le journal est-il ou non l'ami du peuple?

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Year
1888
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2
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22
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le journal est-il ou non l'ami du peuple?
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2
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LE JOURNAL EST-IL OU NON L’AMI DU PEUPLE

 

Si le temps n’avait pas prouvé l’importance de l’histoire, on dirait encore : Qu’importe! Bossuet n’était pas plus divin, pas plus instruit que le reste des mortels de son siècle, tout ce qu’il en a dit ne vaut rien l’histoire est une nullité.

 

L’illustre écrivain ne fut jamais un prophète, il ne fut pas non plus un oracle, mais quand il a écrit l’histoire n’est pas seulement utile à un prince, mais à tout homme qui veut jouer un rôle de quelqu’importance dans ce monde, celui qui a fait retentir l’Europe de l’écho de sa mâle éloquence disait une vérité que l’expérience de tous les jours sanctionne.

 

L’histoire peut se diviser en deux versants : Celui de l’antiquité et celui des temps modernes. Qu’on étudie les événements qui se rapportent au premier, qu’on s’arrête plus particulièrement à ceux du second, dans l’une comme dans l’autre de ces vastes divisions, l’histoire – qu’on a appelée la mémoire des ages qu’elle immortalise – nous ouvre l’intelligence à de nouvelles lumières, habitue notre esprit à des raisonnements d’un ordre pratique et utile, nous permet comme simple observateur ou comme représentant de la nation, d’inférer des choses heureuses ou malheureuses du passé si telle législation, si tel mouvement peuvent conduire à de fins enviables pour la société; en un mot, ces pages immortelles qui nous apportent les parfums et les avanies de l’antiquité sont, dans leur ensemble, comme une institutrice qui préside sans cesse aux progrès et aux désuétudes du genre humain.

 

L’histoire c’est tout une école.

 

Et, de même que les fastes sont nécessaires, ainsi les journaux – les bons journaux, cela s’entend – sont utiles, importants, nécessaires, et comme le disait, il n’y a pas encore bien longtemps, un de nos meilleurs orateurs canadiens, le vaillant et indomptable Thibault – le journalisme est l’arme à précision du XIX siècle.

 

Les journaux qui ne représentent qu’un tiers ou les mesquins intérêts d’un particulier; ceux qui prennent le malin plaisir de combattre les malheureux combats que suscitent la jalousie et la haine – deux vices qui à l’instar des maladies sporadiques deviennent bientôt épidémiques si on les laisse poussez de vigoureuses racines – ne sont pas les avocats du peuple. Seuls sont dévoués à la nation ceux qui ont pris pour devise : Aime Dieu et va ton chemin : qui cherchent à ouvrir les sentiers de l’avenir à la jeunesse de leur pays; qui encouragent le culte religieux et moral; dont le rôle est d’instruire leurs lecteurs des choses qu’ils ignorent et qui pourtant sont nécessaires à leur avancement; qui parlent et prêchent pour la gloire de Dieu d’abord, au nom du peuple et pour lui ensuite, c’est-à-dire qui combattent noblement et courageusement pour l’honneur de leurs autels et de leurs foyers, pro airs et focis.

 

L’homme qui ne lit pas ne sait guère ce qui se passe autour de lui, vit peut-être heureux dans son ignorance; mais l’expérience prouve que celui-là ne peut apporter le moindre contingeant de force à l’union sociale parce qu’il ne peut moralement pas en apprécier les fins. L’homme est né pour telle fin; elle n’est autre que celle de se préparer, en ce monde de misères, une couronne pour l’éternité. En conséquence, l’homme qui veut arriver à ce noble but ne doit pas seulement chercher à développer en lui les facultés physiques; il lui incombe de travailler en outre, et plus sérieusement, à ouvrir autant que possible, les horizons de son esprit; à orner cette précieuse faculté des choses qui en feront dans l’occasion une puissante lumière dont les bienfaisantes clartés réjailliront sur tous ses compatriotes.

 

L’homme qui lit un bon journal prouve, par le fait même, qu’il n’est pas indifférent sur les affaires qui intéressent son pays. Celui, au contraire, qui ne lit jamais, qui ne peut même souffrir qu’on ne lise en sa présence, n’est peut-être pas plus méchant que l’autre, pas moins intègre, hospitalier, dévot, mais en matière de principes, il doit nécessairement différer du premier. D’abord par l’habitude de la saine et féconde lecture, l’ami du journal se sera fait des idées fixes sur certains points comme sur certains questions; il aura acquis, dans une certaines questions; il aura acquis, dans une certaine mesure, des principes dont il pourra faire sa gouverne dans des moments critiques – comme il n’en arrive que trop souvent, où tout individu est appelé à exercer son influence bonne ou pernicieuse. Le second – comme un pilote qui s’aventure sur l’océan, sans boussole – privé depuis son enfance de toute gymnastique intellectuelle – agira parceque son voisin agit; travaille au milieu de son champ parcequ’un destin inéluctable l’y pousse; ira aux assemblées publiques par curiosité; mais lui faut-il se prononcer sur une question sociale qui l’intéresse, lui et la nation tout entière : ne fallut il que sa voix pour décider du sort d’une puissance, d’un gouvernement, du bonheur et du malheur de la nation, alors, son influence sera petite, son suffrage sera embarassant pour lui, et l’alternative où il placera ses compatriotes – qui auront les yeux sur lui – pourra être fâcheuse par fois.

 

Ce cas est rare nous direz-vous oui, avouons-le, mais si on peut comparer les petites choses aux grandes, il arrive presqu’à tous les jours. Il est assez rare que le sort de la nation ne repose plus que sur les suffrages d’un seul; par contre, il n’est pas rare que chacun ne soit appelé à appuyer quelqu’un de sa voix. Et, si tous les villageois, les habitants d’une commune ne sont guère plus délurés que l’infortuné dont on vient de donner un exemple, arrive une heure inquiétante, une lutte politique, qu’adviendra-t-il? les choses peuvent tourner à a bien – c’est toujours à désirer – mais aussi malheureusement, faute de lumières, faute de jugement depuis longtemps exercé, on peut, dans un instant, préparer une longue chaine de misères.

 

Naguère un journaliste parcourait certain canton où la population est mixte, non-seulement au point de vue nationale mais aussi sous le rapport religieux. Les exigences d’une politique à la mode du jour demandaient cette visite de sa part. A sa grande surprise, dans presque toutes les familles d’origine écossaise, il trouvait un journal, une revue, un livre; ailleurs, point de journaux, point de livres, rien qui attestât le culte de l’esprit. Ce contraste amena chez lui de sérieuses réflexions. La chose ne lui plaisait qu’à demi. Comme journaliste, cette insouciance le révolta presque. Il lui fallait secouer cette apathie; allumer l’amour de la lumière dans ces cœurs endoloris. Comment faire pour arriver à cette fin, en pleine campagne électorale, alors que tous les moments de l’homme politique sont comptés? Elle lui devint pourtant facile.—Les lecteurs de journaux paraissaient à l’aise, jouir de la vie; les insouciants étaient réellement pauvres. Autour de leurs maisons, de leurs granges, c’était un désordre complet : dans leur intérieur, tout indiquait que la lumière du soleil n’y avait pas encore fait épanouir de fleurs.

 

Les premiers travaillaient systématiquement; les autres, d’après des habitudes routinières. Le blé poussait pour les premiers; les seconds étaient obligés de demander à la mer ce que leurs terres ne leur pouvaient fournir.

 

Le journaliste comprit où il fallait frapper. Il précha, tonna; fit tant et tant que les journaux affluèrent bientôt dans cette commune. Neuf années se sont écoulées depuis lors. Que le même journaliste aille maintenant au milieu de cette vieille commune; contraste étonnant : il verra l’aisance sourire où il plaignait la misère autrefois, et surtout beaucoup de vieillards aux cheveux grisonnants qui lui diront :-- monsieur le journaliste vous aviez raison.

 

Une jeune fille, comme il n’y en a que trop, aimait, nous raconte son père, une brave et honnête acadien de ces Provinces, à courir chez les voisins, à s’amuser toujours ailleurs que sous l’œil de sa mère. La pauvre enfant ne savait ni écrire, ni lire couramment; c’est à peine si elle pouvait réciter son bo bu be, mi mo mu. Le père ne recevait pas de journaux, savait lire, mais agissait comme ceux qui n’ont aucune instruction. Aimant sa fille, désolé de la voir si souvent loin de sa vue, le brave homme s’est dit : allons! un moyen de salut! je m’abonne à un journal. Peu de jours suivirent, et le journal arriva. A partir de ce jour, le père lut, le midi, le soir. La fillette s’intéressa aux lectures du père, et finit par rester quelquefois è la maison pour entendre lire les nouvelles. C’est déjà un bon résultat, dit le bon vieux. Ce commencement eut les plus heureuses fins. La jeune fille se mit à apprendre à lire; à l’étonnement et au plaisir de ces parents, six mois ne s’étaient à peine écoulés que mademoiselle lisait aussi bien sinon mieux que son papa. Aujourd’hui la jouvencelle ne court plus mais reste au foyer. Au lieu d’un journal, son père en reçoit quatre ou cinq. Ce qui payait les souliers qu’elle usait autrefois paye au-delà du prix d’abonnement. Mademoiselle n’est plus une fillette inculte, mais, certes, une jeune acadienne instruite, polie et qui renferme toute l’énergie vitale de sa race.

 

Le journal est le compagnon indispensable de tout homme qui veut jouer un rôle de quelqu’importance dans ce monde. Tout individu n’est pas strictement un rouage indispensable à l’harmonie sociale, mais tout homme doit chercher à agrandir ses moyens d’action. Le journal lui dira que faire, l’éclairera dans plus d’une circonstance difficile : retiendra le soleil dans sa maison.

 

 

 

Il n’est que très peu d’habitants de nos campagnes rurales qui ne peuvent payer, bon an mal an, le prix d’abonnement à un plusieurs bons journaux. Qu’on mette de côte l’argent qu’on dépense follement, en fumée où à son préjuge; qu’on ne manque jamais à cette pratique, et on ne trouvera plus de vains prétextes pour ne pas recevoir dans sa famille au moins un de ces fidèles et dévoués defenseurs de nos autels et de nos foyers.