Correspondance: quelques notes sur Boucthouche

Year
1890
Month
2
Day
28
Article Title
Correspondance: quelques notes sur Boucthouche
Author
Sylvain
Page Number
2
Article Type
Language
Article Contents
Correspondance. QUELQUES NOTES SUR BOUCTOUCHE. M. le Rédacteur, Nos cinq familles fondatrices de la Paroisse de Bouctouche se mettent donc en route le 15 mai 1786 pour leur destination. Il faut traverser à Gédaïc par un étroit sentier à peine tracé à travers les forêts. Il y avait encore de la neige dans les bois et les dégels du printemps avaient considérablement gonflé les cours d’eau. Le temps était peu propice à ce long voyage, mais les nouveaux habitants voulaient se rendre à temps pour faire quelques semailles. Les enfants qui peuvent marcher trottinent à la suite de leurs parents, tandis que les plus petits sont portés dans les bras de leurs mères. Le bagage n’est pas volumineux, mais il faut tout porter sur les épaules. Quelques pauvres couvertures, très peu d’habits dont la plupart en toile du pays, une hache et un couteau de chasse faits à la forge, une petite marmite, un fusil, une tranche (pioche) et quelques gamelles, voilà à peu près tout le ménage de chaque famille. Ils emportèrent aussi du blé, du blé d’inde et des patates pour les confier à la terre aussitôt après leur arrivée. Comme toutes choses ont leur intérêt dans ces commencements, la tradition nous dit que Rosalie LeBlanc, femme d’Isidore Bastarache, emportait dans ses trousses une douzaine d’œufs de poule avec une future maman qui devait les couver sur les rives de Bouctouche. Mais dans le trajet Rosalie eut le malheur de casser la moitié de ces œufs; et pour comble de malheur quand plus tard le reste de la couvée fut rendue à son terme, deux poulettes seulement sortirent de l’écaille. Rosalie, paraît-il, "s’en prit à ses yeux, " (elle pleura amèrement). Trois poules, sans coq donnaient peu d’espérance pour l’avenir de la colonie. Cependant, deux ans plus tard, Rosalie faisait à pied un voyage à Memramcook, et elle ne manqua pas, à son retour d’emporter le père de la race "gallicane" qui remplit aujourd’hui toutes les basses-cours. Comme dit plus haut, chaque famille avait sa petite marmite, que l’on appelait généralement "tourtière," et cette marmite, avec une chaudière et une chopine en ferblanc, formaient à peu près tout le ménage de la cuisine. Madame David H. Girouard, Henriette à François (Sacitte) à François LeBlanc, conserve encore, comme une précieuse relique, le couvercle de la marmite que son grand-père apportait alors à Bouctouche. Nous trouvons aujourd’hui, chez Michel Boucher, le poële que François LeBlanc apportait aussi de Memramcook à cette époque. Une autre relique de ce temps là et qui mérite une mention spéciale est un autre poële que les ancêtres de Rosalie LeBlanc, femme d’Isidore Bastarache, après la déportation de Grande Pré, avaient arraché des débris de leur maison incendiée par les braves soldats anglais et avaient transporté à Memramcook. Rosalie hérita, je ne sais comment, de ce précieux trésor et elle y tenait tant et si bien qu’elle l’emporta, malgré mille difficultés, avec elle à Bouctouche. Il paraît que cette Rosalie quoique de petite stature avait la force de trois bons hommes. Nous la voyons plus tard charger deux cents livres de sucre d’érable sur son échine et se rendre à Memramcook à travers le bois pour changer ce fruit de sa propre industrie pour de la laine et d’autres objets utiles à sa famille. Elle faisait la pêche et la chasse avec grand succès, et sur ses vieux jours elle plainait son mille bardeaux par jour qu’elle vendait aux Canadiens qui commençaient à venir en goélettes chercher des huîtres pour le marché de Québec. A son départ de Memramcook, elle avait placé les plaques de son poële les unes sur les autres, les avait bien liées avec des courroies de frêne, et elle plaça le précieux fardeau sur son échine pour le transporter à Gédaïc. Cependant on la dissuada de cette entreprise, et les parents, qui accompagnaient la caravane jusqu’aux bords de la mer pour aider à transporter le butin, se chargèrent de transporter le poële. Ce poële est aujourd’hui en possession de Daniel à Joseph à Joseph LeBlanc marié à Mathilde à Michel à Isidore Bastarache. Ce dernier Joseph LeBlanc était frère de François et Charles, et viendra bientôt rejoindre ses frères à Bouctouche. Le vieux Charlitte LeBlanc avait donné à ses deux garçons François et Charles une scie de long dont ils devaient se servir, eux et leurs compagnons, pour fabriquer les planches nécessaires pour se bâtir, leur enjoignant bien d’en donner le service gratis quand le temps serait venu, pour bâtir une chapelle. Cette scie a rendu d’immenses services à la colonie, et, après cent ans de travail, pendant lesquels elle a naturellement perdu toutes ses dents, elle se repose maintenant dans le grenier d’Octave à Pierre à François Leblanc. Il y a encore les descendants de ces cinq premières familles plusieurs objets insignifiants en eux-mêmes, mais dont la collection serait certainement d’une grande importance pour les amateurs de l’antiquité de la paroisse de Bouctouche. Ces objets rappellent une foule de souvenirs qui remontent jusqu’aux anciens jours de l’Acadie. Cette soie par exemple, dont je viens de parler, venait directement de la France avant la conquête, et une plume habile pourrait faire, à son sujet, tout un roman qui amuserait les curieux de légendes. Mais continuons notre récit pour le moment, et peut-être au risque d’être très ennuyeux à vos lecteurs en dehors de la population de Bouctouche. Ici, cependant, les gens paraissent extrêmement intéressés à ce qu’ils appellent bien naïvement les révélations du passé. La caravane arrivait à Gédaïc le 17 mai vers le soir et elle campa à l’embouchure de la rivière Scoudouc où les attendaient les bateaux faits l’hiver précédent pour le trajet à Bouctouche. Pendant la nuit, lorsque tous reposaient à l’abri des bateaux que l’on avait renversé la goule en bas, tout le monde fut soudainement réveillé par la visite d’un vieux maître martin et de sa commère. Très hardis dans ces temps-là, les deux ours voulurent faire l’inventaire des provisions de nos voyageurs ; mais en un clin d’œil, Rosalie, qui donna l’alerte la première, empoigne le fusil, et abat martin presqu’à ses pieds, tandis que François et Charles, au même instant, percent l’autre animal de leurs balles. Après ce moment d’épouvante, l’on peut s’imaginer les cris de joie et de triomphe qui éclatent sous tous les toits improvisés. Au jour, toutes les marmites sont au feu et la viande fraiche est servie en abondance au déjeûner. Ici une imprudence manqua coûter la vie d’une des petites filles à Jean Desroches. Il y avait encore au rivage quelques glaces qui se projetaient dans la mer. L’enfant, portant à ses pieds des sabots en bois, s’avance sur ces glaces très inclinées, perd l’équilibre et glisse, en criant de toutes ses forces, dans les eaux profondes. Un cri de désespoir s’échappe de toutes les poitrines, et son père, se précipitant à son secours, se trouve lui-même enfoncé dans l’eau jusqu’au coup. Tous les deux furent retirés cependant sans trop de peine, et l’ont appris ainsi le danger qu’il y a pour les enfants à fréquenter les rivages pendant la fonte des glaces. La caravane s’embarqua sur les bateaux le 18 mai par un temps magnifique, et, après avoir passé la nuit suivante sur l’île de Cocagne l’on se rendit le lendemain à Bouctouche pour y vivre jusqu’à la mort et y laisser une prostérité qui ne mourra jamais. François et Charles s’établirent sur la Pointe fermée par les embouchures des Rivières Bouctouche et Madagouïac où vit encore le petit fils de François, Octave à Pierre à François LeBlanc. Isidore et Joseph s’établirent sur le lot suivant en montant la rive sud de la Rivière de Bouctouche où résident aujourd’hui les filles de Joseph à Isidore Bastarache. Joseph est mort il y a cinq ans à l’âge de 94 ans après avoir été marié 66 ans à Perpétue à Osée à Julien Collet qui vit encore. Jean Desroches prit possession du second lot de la Pointe formée par les embouchures de la Rivière Bouctouche et Mescognes (Black River) où résident les héritiers de défunt Joseph Maillet. Votre serviteur, SYLVAIN.