Vieux forts de l'Acadie

Year
1884
Month
7
Day
3
Article Title
Vieux forts de l'Acadie
Author
J. G. Bourinot
Page Number
1
Article Type
Language
Article Contents
VIEUX FORTS DE L’ACADIE TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR M. PASCAL POIRIER (Suite) Si vous allez à Annapolis, les habitants vous diront qu’ils sont fiers de deux choses : du passé historique de leur ville, et du fait que le général Williams de Karson est né. Un chemin de fer traverse aujourd’hui l’aube recouvre à peine les monuments d’antan; et les anciens sont plus empressés à montrer aux voyageurs quelques unes des reliques du « vieux temps » que cette locomotive dont les grognements aigus et les bouffées d’épaisse fumée semblent une dérision du passé. Souvent encore, aux alentours de la ville, la charrue du laboureur déterre des ustensiles et des armes, à moitié dévorés par la rouille, jetés là ou oubliés par les français; et les vieux vous parleront d’une grosse pierre, portant en chiffres arabiques profondément gravés, la date de 1604, ainsi que des emblèmes maçonniques ciselés grossièrement. Cette pierre, comme bien d’autres souvenirs historiques intéressants trouvés dans la Nouvelle-Ecosse, a disparu sans que l’on sache ce qu’elle est devenue. A l’heure qu’il est, aucun édifice datant de la nomination française ne reste debout à Annapolis, quoique cette domination soit toujours attestée par les ruines du fort, qui ont pendant longtemps servi de casernes aux troupes britanniques. Le touriste, tant soit peu antiquaire et amateur de la nature, trouvera d’amples dédommagements aux fatigues du voyage, si seulement il parcourt, au travers les plantureuses vallées des comtés de Kings et d’Annapolis, la région qui sépare Windsor de Port-Royal. Il verra sur son passage des jardins, des prairies et des vergers tels que n’en produisent pas le district de Niagara et les zones les plus fertiles de l’Ontario. Ces belles terres, ce sont les premiers que les vieux cultivateurs acadiens ont soustraites aux flots envahisseurs de la baie de Fundy, et elles sont toujours d’une fertilité prodigieuse. On trouve encore aujourd’hui, dans quelques comtés de l’ouest de la Nouvelle-Ecosse et notamment dans le township de Clare, des descendants des premiers Acadiens. C’est une race un peu indolente, mais industrieuse, et remplie de religion, et qui s’attache avec obstination aux vieilles traditions d’un autre âge. Cependant, pressés de tous côtés par un peuple plus entreprenant, les Acadiens commencent à vouloir sérieusement prendre leur place au soleil et à sortir de leur isolement. De tous les forts français de l’Acadie, il n’y en a aucun dont l’histoire soit plus intéressante que celui qui fut construit sur la rivière Saint-Jean par LaTour. Charles de Saint-Etienne, seigneur de la Tour, est incontestablement le plus entreprenant de tous les « gentilshommes aventuriers » qui vinrent de France, à cette époque, se tailler un domaine sur le continent d’Amérique. Nous le trouvons errant tantôt avec les Sauvages dans les profondeurs de la forêt, et tantôt s’entourant, comme un vieux seigneur féodal, de tous ses partisans, et combattant avec intrépidité pour la défense des postes français de l’Atlantique et de son fort de la rivière Saint Jean. Biencourt, fils du baron de Poutrincourt, légua en mourant (1623) ses droits sur Port-Royal à son ami LaTour, qu’il nomma son successeur. Celui-ci, cependant, pour une raison ou pour une autre, se retira au Cap Sable, où il construisit un fort qu’il appela le fort Saint Louis. Plus tard il abandonna Cap Sable pour aller s’établir à l’embouchure de la rivière Saint Jean. Frappé par la position stratégique de ce dernier endroit, il y éleva un fort, en 1627, à l’extrémité d’une pointe de rocher qui s’avance dans le hâvre. C’était un ouvrage en terre d’environ quatre-vingts pas de diamètre flanqué de quatre bastions sur chacun desquels il plaça six canons de fort calibre. A cette date, les colonies de la Virginie, de New-York et de la Nouvelle Angleterre avaient atteint un degré de développement bien supérieur à celui des établissements français de l’Acadie. L’irrésistible esprit d’entreprise des premiers colons anglais portait déjà ses fruits surtout dans la Nouvelle Angleterre. Québec même était alors une ville insignifiante avec une population de 500 âmes tout au plus. Après Québec, les villes ou plutôt les villages, les plus importants de la Nouvelle France étaient Trois Rivières et Tadoussac, deux factoreries ayant une certaine importance commerciale. Les seuls postes occupés par les Français en Acadie étaient Port Royal et le fort de la rivière Saint Jean; au Cap Breton, ils n’avaient que quelques habitations isolées, occupées l’été par des pêcheurs basques et normands. L’histoire du fort de la rivière, la rivalité de [illisible] d’une [illisible] du chevalier d’Aulnay de Charmsay. L’un et l’autre se prétendaient propriétaires de l’Acadie; et tous deux combattirent pour la possession de la péninsule et du fort de la rivière Saint Joan avec une persévérance et une férocité inouïes. C’est ici que l’on voit entrer en scène, pour la défense des droits de son mari, l’héroïque épouse de La Tour. Cette femme déploya, pendant cette longue et sanglante rivalité, un courage, une énergie dont nous voyons peu d’exemples dans l’histoire. Elle se chargea de plusieurs missions importantes en Angleterre et au Massachussetts, et rendit, chaque fois, de signalés services à son mari. Mais ce qui l’a rendue à jamais célèbre, c’est son héroïsme à défendre, à deux reprises différentes, le fort de la rivière Saint Jean contre d’Aulnay, qui profitant de l’absence de son rival, avait cru facile de s’en emparer. La première attaque fut repoussée victorieusement. D’Aulnay revint quelque temps après mettre de nouveau le siège devant le fort dont il se rendit maître, cette fois, en accordant aux assiégés une capitulation honorable. Mais manquant à sa parole, il souilla sa réputation de gentilhomme en faisant prendre toute la garnison, à l’exception d’un soldat qu’il contraignit à se faire le bourreau de ses compagnons, et cela en présence de la malheureuse femme qui assistait à l’[illisible] la corde au cou. Le cœur brisé par de si grand revers, elle mourut à quelques mois de là. A la suite de ces évènements, La Tour reçut du roi une nouvelle commission du gouverneur de l’Acadie, et–ô l’inconstance des hommes!–épousa la veuve de son rival, lequel s’était noyé en 1650, dans la baie de Fundy. Vers la même époque–1651–l’Acadie étant tombée au pouvoir des Anglais, La Tour obtint de Cromwell une concession considérable de terrains. Ce n’est qu’alors qu’il abandonna définitivement son fort de la rivière Saint-Jean. L’histoire de ce fort ne fournit plus, sous la domination anglaise, de ces épisodes émouvants comme ceux que nous venons de voir. Quand, en 1670, l’Acadie fut rendue à la France, il se trouvait dans un état de ruine presque complète. Une petite garnison l’occupait encore, cependant, vers la fin du dix septième siècle. Mais en 1701, le gouverneur français le fit raser jusqu’à l’égalité du sol. Dans le cours de l’année 1758, le colonel Moncton ayant reçu l’ordre du gouverneur de Port Royal d’aller s’emparer définitivement de la rivière Saint Jean, la chose fut vite exécutée, et bientôt l’on vit le drapeau anglais flotter le long du parcours de la belle et grande rivière, depuis la frontière du territoire canadien jusqu’à l’Atlantique. Le vieux fort de La Tour changea alors pour quelque temps d’aspect. Ses remparts démolis s’élevèrent de nouveau vers le ciel et se couronnèrent de canons. Mais pour obtenir le privilège de revivre, il lui fallut abandonner son antique nom de fort La Tour pour celui de fort Frédéric, qu’il prit en l’honneur du souverain de la nation à laquelle il appartenait désormais. À partir de cette époque jusqu’au jour où il disparut, enseveli sous la poussière des années, ou balayé par les flots envahisseurs de la baie de Fundy, son histoire est la monotonie même. C’est pourquoi nous n’en suivrons pas le fil. Cependant il n’y a guère longtemps que l’on pouvait distinguer encore quelques uns de ses contres forts, recouverts aujourd’hui de jardins, de verdures et d’habitations. A mesure que le vieux fort tombait en ruine et s’en allait en poussière, une des villes les plus commerciales de la Confédération canadienne s’élevait sur son emplacement. De gros navires chargés de produits de tous les pays du monde, stationnent maintenant à deux encablures du lieu où flottait jadis le fier drapeau de la France; et les vaisseaux qui descendent cette belle rivière, emportant dans leurs flancs les richesses de toute la province, saluent en passant le tombeau des vieux pionniers qui crurent un jour que leur fort serait le noyau d’un grand empire français en Amérique. Toutes les anciennes villes françaises de l’Acadie sont tombées pour ne plus se relever; Port-Royal, l’orgueilleux Port Royal n’est plus qu’un simple hameau; Louisbourg est un champs désolé, où les brebis vont chercher un maigre pâturage; mais des ruines du fort de La Tour est née une et témoignant au travers les siècles de la sagesse des Loyalistes anglais, qui ont choisi ce vaste et superbe port de mer pour en faire le centre de leurs établissement au Nouveau-Brunswick. Néanmoins, parmi toute cette population laborieuse qui circule dans les rues où furent autrefois les tombeaux des compagnons de La Tour, personne ne se souvient plus des premiers fondateurs et des premiers possesseurs. Seul le chercheur, l’historien songe encore que : Ces jardins, ces palais à d’autres appartiennent Qu’au fonds de leurs cercueils, dans leurs poudreuses mains, Les maitres d’autrefois, les premiers, les seuls, tiennent Tous leurs titres écrits sur de vieux parchemins. Transportons nous maintenant à cette étroite lisière de terre, trait d’union entre le Nouveau Brunswick et la Nouvelle Ecosse, et connue sous le nom d’isthme de Chignecto. Nous ne sommes plus à l’époque de la naissance des colonies anglaises et françaises en Amérique; elles ont toutes deux, ces dernières surtout, pris un grand développement, et Montréal et Québec sont en train de devenir deux villes importantes. Anglais et Français étaient, à cette époque-là, dans un état de malaise, de méfiance mutuelle; et les autorités de Port Royal et de Halifax affectaient de ne pas avoir foi dans la fidélité des Acadiens, qui, dans l’espace de cent cinquante ans, s’étaient multipliés et la province. Comme pour précipiter les évènements, le commandant des forces françaises fit ériger un fort, le fort Beauséjour, vers l’embouchure de la rivière Missisquêche, dans le voisinage de Beaubassin, alors un des établissements acadiens les plus populeux. Aussitôt le major Lawrence envoya un détachement de soldats construire un autre fort, en face du premier, de l’autre côté de la rivière, à l’endroit où s’élève aujourd’hui la florissante petite ville de Amherst. Ce fort fut appelé du nom du major anglais. Les hostilités ne tardèrent pas à s’ouvrir; et, à quelques mois de là, le village acadien de Beaubassin était détruit, et le fort Beauséjour, aujourd’hui fort Cumberland, tombait aux mains des Anglais. A l’histoire de tous les forts français de l’Acadie se rattache quelque nom fameux. Les noms de Poutrincourt et de La Tour nous apparaissent comme des auréoles flottant au-dessus des forts de Port-Royal et de la rivière Saint-Jean. Celui de Le Loutre, qui fut pendant plusieurs années missionnaire en Acadie, est intimement lié à l’existence et aux revers de Beaubassin et de Beauséjour. Ses ennemis–et personne en Acadie en comptait plus parmi les Anglais–ses ennemis nous le peignent comme un homme plein de ressources et de cruauté. Il est certain qu’il détestait les Anglais de tout son cœur, et que pour contre carrer leurs desseins en Acadie, tout moyen lui paraissait bon. Que sous sa soutane de prêtre battit un cœur de soldat, l’épisode suivant, tiré du siège de Beauséjour, le prouve surabondamment. Le fort était à la veille de tomber au pouvoir des assiégeants; la consternation régnait parmi les officiers français, et tout le monde semblait avoir perdu sa tête. Seul Le Loutre ne désespérait point. Afin de mettre du courage au cœur des soldats, on le vit pendant plusieurs jours consécutifs se promener sur les remparts au milieu des boulets qui sifflaient à ses oreilles, et là, sous le feu ennemi, tranquille et fumant sa pipe, exhorter ses compagnons à la défense. Si chacun eût été animé de son courage, il est probable que Beauséjour ne serait pas tombé si tôt au pouvoir de l’Anglais. J. G. BOURINOT. A Continuer.