Le système d’enseignment dans nos écoles et les besoins des élèves Acadiens-français

Year
1900
Month
12
Day
27
Article Title
Le système d’enseignment dans nos écoles et les besoins des élèves Acadiens-français
Author
P. P. Morais
Page Number
2
Article Type
Language
Article Contents
Le système d’enseignment dans nos écoles, Et les besoins des élèves Acadiens-français CONFÉRENCE DONNÉE PAR M. P. P. MORAIS, INSTITUTEUR, A L’INSTITUT TENU A BATHURST, LE 12 OCT. 1900. (Suite) Et combien y-a-t-il d’articles dans ce livre qui sont d’utilité, propres à intéresser l’enfant et lui inspirer l’amour de la lecture? Certes, le nombre n’en est pas grand, et la même chose peut se dire des autres livres de cette série. Certes, ces livres ne sont pas de nature à inculquer chez l’élève français le goût de la lecture qui devrait être un des plus beaux résultats de l’école primaire. Puis il y a les “Grandes Inventions Modernes” qui accompagnent le 4ième et 5ième dans les écoles Acadiennes. Au risque de me faire frapper sur les doigts, j’ose dire que ce livre ne mérite pas la place qu’on lui a assignée. Les matières qui y sont traitées sont plus ou moins instructives pour ceux qui sont en état de les comprendre et de les apprécier; mais non pour un élève de dix ou douze ans. Etant bourré de termes techniques qui ne peuvent, par conséquent être compris de l’écolier qu’à coups de dictionnaire, ouvrage qui le fatigue et le décourage. Il n’est certainement pas de nature à l’intéresser. Devrai-je dire un mot sur l’histoire du Canada? Selon mon humble opinion, le livre maintenant en usage est trop avancé pour les écoles primaires. Peut-on prétendre qu’un élève fasse grands progrès en histoire lors-qu’il lui faut puiser ses informations dans un livre deux fois trop avancé pour lui? Il est vrai qu’en histoire beaucoup dépend du maître; mais un bon livre d’une lecture accessible pour l’enfant n’en est pas moins une nécessité. Que devrais-je dire de l’arithmétique? Le livre dont nous nous servons actuellement est très bon, très pratique je crois; mais pour l’instituteur français, il est encore très difficile de l’enseigner avec avantage; car lorsque l’élève a passé le deuxième grade on est supposé de lui placer une arithmétique anglaise dans les mains. Or pensez-vous qu’un enfant rendu à ce dégré d’avancement est en mesure de travailler avec intelligence l’arithmétique qui lui est présenté dans une langue étrangère? Non, certes. Il faut que le maître leur en fasse la traduction et l’enfant joue le role du perroquet. Que dirait l’élève anglais s’il se trouvait placé dans la même position? S’il lui fallait combattre les mêmes difficultés que l’acadien a à surmonter? Ferait-il plus de progrès que le français? Je ne le crois pas. Ici bien des avantages sont du côté de l’anglais. D’abord il n’a qu’une langue à apprendre ce qui lui permet d’avancer deux fois aussi rapidement que l’élève français : et il y a plus; il travaille dans sa propre langue tandis que l’Acadien s’exprime dans une langue étrangère, ce qui lui rend le travail pénible, et qui est certainement un obstacle à son avancement. II possède encore un autre avantage sur l’élève français. Dans les écoles anglaises, les Royal-Readers ont été supprimés pour faire place aux New Brunswick Readers : livres bien meilleurs, dont le contenu est plein d’intérêt. Ainsi, tandis que l’élève anglais converse avec Tennyson, Kipling, Fréchette et d’autres écrivains les plus brillants de l’empire; tandis qu’il s’enrichit l’esprit par l’étude de la littérature anglaise; l’élève français est forcé de se servir de livres qui ne disent rien à son esprit, de livres qui sont cinquante ans en arrière de l’esprit de notre temps et compilés à coups de dictionnaire. Cependant, on nous dit que la nouvelle série de livres sera aussi approuvée pour les écoles acadiennes après un an; et il est bien qu’il en soit ainsi. Permettez moi d’exprimer ici une opinion et j’ose croire que vous allez être de mon avis. Puisque nous devons avoir de nouveaux livres de lecture, ne serait-il pas dans l’intérêt des élèves Acadiens que ces livres émanent d’un auteur français? Je crois que oui, et pour les raisons suivantes que je vais m’eforcer d’expliquer. Les “New-Brunswick Readers” nous présentent une littérature classique, et traduire cette littérature en français n’est pas une chose facile. D’abord, il est très difficile de suivre la pensée de l’auteur. En second lieu, la traduction est souvent défectueuse. Puis dans la traduction, les mots Anglais, faciles et courts sont remplacés par des équivalents bien plus difficiles. Un monosyllable en anglais est ordinairement traduit par un équivalent français de deux, trois, et même quatre syllables. Encore, deux ou trois mots anglais sont remplacés en français par un seul mot, mais difficile à trouver et à procurer. Tels sont : mouton, agneau, rappelles les, apporter, pourrais-je? nourriture et bien d’autres qui se rencontrent dans le syllabaire. Ceci rend la lecture difficile pour les commençants et n’ajoute pas peu aux difficultés que rencontre l’instituteur dans l’art si intéressant, mais aussi très compliqué d’enseigner la lecture. Ceci est d’une grande importance, si nous prenons en considération le fait que le syllabaire doit être d’une lecture facile, ne présentant qu’une difficulté à la fois. Or, ceci est impossible avec un alphabet traduit de l’anglais. Passez du primaire au premier livre et vous rencontrez les mêmes obstacles. Les Royal Readers nous en fournissent des preuves indéniables. Je suis convaincu que la lecture du Syllabaire et du premier livre des Royal Readers est trop difficile pour les commençants et leur fait indubitablement subir un retard dans leur avancement. Elle les décourage dès leur début et entraîne avec elle des suites dont les conséquences laisseront leurs marques sur l’avenir de ces élèves. J’aurai d’autres raisons à apporter à l’appui de cet argument; mais je préfère les passer sous silence et d’ailleurs, je crois que les quelques observations que je viens de faire nous justifient amplement de demander des livres d’un auteur français. Nous admettons -- non sans chagrin -- que les Acadiens n’ont pas fait autant de progrès que leurs concitoyens anglais dans nos écoles; mais nous dirons aussi qu’ils ont eu à combattre des difficultés sans nombre, et les livres dont ils ont dû se servir jusqu’à présent en sont grandement la cause. Cependant, je suis heureux de dire que je constate une réaction puissante chez nos élèves français, et ces dernières années, un bon nombre ont réussi à surmonter les désavantages qui s’opposaient à leur avancement; et je suis fier de dire que dans notre comté de Gloucester quelques élèves ont réussi à gravir le dernier dégré de l’échelle dans l’enseignement, et d’autres, inspirés par le noble exemple de leurs devanciers sont déterminés de les suivre et nous ne doutons pas de leur succès final. Pour terminer je dirai que les instituteurs Français de cette province sont unanimes à demander que le cours d’instruction soit amené de sorte à donner plus de satisfaction aux Acadiens, et j’ose espérer que le Bureau de l’Education – en qui j’ai toute confiance – prendra notre position en consideration et qu’avant longtemps nous aurons le bonheur de voir de meilleurs livres de lecture dans les mains de nos élèves Acadiens, et nous ne cesserons de […] remercier. Merci pour l’attention que vous m’avez prêté et puisse cette conférence être bien vue de cette intelligente auditoire et la discussion qui s’en suivra porter ses fruits.