ils ont mis les scellés, ne croyant pas qu’il fut possible d’atteindre plus haut ni d’aller plus loin. Ils sont demeurés dans le “statu quo” pendant que les autres peuples avançaient. Voyez comme ils ont reculé! Si dans la confédération canadienne nous n’avançons pas; si nous nous contentons orgueilleusement des vieux clichés; si satisfaits des triomphes du passé nous nous eassayons paresseusement sur le bord de la route, regardant, comme les Chinois et les Egyptiens, les autres peuples passer, nous ne tarderons pas je le répète, à être devancés; et l’on dira de nous, catholiques français de l’Amérique britannique, ce que les ennemis de notre foi ont dit de l’Autriche, de l’Espagne, du Portugal et des colonies catholiques du Sud de l’Amérique : Voyez ce qu’ils ont fait avec leur Religion! Voyez ce que leur Religion en a fait! Et il y aura scandale dans le monde à cause de nous, et tu auras été de nouveau calomniée, divine Eglise du Christ, loyer de toutes les lumières, source vive de tous les progrès. Je désire n’être pas mal compris et surtout mal interprété. A tout prendre nous ne sommes pas inférieurs aux nations qui nous entourent. Dans le domaine des choses de l’esprit et de l’âme, j’ôse dire que nous avons le pas sur elles, et ce domaine est certainement le plus noble et le plus désirable; mais dans les progrès matériels du siècle ils prennent les devants sur nous et cela ne doit pas être. Car je d’admets pour ceux de ma race et de ma religion aucune infériorité sous le soleil. Je n’ai pas dit non plus que nos collèges et nos universités eussent une efficacité moins grande que les académies et les universités anglaises. Dieu m’en garde! Sous certains rapports, l’hygiène morale, par exemple, la salubrité de l’atmosphère religieuse qui s’en exhale, l’exemple de dévouement et d’abnégation que les élèves ont continuellement sous les yeux, nos communautés enseignantes ont sur les “collegiate institutions” toute la supériorité qu’a la Sœur de Charité sur l’infirmière laïque. Et, pour le recueillement si nécessaire à de fortes études, nos institutions religieuse ne souffrent point de rivaux, à telles enseignes que je n’hésite pas de dire qu’avec la même méthode d’enseignement, des professeurs d’égale compétence, et le même programme d’études, quatre années dans nos collèges en vaudront six dans les meilleures universités laïques, tant est sain et fortifiant l’air ambiant qui s’y respire! Je n’ai pas insinué non plus qu’à bout prendre le programme d’études de nos collèges ne vaut pas celui des institutions enseignantes anglaises. Les cours y sont en rapports avec les traditions et le tempérament des nationalités qui les suivent, et de tous temps les races latines, greffées sur la race hellénique, ont montré une aptitude et des goûts particuliers pour la conquête de l’esprit, dédaignant celles qui se font sur les matière. Cela est tellement vrai que les grecs pur sang méprisaient le travail manuel, hormi le maniement des armes et la gymnastique; que les patriciens romains le trouvaient avilissant; que la noblesse française le considérait comme dérogatoire à une bonne éducation; tandis que d’un autre côté les cadets des familles nobles d’Angleterre ont fait dans la commerce et l’industrie, la grandeur de leur nation. Le point à propos duquel je tiens le plus à être parfaitement compris, c’est la question des classiques latins et grecs. Dans les institutions catholiques, le latin, langue de l’Eglise, doit toujours être maintenu. Et comme sur cent étudiants qui complètent leur cours, le tiers est appelé aux prières sacrés, de la (?), il faut que le “curriculum” prépare le jeune lévite à la sublime vocation où Dieu l’appelle. Mais je suis d’avis qu’il ne faudrait pas trop perdre de vue la carrière future des deux autres tiers. L’homme du monde, autant que le curé ou le religieux, a besoin d’une armure complète, et il est souvent trop tard pour armer le chevalier quand il est déjà poussé dans le carrousel et que le tournoi est commencé. Quand aux modifications à apporter au programme des études, et aux méthodes de “tuition”, si je voyais nos grandes maisons d’education se réunir une fois l’an, pendant les vacances, au moyen de leurs délégués, pour discuter la question de l’enseignement et des perfectionnements à y apporter, je croirais qu’avant dix ans l’Europe catholique nous envierait notre système. Ceux-là seuls qui nous ont nourris du pain de la science, depuis Monseigneur Laval, les ordres enseignants, religieux et séculiers, pourraient prendre utilement l’initiative du mouvement. Une chose m’a souvent frappé dans la province de Québec. Pendant qu’en Allemagne, en Angleterre, en France, en Suisse, en Belgique, la question scolaire fait l’objet des études les plus profondes de la part des professeurs, des hommes d’Etat, des spécialistes, des savants de toutes descriptions; qu’il se publie tous les jours depuis un siècle des traités, des études, des expériences, rien ou à peu près rien ne s’élabore dans cet ordre d’investigations dans la province de Québec. Le rapport officiel de l’hon. M. Chauveau est encore ce qu’il y a de plus complet. C’est à faire croire à l’observateur que le grand mouvement qui a fait faire à la civilisation un pas de géant depuis un siècle est passé inapperçu, inétudie, depuis Rimouski jusqu'à Rigaud, et que la marche précipitée des événements contemporains ne regarde pas la génération canadienne qui s’instruit. Sans doute il n’en est rien; mais pourquoi les catholiques ne se mettraient-ils pas à la tête du mouvement, afin de lui donner une direction agréable à l’Eglise, au lieu de laisser à d’autres, aux infidèles souvent, soin de tenir le flambeau et d’éclairer la marche? Or la marche et le mouvement se font, depuis soixante ans, dans la direction des inventions, les applications et des découvertes scientifiques. Le champ des lettres et à peu près exploré : celui des sciences naturelles est encore en friche, et c’est de ce côté qu’aujourd’hui l’humanité se jette. La terre, le monde, l’univers appartiennent aux sciences positives et naturelles. Leur domaine s’étend sur tout ce que Dieu a crée de matériel. Et ceux-là remporteront la palme des succès matériels qui auront la clef des sciences. J’ai, ce soir, avec beaucoup de hardiesse et de témérité, abordé une question délicate et de très haute importance. Je l’ai fait dans un esprit amical, comme il arrive parfois que des amis se jugent entre eux sévèrement pour mieux apprendre ce qu’il y a d’imperfections dans leurs voies, et pour prévenir les jugements hostiles de leurs ennemis. J’ai de propos délibéré détourné mes regards de l’astre pour ne chercher que la nébuleuse. J’ai essayé de trouver des taches au soleil. Ah! si je vous en avais fait contempler les rayons! Si je vous avais rappelé ce que les communautés enseignantes, collèges et couvents, ont fait pour les Canadiens-français! Si j’avais retracé devant vous le miracle de la conservation de la religion et de la nationalité de leurs pères par le clergé catholique! Mas non; notre propre collège Saint-Joseph nous en dit plus, des choses mêmes qui regardent le Canada, que ma plume n’en saurait écrire. Nous avions ici devant nos yeux la pleine mesure de ce que peut faire la volonté la plus persévérante servie par des intelligences d’élire et des cœurs haut placés. L’œuvre que notre collège, aujourd’hui notre université, opère au milieu de nous depuis vingt ans, les communautés enseignantes l’opèrent dans la province de Québec depuis deux siècles; et cette œuvre nulle association étrangère à notre foi ne saurait l’opérer, car c’est l’œuvre d’un amour, d’une charité, d’un dévouement surhumains. Sur ce terrain nos institutions collégiales et universitaires sont absolument sans rivales. Ce n’est pas un gouvernement qui a doté notre beau collège St-Joseph; ce ne sont pas les bourses princières des particuliers qui le maintienne (et si J’ai tant insisté ce soir pour qu’on enseigne davantage aux jeunes gens l’art de faire de l’argent, c’est pour que quelques-uns d’entre nous soient bientôt en moyens de renouveler le précédent de de M. l’Abbé Cormier); ce ne sont pas les legs des Gérards et des millionaires Californiers qui l’enrichissent, c’est un homme seul qui l’a fondé sans autres ressources que celles avec lesquelles saint François de Sales a entrepris le rachat des Indes, le très-révérend Père Lefebre; ce sont de dévoués et éclairés religieux qui en sont gratuitement les professeurs, le révérends pères de la communauté de Sainte-Croix. Que les institutions étrangères nous montrent quelque chose de comparable! L’œuvre accomplie par ce glorieux collège dans vingt-quatre ans tient du miracle : c’est toute une nationalité ramenée des régions de la mort et réssuscitée à l’espérance. Au point de vue des études classiques, il s’y donne un cours qui ne le cède point au cours de meilleurs collèges bas-canadiens; et au point de vue de ce qui constitue le côté fort des institutions anglaises, il me suffira de dire, pour ne pas entrer dans plus de détails, que l’arithmétique, la comptabilité, la banque et la tenue des livres en sont pas mieux ni plus pratiquement enseignées dans les meilleurs écoles spéciales anglaises. Oui, nous sommes fiers de notre collège, et c’est un jour glorieux que celui qui nous réunit tous, professeurs, élèves et amis de l’éducation, au foyer de notre Alma Mater, je devrais dire mater (illisible), pour être témoin de la collation des degrés universitaires dont elle veut bien honorer quelques-uns de ses anciens élèves.