Conventions nationales des Acadiens (Robidoux) - 1881 - p96-100

Year
1881
Article Title
n.t.
Author
M. G. A. Girouard
Page Number
96-100
Article Type
Language
Article Contents
M. le président, Mesdames et Messieurs, En m’invitant à porter la parole devant cet auditoire nombreux et distingué, où figure un des principaux hommes d’état de la Puissance, ainsi que plusieurs autres de nos amis du Canada, vous me faites un honneur auquel je ne m’attendais nullement. Cependant, quoique pris à l’improviste, j’accède volontiers à votre aimable invitation. L’appel patriotique fait par le comité exécutif de cette convention à nos compatriotes du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse et de l’Ile du Prince-Édouard, ainsi qu’à nos frères les Canadiens, a rencontré, nous sommes heureux de le constater, l’approbation unanime et le plus chaleureux appui. La grade affluence d’étrangers, venus de presque toutes les parties de la Puissance et réunis ici aujourd’hui, nous en fournit la preuve. Amis compatriotes, vous avez entendu le cri patriotique qu’a fait retentir la voix autorisée de ceux à qui incombe cette importante mission, ainsi que celle de notre tout dévoué organe, le Moniteur Acadien; vous en avez étudié le but et l’utilité, et aujourd’hui vous répondez noblement à l’appel. La Nouvelle-Écosse, berceau de notre race, où jadis nos pères ont si vaillamment combattu pour la défense de nos droits légitimement acquis au prix des plus grands sacrifices, l’Ile du Prince-Édouard, leur dernier refuge après les tragiques événements de 1755, ont compris leur devoir en cette occasion et se sont empressés de venir affirmer leur patriotisme en présence de plusieurs de nos frères les Canadiens et de nos compatriotes du Nouveau-Brunswick. Honneur donc et remerciements à vous tous, braves Acadiens, qui avez montré tant de bonne volonté en vous rendant en si grand nombre à notre première convention générale. Mais qu’il me soit permis de dire que nos remerciements ne sont pas dûs à vous seuls. Nous sommes heureux aussi de compter au nombre de nos distingués hôtes plusieurs des principaux membres de la grande famille canadienne. Il nous fait plaisir d’être honorés surtout de la présence d’un de nos premiers hommes d’état, l’hon. Sir Hector Langevin, lui qui a rendu, dans le cours de sa vie publique, de si nombreux et si importants services au pays, et qui porte tant d’intérêt à notre avancement matériel et intellectuel. L’Acadie salue aussi avec joie la présence au milieu de nous des Messieurs Rhéaume et Chouinard qui, le 24 juin de l’an dernier, ont bien voulu nous inviter à prendre part à la grande convention canadienne, où nous avons été accueillis avec une cordiale hospitalité dans la vieille cité de Champlain. Tous deux méritent certainement nos égards et notre reconnaissance. M. Dionne, rédacteur en chef d’un journal canadien, bien connu parmi nous, le Courrier du Canada, et plusieurs autres représentants de la presse, sont venus aussi nous honorer de leur présence, et, en même temps, témoigner de l’intérêt qu’ils nous portent en prenant en notes les détails de cette réunion. Merci donc, amis canadiens, de votre aimable visite: votre séjour au milieu de nous contribuera grandement, nous en sommes persuadés, au succès de cette convention. Issus d’une même origine, parlant tous la belle langue de l’immortel Bossuet et de l’illustre Fénélon, professant la même foi et les mêmes croyances, nous sommes étroitement unis par mille liens différents, à la famille canadienne habitant les bords enchantés du majestueux Saint-Laurent, et nous nous devons, en conséquence, de mutuels égards. Vivant à l’ombre du même drapeau, et régis par les mêmes lois, nos intérêts sont identiques et nous devons travailler d’un commun accord à améliorer notre position. Soyons donc unis à nos frères les Canadiens, qui, depuis si longtemps nous tendent la main; ils n’ont d’autre but que de nous aider, de nous soutenir et nous faire arriver au rang qui nous est réservé parmi les peuples. N’ayons avec eux qu’une même pensée, un même désir, un même but, et convaincus de la vérité de cet axiome que *l’union fait la force+, tendons-leur la main à notre tour, et disons à ces frères qui nous aiment: *Venez, nous voulons marcher de concert avec vous; nous ne sommes qu’un petit peuple connu seulement par ses malheurs; vous avez partagé avec nous nos infortunes, et vous n’avez rien épargné pour les adoucir. Nous vous reconnaissons donc pour nos frères, pour nos amis les plus dévoués et les plus sincères.+ Ne vous laissez pas tromper, messieurs, par cette fausse crainte de fusion avec eux, ces bons amis canadiens. Eh quoi! qu’y a-t-il de lâche et de dégradant dans cette union de deux peuples qui se sentent attirés l’un vers l’autre par une communauté d’intérêts qui leur sont chers! Au contraire, mesdames et messieurs, je vois là une harmonie de sentiment qui décèle la haute origine qui leur est commune. Sur la bienveillante invitation qui nous fut présentée l’an dernier de la part du comité d’organisation de la convention canadienne, nous nous sommes rendus en délégation à Québec. Là nous rencontrâmes des amis, des frères, qui nous reçurent avec toute la sympathie d’une race qui se connaît parceque qu’elle a eu la France pour mère-patrie et, aujourd’hui, la Puissance du Canada pour s’allier et marcher ensemble. On avait pensé à nous, on savait que sur le sol de l’Acadie existait un petit peuple qui, malgré les malheurs dont il avait été victime, conservait encore de cette empreinte de vitalité qui le caractérise hautement; et à cette occasion, on voulut bien lancer un appel du côté des fils de Poutrincourt, afin de les réunir, comme autrefois à Port-Royal, à ceux du noble et vaillant Champlain. Cette mémorable réunion des Canadiens, disséminés depuis le Pacifique jusqu’à l’Atlantique, a porté pour nous ses fruits. C’est d’elle, messieurs, que naquit l’idée de cette convention qui est relevée davantage par la présence d’hommes dont le Canada s’enorgueillit à si juste titre. Ils viennent à leur tour serrer la main de frères qu’une communauté d’infortunes et qu’une identité d’origine rendent encore plus chers. Ils ont été témoins de nos persécutions, ils ont compati à nos malheurs; ils se réjouiront aussi de nos succès. À cette convention, messieurs, viennent de se discuter plusieurs questions d’une importance vitale pour l’avancement tant matériel qu’intellectuel et national des Acadiens. L’éducation, qui a déjà fait de remarquables progrès parmi nous, qui a ouvert une route par laquelle nous pourrons parvenir au rang qui nous est réservé au sein des peuples, mérite certainement la plus sérieuse considération de la part de ceux qui prennent un intérêt tout particulier à son expansion. Car l’éducation est la sauvegarde des peuples; c’est par elle qu’une nation s’élève, grandit, et parvient au but que la providence lui a assigné. À nous donc de l’encourager par tous les moyens à notre disposition et de la répandre parmi nous! Nous formons un petit peuple, il est vrai, mais un petit peuple uni par les liens les plus forts, ceux du sang et de la foi. Nous avons besoin d’un guide pour nous frayer la route que nous devons suivre: d’un patron, un protecteur qui puisse veiller à nos intérêts les plus chers et nous conduire dans les droits sentiers du devoir et de l’honneur. Nous l’avons adopté, ce patron, ou plutôt cette patronne, et chaque année ce sera pour nous un devoir de chômer sa fête. Alors, nous pourrons nous consulter, donner libre cours à nos sentiments de patriotisme, et aviser aux meilleurs moyens pour améliorer notre condition et assurer notre avenir. Deux autres questions, non moins importantes que les premières, viennent d’attirer l’attention de cette réunion: ce sont la colonisation et l’agriculture. La patrie n’appelle pas seulement ses enfants à la défendre sur le champ de bataille; il y a un autre champ d’honneur plus vaste et non moins glorieux que le premier: c’est la colonisation, le défrichement de nos terres encore incultes, ainsi que l’amélioration de nos terres déjà défrichées. C’est à ce champ d’honneur que la patrie convoque aujourd’hui ses enfants. Nous possédons de vastes forêts qui ne demandent que la cognée du courageux bûcheron pour être changées en vastes prairies qui feront la richesse et l’aisance des colons. Que nos gens, au lieu d’aller à l’étranger chercher une fortune qui toujours leur échappe, s’arment donc de courage et aillent s’emparer au plus tôt de ces terres que le gouvernement met à leur disposition à des conditions très avantageuses. Telles sont, messieurs, les mesures soumises à la considération des membres des comités et à la convention tout entière. Elles sont, messieurs, d’un intérêt primordial. Espérons qu’à la lumière qui sortira de cette réunion jailliront des effets de prospérité intellectuelle, agricole et industrielle dont l’État bénéficiera et qui se répandront dans nos trois provinces pour l’avancement, la régénération sûre et croissante du peuple acadien. Espérons également qu’à la prochaine convention acadienne nous aurons tous à constater les heureux fruits de nos travaux d’aujourd’hui, de la convention de 1881; et alors le peuple comprendra encore mieux que de nos jours la force de ce vieil axiome: l’union fait la force. Maintenant, mesdames et messieurs, je n’ose vous retenir plus longtemps, car je craindrais de trop abuser de votre bienveillante attention. L’on m’a accusé d’être une scie qui aurait servi et qui pourrait encore servir à vous scier des faveurs auprès du gouvernement, mais je crains que le même reproche ne s’adresse au mérite de mon discours, qui n’est certainement qu’un discours improvisé. Tout en vous promettant de faire encore usage de ma scie à l’avantage des Acadiens, permettez-moi, avant de terminer, de vous remercier de votre bienveillante attention, et de vous donner lecture de quelques lettres d’excuses, qui nous ont été envoyées de différentes personnes, regrettant vivement de ne pouvoir assister à cette première convention générale des Acadiens.