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Cher monsieur,
C’est avec une profonde reconnaissance et un bien vif regret que je reçois si tardivement votre aimable lettre du 10 mai dernier.
Cette lettre adressée par vous à M. Rameau, député de Versailles à notre chambre législative, avec lequel je n’ai aucune relation, est demeurée entre ses mains jusqu’à ces derniers temps. Ce n’est qu’après beaucoup de démarches et de renseignements pris parmi ses collègues de la chambre, avec une obligeance dont j’ai du reste à le remercier, que ce monsieur est parvenu à trouver mon adresse; il m’avisa alors qu’il avait reçu d’Amérique pour moi, non seulement votre lettre, mais plusieurs autres, erreurs qui avaient été le résultat de la même confusion de noms, ainsi qu’un certain nombre de journaux et publications qu’il tenait à ma disposition.
Une fois cette relation établie entre lui et moi, il m’a réexpédié tous les écrits et paquets qu’il avait à moi; malheureusement tout ceci se passait à la fin de juillet, ce qui me rendait impossible non seulement d’accéder à votre utile et généreuse convention, mais même de répondre en temps convenable à votre lettre.
Ces explications données, permettez-moi de vous dire que votre nom m’a été doublement connu lors de mon voyage en Amérique : 1er par la famille Girouard de Tracadie N.S. à laquelle appartient Messire Girouard, curé de Chéticamp, 2e par M. Anselme Girouard de Bouctouche, qui eu pour moi toute espèce de politesse et d’obligeance. Peut-être appartenez-vous à l’une ou l’autre de ces deux familles, et en tout cas vous êtes de leur parenté, car tous les Girouards d’Acadie et du Canada sortent de la même souche. Je vous prie donc tout particulièrement, si vous voyez M. Anselme Girouard, de lui dire tout le bon souvenir que j’ai gardé de lui ainsi que de M. Leon Allain, et de tous ses amis de Bouctouche. J’aurais eu le plus vif plaisir à les revoir tous, et aller visiter avec eux la paroisse en haut, tout en haut de Bouctouche, à la fondation de laquelle j’avais coopéré en 1864 ou 65 avec le digne abbé Belcourt de Rustico, mon vieil ami.
Mais en même temps que vous serez l’interprète de mes regrets près de ces messieurs du comité acadien, veuillez les assurer de toutes mes sympathies pour l’œuvre qu’ils ont entreprise. Les très heureux résultats que les paroisses canadiennes dispersées aux Etats-Unis ont retirés de ces conventions, sont de très heureux présage pour vous et doivent vous inspirer de légitimes espérances pour l’avenir et le succès de cette convention.
Permettez-moi donc à ce sujet de vous suggérer une idée, qui peut-être sera venue à quelques uns d’entre vous : Vous n’ignorez pas que les paroisses acadiennes du Madawaska sont divisées par le fleuve entre les deux pays limitrophes l’Etat du Maine et le Nouveau-Brunswick. Or tout dernièrement il y a eu une convention canadienne dans l’Etat du Maine dans laquelle ces paroisses acadiennes ont été représentées. Cette convention a jeté un certain éclat; elle était présidée par le Dr. Leprohon et il s’y est trouvé deux Canadiens fort distingués–le Dr Montmarquet de Lewiston; et le Dr Martel aussi de Lewiston, tous les deux fixés dans le Maine depuis longtemps.
Or je pense qu’il serait utile de vous mettre en rapport 1er avec les Acadiens du Maine qui sont immédiatement vos voisins et 2e avec les messieurs dont je viens de vous citer les noms. Les Acadiens du Maine, comté d’Aroostook, qui sont absolument des familles démembrées de ceux de votre Madawaska, doivent en toute circonstance être considérés comme étant des vôtres, et participer à toutes vos chances, à tous vos efforts, à toutes vos destinées. Vous n’êtes pas trop nombreux pour ne pas rattacher étroitement avant tout ceux qui sont de votre famille.
Quant aux messieurs dont je vous parle, ils font partie depuis longtemps des conventions tenues aux Etats-Unis et ils ont une grande expérience de ce qui s’y fait, surtout le Dr Montmarquet que je vous recommande comme un homme des plus intelligents et des plus dévoués. Ces messieurs pourraient donc dans une prochaine réunion de votre convention, vous apporter le concours précieux de leur expérience pratique, et serviraient en même temps de lien entre vous et les éléments français du Maine. La convention a eu lieu à Waterville le 24 juin dernier. M. le Dr Montmarquet demeure à Lewiston (Maine).
Maintenant, permettez-moi de vous recommander encore de penser surtout et avant tout à la colonisation; c’est en juxtaposant de nouvelles paroisses à celles qui ont été primitivement fondées au bord de la mer que les Acadiens parviendront à acquérir une assiette solide. La population acadienne est assez nombreuse pour se maintenir, les Canadiens comptaient bien moins de monde en 1763; mais leur côté faible c’est la dispersion de toutes leurs paroisses dans le N. Brunswick comme dans la Nlle-Ecosse, produite par le malheur des temps; il faut donc par-dessus tout contre balancer cette dispersion en s’agglomérant autour des centres les plus nombreux et les plus forts.
Enfin ne serait-il pas possible d’attirer une portion de l’émigration canadienne, surtout dans le comté de Ristigouche, pays à peine peuplé contigu au comté de Bonaventure, et qu’il serait si facile de conquérir, lors même qu’il n’y viendrait que 50 familles canadiennes par an!
Adieu, mon cher monsieur, je vous renouvelle ainsi qu’à tous les membres du comité, et à tous ceux que j’ai connus durant mon voyage, mes civilités et mes amitiés. Veuillez en même temps quand vous les verrez me rappeler au souvenir de M. l’abbé Lefebvre de Memramcook et à celui de MM. Richard et Biron du collège St Louis; et croyez vous même, monsieur, aux sentiments de sympathie et de considération avec lesquels j’ai l’honneur d’être
Votre tout dévoué,
E. RAMEAU.