Discours du Rev. A. Ouellet.

Newspaper
Year
1891
Month
5
Day
21
Article Title
Discours du Rev. A. Ouellet.
Author
Rev. A. Ouellet
Page Number
2
Article Type
Language
Article Contents
DISCOURS DU REV. A. OUELLET Prononcé an banquet-Poirier, à Bouctouche, le 23 avril Monsieur le Président, Messieurs, Dans toute autre circonstance, après les éloquents discours que vous venez d’applaudir, je n’aurais point la présomption d’élever la voix devant cet auditoire distingué. Mais en répondant à l’appel flatteur qui m’est fait, je cède à l’impulsion de mon propre cœur, puisque l’occasion m’est fournie de m’aquitter d’un double devoir : devoir d’estime pour un ami personnel, devoir de reconnaissance envers le citoyen éminent, dont s’honore à bon droit la nation acadienne. Je désire donc témoigner par ma présence et par mes paroles ma haute appréciation, que vous partagez sans doute, des heureux et louables efforts que fait l’honorable sénateur Poirier dans le but de consolider l’union d’un petit peuple qui aspire avec ardeur à se relever de ses malheurs passés. Car le jour paraît venu, où le peuple acadien, longtemps relégué à un degré inférieur de l’échelle sociale, déshérité en quelque sorte de sa gloire, frémit, dans sa légitime impatience, de reprendre la place qui lui est justement due sous le soleil du bon Dieu, place que ses pères lui ont conquise au prix de douleureux sacrifices, au prix de leur noble sang. Ils sont incontestables, en effet les services rendus à la nation acadienne par l’honorable monsieur qui est l’objet de cette imposante démonstration populaire, et il ne faut pas s’étonner que sa voix enthousiaste fasse vibrer les fibres les plus intimes de nos âmes, dont elle est le fidèle écho. Oui, l’explosion de sympathique approbation par laquelle vous avez acclamé, il y a quelques instants, ses chaleureuses paroles, démontré assez que tous les cœurs vraiment acadiens battent à l’unisson, que vos propres sentiments s’harmonisent avec ceux du vaillant défenseur de vos droits méconnus. Cependant, Messieurs, l’agréable évènement qui nous rassemble ce soir, ne doit pas être une vaine cérémonie, sans portée, sans conséqence pratique, indigne d’hommes sérieux, d’hommes désireux de leur avancement dans sa voie du progrès civil, intellectuel et moral. Permettez-moi d’exprimer nettement ma pensée : cette fête de famille n’est pas seulement un hommage offert à un concitoyen de grand mérite, c’est de plus l’affirmation d’un principe, d’une idée patriotique,— l’idée de nationalité. Ah! vous avez porté la santé du clergé ; je vous en remercie bien sincèrement, non pas uniquement parce que cette délicate attention de votre part me touche de près, mais surtout parce que vous avez fait là un acte conforme aux traditions de vos aïeux. Eux aussi professaient pour les ministres de l’Eglise un respect inaltérable qui ne se démentit jamais, pas même sur la terre d’exil. En conséquence, la religion qui avait veillé sur leur berceau et qui avait fait leur bonheur dans la prospérité, les consola encore au millieu des revers. L’amour de la religion, l’amour de la patrie, tel est le dépôt sacré que vos pères vous ont laissé pour héritage. Et je n’hésite point à le dire : l’amour de la patrie est un noble sentiment, un sentiment légitime qui s’allie admirablement avec le sentiment religieux. Foi et patriotisme, —voila donc un riche patrimoine qu’aucune puissance terrestre ne saurait vous ravir! Conservez-le jusqu’à votre dernier soupir comme un souvenir précieux que l’on tient de parents, d’amis chéris et regrettés. En afin de vous maintenir dans ces excellentes dispositions, rappelez-vous souvent la considération suivante. Nous naissons sous un ciel qui a été le ciel de nos pères ; nous naissons sur un sol que nos ancêtres nous ont acquis par le sang et par l’épée ; nous naissons les descendants d’hommes qui nous ont transmis une terre, une histoire, une nationalité, une religion en un mot, tout ce qui constitue une patrie. A dater du jour où l’homme a reçu avec la vie une patrie, il partagera ses destinées,—il sera glorieux avec elle, humilié comme elle. Lorsqu’il verra l’étranger fouler d’un pied superbe les sillons que ses pères ont arrosés de leurs sueurs, il voilera sa face, parce que l’abaissement de sa patrie est son propre abaissement. Lorsqu’il verra la victoire briller au front de la patrie, lui aussi relèvera son front, parce que l’élévation de sa patrie, c’est sa propre élévation. En bien, Messieurs, ce sentiment de la patrie la religion l’approuve, l’Ecriture sainte elle-même le consacre. Pour donner au peuple Hébreux une patrie, Dieu remue ciel et terre ; il le tire de l’oppression, il entr’ouvre les flots sur son passage, il sème les prodiges sous ses pas, il le prend par la main pour le conduire jusqu’à la terre qu’il lui assigne comme complément nécessaire de sa nationalité ; et cette nationalité il lui ordonne de la défendre contre tous ceux qui l'entourent. Vous le voyez, Messieurs, l’action de la divine Providence justifie cet attachement vigoureux d’une réunion d’hommes à leur territoire, ou à leur nationalité, car la nationalité, c’est l’alliance indissluble d’un peuple avec une terre. Sans doute Israël était un peuple privilégié ; mais ne rencontrons nous pas, nous aussi, dans notre propre histoire, de grandes et sublimes pages écrites par le sentiment national soutenu et fortifié par la foi religieuse? Voici une de ces pages admirables. En tête de cette glorieuse page, couverte de sang et de pleurs, je lis ces belles paroles d’un des plus délicieux poètes de la France,—paroles prophétiques et bien capables de faire naître l’espérance, même devant la force brutale qui médite l’anéantissement d’une nation paisible et généreuse: “Versez du sang, frappez encore! “Plus vous retranchez ses rameaux, “Plus le tronc sacré voit éclore “Ses rejetons toujours nouveaux!” Messieurs, vous savez mieux que moi comment s’est accomplie cette prédiction que j’applique à votre pays malheureux. La France, notre mère à tous, avait implanté sur les bords que nous habitons un humble arbrisseau, qui grandit, se développa avec le temps, et finit par étendre ses puissants rameaux sur toute la terre d’Acadie. Mais, hélas! en un jour néfaste, la fureur de la tempête dépouilla de sa gloire est arbre majestueux, et dispersa cruellement son feuillage et ses rameaux sur les différents points de l’Amérique du Nord! On aurait cru, un instant, la race acadienne disparue à jamais du sol natal. Il n’en fut rien. Le tronc de cet arbre vigoureux, dont les fortes racines s’étaient fièrement emparé du sol, résista à la violence de la tourmente ; et peu à peu, sous la bienfaisante influence de la douce rosée du ciel, à la voix irrésistible qui rend la vie aux ossements les plus desséchés, il refleurit et se voit entouré de rejetons verdoyants et vivaces, qui promettent encore une longue et prospère existence! Quittons le langage imagé du poète. La nation chevaleresque, si digne de respect et d’admiration, que l’infortune et la persécution ont terrassée, mais n’ont jamais pu dompter, se relève avec assurance, renaît dans ses descendants à qui elle communique son ancienne valeur et son courage invincible. Or, ces braves descendants, l’espoir et la gloire future de la patrie, qui ont hérité d’un sang généreux et d’un nom sans tache, je les SALUE en ce moment autour de moi, et je fais des vœux pour que le ciel daigne les couvrir de sa puissante protection! A présent, Messieurs, je vous le demande : où ce petit peuple, banni et tyrannisé, a-t-il puisé le dévouement et la force nécessaires pour conserver sa religion, sa langue et sa nationalité en dépit d’obstacles presque insurmontables? Vos cœurs ont déjà répondu : dans son patriotisme, dans son attachement à l’Eglise et à ses ministres. Le sentiment patriotique ne s’est jamais éteint sur la terre acadienne. Durant une longue période, il est vrai, période de ténèbres et d’angoisses, ce feu sacré n’a pu manifester ouvertement son éclat ; mais aujourd’hui, le brasier immortel, ranimé par un souffle vivifiant, envoie jusqu’aux cieux ses brillantes lueurs qui portent la joie et l’espérance dans tous les foyers acadiens. C’est la colonne lumineuse conduisant le peuple de Dieu vers la terre promise. Et pourquoi le vaillant comté de Kent ne se mettrait-il pas à la tête du mouvement national qui se produit dans le pays? pourquoi ne serait-il pas la colonne flamboyante guidant le peuple acadien vers ses éternelles destinées? Oui, Messieurs, je crois fermement que l’heure de votre résurrection sociale est sonnée. L’avenir vous tend les bras, la religion applaudit à vos efforts, un pays entier a les yeux fixés sur vous, prêt à s’élancer à la suite des chefs qui auront su mériter sa confiance. Trouvez une demi-douzaine de généraux aussi dévoués, habiles et intrépides que l’honorable hôte que nous fêtons ce soir, et la victoire est assurée ; quand vous serez couchés dans la poussière du tombeau, dormant votre dernier sommeil à l’ombre de l’église paroissiale et protégés par l’emblème de la Rédemption,—vos descendants, la patrie auront votre mémoire en éternelle bénédiction. Afin d’arriver à ce but si désirables pour devenir un peuple libre, indépendant et respecté de vos voisins, soyez fraternellement unis dans la foi catholique comme dans le sentiment national. A cette condition, et à cette condition seulement, vous pourrez vous flatter de laisser à vos enfants un exemple digne d’imitation. Il me semble apercevoir dans le lointain l’un de vos descendants, animé de l’esprit patriotique et religieux que vous lui aurez inspiré, conduisant, le jour du Seigneur, ses propres fils, ses amis et même l’étranger vers l’asile du trépas où reposent vos restes mortels. Parvenu en face d’une pierre tumulaire où se lit un nom bien connu,—c’est votre nom,—il s’agenouille respectueusement, et offre au Très-Haut une fervente prière pour le repos de votre âme, et pour le bonheur de la patrie que vous avez tant aimée. Ayant payé ce pieux tribut au bon chrétien et à l’honnête citoyen, il se relève le front radieux et peut dire avec un noble orgueil à ceux qui l’accompagnent : Passants, découvrez-vous, car cette tombe renferme les cendres vénérées d’un véritable patriote!