Une plaie rouverte

Newspaper
Year
1895
Month
3
Day
7
Article Title
Une plaie rouverte
Author
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Page Number
2
Article Type
Language
Article Contents
UNE PLAIE ROUVERTE Le gouvernement fédéral vient encore de blesser les Acadiens au plus intime de l’âme; il vient de rouvrir une plaie que si peu de chose fait saigner, de raviver une douleur qu’il nous devrait adoucir par tous les moyens; et, c’est le 17 juin 1895 qu’il prête à l'étranger une main bénévole pour meurtrir le cœur acadien de nouveau. En effet, à cette date, de concert avec une certaine société des guerres coloniales du Massachusetts, il élève à Louisbourg, un monument destiné à rappeler l'écrasement définitif de nos ancêtres. C’était en 1745, les Acadiens brûlaient leurs cartouches contre leurs concitoyens d’aujourd’hui que la politique d’alors désignait comme leurs ennemis. Le gouverneur du Massachusetts, Shirley forma le projet d’enlever Louisbourg aux Français. Il enrôla quatre mille volontaires et les mit sous les ordres du colonel Pepperell. Au mois d’Avril la flotte arrivait à Canso où le rejoignit le commodore Warren avec plusieurs vaisseaux de guerre. Après trois semaines la flotte ancra dans la baie de Gabarus à l’ouest de Louisbourg où un corps de troupes prit terre et se dirigea sur la place qui se trouva dès lors entre deux feux, ceux de Peperell sur la terre ferme, ceux de Warren par mer. Le gouverneur de Louisbourg était Duchambon, et, laissé à lui-même, ayant perdu une batterie dont les canons furent tournés contre lui, attendant vainement des secours de France qui deviennent la proie des Anglais, il vit bientôt la défense se désorganiser. Le bombardement n'épargnait rien; les soldats sans solde maugréaient; les habitants de la place présentaient à Duchambon requête sur requête pour qu’il se rende. Enfin, il hissa le drapeau blanc et sortit de la forteresse avec les honneurs de la guerre, enseignes au vent. Jusque là l’expédition avait été menée assez militairement, mais les troupes de Pepperell se livrèrent bientôt à tous les excès, si bien que l’ivresse et les maladies en enlevèrent douze cents. Voilà le fait historique. Les Acadiens du Cap-Breton, dès lors, durent chercher un refuge dans les bois, laisser à d’autres leur colonie déjà florissante, et planter ailleurs une tente, une hutte, refaire leur patrie à nouveau enfin. Désormais, nous sommes citoyens du Dominion au même titre que les membres du cabinet fédéral; nous remplissons nos devoirs civiques; nous payons nos taxes, conséquemment nos droits à la justice et au respect; nous sommes cent trente mille qui devant les faits accomplis, avons courbée la tête et oublié la France à titre de gouvernement sans murmurer; nous ne sommes pas des rebelles vaincus qu’il est bons d’humilier, donc, nous protestons contre l'érection d’un monument à Louisbourg. Comment, on serait assez servile et vile à Ottawa de permettre à une société des Etats-Unis, de venir sur notre propre territoire rappeler des hontes et des douleurs à une notable et honorable portion du peuple canadien! Faut-il que nous croyons aux largesses de vue du gouvernement fédéral pour revenir sur sa décision et ne pas consommer l’affront. Sinon, nous supplions le gouvernement Fielding, qui nous a toujours été bienveillant et équitable, de s’opposer à l’accomplissement de cet acte, s’il en a le pouvoir. Il sait que les Acadiens lui sont attachés dans une immense majorité, que s’il en est qui ne partagent pas ses vues politiques, il n’en est point qui doutent de sa droiture et de ses bonnes intentions. Il n’ignore pas l'appui qu’il a mérité de nos populations en retour de ses faveurs passées, il y mettra le comble en prenant en main notre défense. Cinq des nôtres siègent avec lui, quatre lui ont toujours été fidèles, il ne leur laissera pas monter le rouge au front s’il peut l'empêcher. Que ferons-nous à cet effet? Signerons des pétitions? Nos députés interpelleront-ils le gouvernement? Nous laisserons nous jeter l’insulte au front par ces yankees en quête d’ignominies? Il faut que quelque chose soit fait. L’oubli est la plus belle des vertus chez les nations comme chez les individus, qu’on se le rappelle. On nous engage à oublier. Mais, nous le faisons tous les jours, pourquoi nous en ferait-on repentir!