Lettres

Newspaper
Year
1888
Month
3
Day
21
Article Title
Lettres
Author
H. R. Casgrain
Page Number
2
Article Type
Language
Article Contents
LETTRES Paris, le 25 février 1888 A Monsieur Valentin A. Landry, Editeur de L’ÉVANGÉLINE, Digby, N. E. Mon cher Monsieur, Si je suis en retard à vous remercier de l’envoi des premiers numéros de votre journal l’EVANGÉLINE, c’est qu’ils ne me sont arrivés qu’à Paris. Vous ne doutez pas de l’intérêt avec lequel je les ai parcourus. L’EVANGÉLINE est destiné à remplir un véritable apostolat parmi vos compatriotes : il ira partout réchauffer l’amour de la religion, de la langue et des traditions, ces trois amours qui n’en font qu’un dans le cœur de tout Acadien. Il prêchera l’union dans les mêmes sentiments, au sein de toutes les familles; car l’avenir de la race acadienne est là. Dignes des premiers chrétiens par leur piété, et par l’héroïsme de leurs pères, les acadiens doivent, comme eux, ne faire qu’un cœur et qu’une âme. S’il en devient autrement; s’ils se morcellent : c’en est fait d’eux; ils disparaitront. C’est ce que ne cessera de leur répéter votre excellent journal, en leur montrant d’exemple à mettre le patriotisme audessus des passions du moment. Je vois que vos correspondants ne sont pas moins frappés que vous de l’importance de l’éducation parmi les divers groupes acadiens de vos Provinces. Vous avez mille fois raison. Que serions-nous devenus, nous canadiens si le clergé n’avait pas multiplié parmi nous les moyens d’enseignements par la création de collèges, de couvents, d’écoles, dont on ne connait plus le nombre? Il faut que vous fassiez de même; et vous y arriverez. Le journalisme est un des grands moyens pour y parvenir : vous en connaissez la puissance. Vos trois journaux acadiens doivent unir leurs voix pour prêcher cette croisade. Et puisque l’EVANGÉLINE se public dans l’archidiocèse d’Halifax, vous serez merveilleusement secondés par votre éminent Archevêque, dont les sympathies pour la cause acadienne sont universellement connues. Ce qui manque au groupe acadien répandu depuis Digby jusqu’à Pomcoup, l’un des plus nombreux, des plus prospères et des plus intéressants de toutes les Provinces Maritimes, c’est une ou deux bonnes maisons d’éducation dans le genre du collège de Memramcook, où l’on prépare la jeunesse à toutes les carrières, et où les deux langues sont également enseignées. Du jour où il y aura une pareille institution, solidement fondée dans cette partie de la Nouvelle-Ecosse, l’avenir du groupe qui l’habite sera pour jamais assuré. Ces réflexions m’étaient faites, il y a un moment, par mon excellent et vénérable ami, M. Xavier Marmier que je viens de voir chez lui, et qui m’a passé le dernier numéro de votre EVANGÉLINE. Laissez-moi vous dire, par parenthèse, qu’il est charmé, autant que moi, de l’heureux titre que vous avez choisi pour votre nouveau journal : il vous portera bonheur. Le nom d’EVANGÉLINE éveille tout ce qu’il y a de plus touchant dans votre touchante histoire. L’illustre académicien lit votre feuille avec le plus vif intérêt; et il a été très sensible aux remerciments chaleureux que vous lui avec adressés pour l’envoi d’un de ses ouvrages. Vous ne sauriez offrir à vos abonnés une plus charmante et plus utile lecture qu’en continuant à reproduire des passages de ce livre, où l’on peut détacher des perles à chaque page. Vous dirai-je, avant de terminer cette lettre, quelle a été mon occupation pendant mon séjour à Paris cet hiver? Elle ne saurait manquer de vous inétresser, parce qu’elle a eu tout entière pour objet l’histoire de votre chère Acadie. J’ai voulu épuiser la matière, et j’ai fait transcrire tous les nombreux manuscrits qui se trouvaient à Paris, particulièrement aux Archives de la Marine et des colonies. Je ne me suis pas contenté de cela : j’ai fait exprès le voyage de Londres, où j’ai fait copier au British Museum tout ce que renferment d’intéressant les manuscrits du Dr. A. Brown sur la Nouvelle Ecosse; et au Public Record Office (State Office Papers) une masse de documents qui n’ont jamais été publiés. Tout cela est destiné à voir le jour et jettera des flots de lumière dans les recoins de l’histoire restés inconnus, ou laissés à dessein dans l’obsurité. On sera stupéfait de constater jusqu’à quel point certains compilateurs et certains historiens ont trahi la vérité et trompé le public en laissant systématiquement dans l’ombre les pièces accusatrices qu’ils avaient sous les yeux, pour ne publier que celles qui pouvaient couvrir ou pallier les iniquités commises contre les Acadiens. Si j’avais à recommencer la publication de mon Pèlerinage au pays d’Evangéline, je serais beaucoup plus sévère que je ne l’ai été; mais vous ne perdrez rien pour attendre : laissez venir la prochaine édition. Au surplus, tous les documents qui ne pourront y être publiés in extenso le seront dans notre nouvelle revue, le Canada Français. Je serai inexorable pour les coupables, ces continuateurs de l’œuvre des Lawrence et des Winslow; et ce sera le temps de dire : Laissez passer la justice de l’histoire. Votre bien devoué L’ABBÉ H. R. CASGRAIN, D. ès. L.