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BÉNÉDICTION DE LA PIERRE ANGULAIRE DU MONUMENT LEFEBVRE.
Discours d'ouverture
Pour la célébration de la pose de la pierre angulaire du Monument-Lefebvre, prononcé à Memramcook, le 8 juillet 1896, par l’Honorable Juge P. A. LANDRY, président de l’Association des Anciens Elèves du Collège St-Joseph.
Monseigneur,
Révérends Messieurs,
Mesdames et Messieurs,
Je dois avouer qu’il m’est très difficile, même au début de mon discours, de vous cacher la profonde satisfaction et la légitime fierté que j'éprouve en voyant, d’un côté, ce monument plus que demi achevé et qui promet d’être si élégant, si bien proportionné, si majestueux, et, de l’autre, l’immense foule qui se presse aujourd'hui sur le théâtre des travaux énergiques et désintéressés de feu le regretté Père Lefebvre.
Messieurs, l’idée qui a fait construire ce superbe édifice est une pensée généreuse enfantée par la piété filiale et par un sentiment de gratitude exprimé non-seulement par une association ou par une paroisse, mais émanant du cœur d’un peuple tout entier.
Le Père Lefebvre et son œuvre, voilà ce que le peuple acclame aujourd’hui.
Sans doute, il y a eu et il y a encore, dans DOS provinces maritimes, d’excellents prêtres tout aussi saints, aussi zélés, aussi remplis de l'amour du salut des âmes que le fut celui dont le nom est gravé sur la face de ce monument. Pour ces missionnaires qui sont morts, l’histoire n’a point enregistré leur éloge funèbre et les beaux actes de leur vie : leurs dépouilles mortelles gisent sous quelque église de campagne, mais ils n’en jouissent pas moins là-haut de la belle récompense accordée au serviteur bon et fidèle.
C’est à un autre point de vue et en vertu d’autres considérations que la Société des Anciens Elèves, de concert avec le peuple reconnaissant, ont tenu, non par foi enthousiasme, mais par une décision aussi honorable que réfléchie, à rendre un témoignage éclatant de leur attachement à la cause que le regretté Père Lefebvre a si bien défendue, à l’œuvre qu’il a fait fructifier pour notre bien.
Messieurs, plusieurs tentatives ont déjà été faites par nous, depuis cent ans, pour fonder des maisons d’éducation autant à la portée des Acadiens que des autres races, sous l’égide de notre sainte religion. Ici, à Memramcook, on s’y est essayé par trois fois et c’est seulement sous la direction du Père Lefebvre que l’arbre a enfin pris racines, qu’il a grandi et qu’il a porté et qu’il porte encore de si excellents fruits.
Ce n’est donc pas le Père Lefebvre individuellement—quoiqu’il fût un saint prêtre—que nous venons honorer aujourd’hui; nous venons présenter en groupe notre témoignage d’applaudissements et d’admiration pour le succès dont le Révérend Père Lefebvre a couronné une œuvre d’éducation nécessaire ici au bien-être et à l'avancement de toutes les races et de tous les rangs de la société.
Mesdames et Messieurs, à titre de président de l’Association des Anciens Elèves, je salue dont et j’offre la bienvenue à tous ceux qui sont venus acclamer aujourd’hui le plus grand bienfaiteur de l’Acadie française depuis nos pertes et infortunes de 1755.
J’offre d’abord ma sincère bienvenue à vous, Acadiens de cette paroisse, de ce comté et des diverses parties de cette province et de nos provinces sœurs, qui avez laissé vos travaux et vos foyers pour vous rendre à cette mémorable réunion de famille.
Parmi vous, Acadiens-français, le Père Lefebvre a trouvé son peuple de prédilection. Oui, il nous a aimés tous plus que ses propres nationaux; il a aimé notre sol et nos intérêts plus que son pays et les intérêts de sa propre nation. Aussi quand il a eu, une bonne fois; posé le pied sur cette terre qu’il savait avoir été jadis infortunée, il s’y est attaché avec un amour toujours croissant, et son rêve et son unique désir ont été d’y travailler pendant toute sa vie et de mourir au milieu de nous : c’est ce qu’il a fait.
Amis compatriotes, j’aime donc à affirmer publiquement que vous avez coopéré à l’œuvre du Père Lefebvre, par votre générosité à ses appels par votre bonne volonté et votre concours empressé dans ses diverses entreprises, par votre obéissance entière à ses ordres et par la confiance que vous lui avez toujours accordée.
Le Père Lefebvre a trouvé dans les Acadiens une population désireuse d’avoir un guide et malgré qu’il fût étranger à plusieurs de nos coutumes locales, quoique son expérience des affaires dans un pays tel que le nôtre fût, au début, relativement peu formée, vous n’avez douté de rien et le succès a couronné l’œuvre du guide et elle a récompensé la générosité et la confiance de ceux qui l’ont suivi.
Maintenant, Mesdames et Messieurs, parmi les vôtres, vous avez des hommes qui se dévouent à continuer l’œuvre d’éducation commencée sous de si heureux auspices par le Révd. Père Lefebvre Plusieurs des premiers enfants que notre fondateur a fait instruire ici, dans cette paroisse, se sont consacrés à cette humble mais noble et généreuse tâche de la haute éducation de notre jeunesse, et ils le font sans autre récompense que celle que Dieu et la patrie accordent aux âmes dévouées et travaillant d’une manière désintéressée et pour le bien du peuple.
A vous maintenant, Canadiens-Français, j'offre aussi une cordiale bienvenue. Non seulement la cérémonie d’aujourd’hui est une belle page dans notre histoire, mais elle devra avoir sa place dans vos annales.
C’est un de vos enfants que nous honorons aujourd'hui; en érigeant à sa mémoire et en son honneur un monument de vingt mille dollars, nous avons droit de vous dire que jamais un élève de votre sanctuaire n’a été plus somptueusement et plus sincèrement honoré chez vous ou à l’étranger.
Messieurs,il n’y avait presque rien de fait ici en 1864, lors de l’arrivée du Révd. P. Lefebvre. Et quoique notre population qui est laborieuse et intelligente ait toujours été peu favorisée des dons de la fortune, voyez ce qui a été fait dans l’espace de trois décades. Oui, si monumentum quaeris, circumspice; si vous cherchez la raison de ce monument, voyez l’œuvre du Père Lefebvre dans ce collège St-Joseph, dans ces deux couvents : voilà les fruits do l’œuvre implantée par l'énergie et le dévouement de celui que nous honorons aujourd’hui.
A nos amis et frères, les enfants de la Verte Erin, à nos généreux contemporains,—à quelque race et croyance qu’ils appartiennent, nous offrons aussi une fraternelle bienvenue.
Feu le Révérend Père Lefebvre fut bon et généreux envers tous. Il a fondé son œuvre pour tous : il a visé à organiser les cours d’étude de sa maison, la discipline de son collège de manière à ce qu’égale chance fut octroyée à tous, et afin que l’accès aux diverses classes de son établissement fût facile pour tout le monde.
Messieurs, c’est une idée de patriotisme, de haute convenance qui vous a réunis ici, en cette solennelle occasion, pour nous assurer que vos sympathies et votre approbation sont pour l’œuvre du Très Révd Père Lefebvre et sont en unisson avec l’hommage qui lui est rendu en cette circonstance.
En certains lieux, on a pu taxer notre entreprise de téméraire, quoiqu'elle fût, comme je l’ai donné à entendre, la décision réfléchie et unanime d’un comité de trente anciens élèves, tous hommes de quarante ans et au-delà, c’est-à-dire d’un âge mur si jamais, et sentant, pressentant la responsabilité de leur tâche. Mais nous avons appelé à notre secours, alors comme aujourd’hui, les admirateurs de l’œuvre du collège de Memramcook et le peuple qui aima toujours le dévoué fondateur de cette institution.
Mesdames et Messieurs, nous osons espérer que tous, vous ferez votre part dans l’offrande du tribut de gratitude et que vous prendrez votre part dans la liquidation des dépenses comme nous vous avons invités à partager dans les honneurs du jour. —Car je le dis en terminant, ce monument dont la pierre anglaise va être posée dans quelques instants, ne racontera pas seulement la belle carrière du Révérend Père Lefebvre : elle redira la reconnaissance de ceux pour lequels il s’est gratuitement dévoué.
Il n’y a que trente deux ans que cette institution s’est élevée. Que sera-t elle dans trente ans de plus? Nous l’ignorons : mais nous espérons qu’elle ne sera pas inférieure à aucune maison d’éducation du Canada.— Il est probable, très certain même que la plupart d'entre nous, les anciens élèves, ne verront pas cette époque de trente ans dans l’avenir.
Mais quand nos fils, nos neveux et nos arrière-neveux passeront devant cet édifice et qu’ils demanderont pourquoi 1’ouvrier y a mis plus d’art, plus de goût et d’architecture que dans les autres constructions de notre collège, vous répondrez, Messieurs, que c’est un monument élevé par les anciens élèves du collège St-Joseph avec le concours généreux d’un peuple reconnaissant, à la mémoire du bon et regretté Père Camille Lefebvre.
Jeunes gens qui m’écoutez aujourd’hui, quand, plus tard, vos enfants ou les visiteurs de autres paroisses ou les étrangers vous demanderont pourquoi sur cette pierre angulaire, le ciseleur a gravé les deux chiffres 1864 et 1896, pourquoi au-dessus de la clef de voute de la porte d’entrée on a taillé dans le roc les lettres du nom “Lefebvre,’’ vous leur répondrez que c’est le témoignage de reconnaissance que les premiers élèves du collège St-Joseph ont dédié en 1896 à l’éternel souvenir du fondateur de cette institution de Memramcook. Vous leur direz également qu’ils ont désiré fortement consacrer ainsi l’importance de l’éducation pour vous et vos descendants et qu’à cet effet, ils ont voulu que le nom et les bienfaits du Père Lefebvre ne périssent jamais dans la mémoire des générations qui viendront après nous.