Discours du Rev. M. F. Richard, président de la société de colonisation acadienne française à la convention tenue à la pointe de l'église les 13, 14 et 15 d'août 1990.

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Year
1890
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8
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28
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Discours du Rev. M. F. Richard, président de la société de colonisation acadienne française à la convention tenue à la pointe de l'église les 13, 14 et 15 d'août 1990.
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DISCOURS DU REV. M. F. RICHARD, PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ DE COLONISATION ACADIENNE FRANCAISE A LA CONVENTION TENUE A LA POINTE DE L’EGLISE, LES 13, 14 ET 15 D’AOUT 1990 M. Le Président etc., etc, Pour la troisième fois les Acadiens se réunissent en convention dans le but de se mieux connaître, de s’entendre et de s’entr’aider. Dans certains pays où la tyrannie et la persécution veulent primer, le privilège de discussion et d’organisation est refusé aux intéressés et on se plaît a emprisonner les patriotes et les chefs populaires, afin d’empêcher le progrès et l’avancement national. Dieu merci, grâce à la protection de notre glorieuse patronne, l’Acadie commence à jouir de ses droits et ses enfants peuvent se réunir librement, élever leur drapeau à côté et sous la protection du lion britannique, sur les lieux mêmes où jadis leurs pères infortunés subirent un exil plus cruel que la mort. Alors le lion était furieux et affamé; il lui fallut des victimes pour satisfaire son ambition et sa malice; aujourd’hui il est devenu paisible et adouci, étant rassasié par les vaux gras que lui donnent chaque jour les colons et les agriculteurs acadiens. Après un siècle et demi de dévouement à l’Eglise et à la couronne d’Angleterre, les Acadiens doivent avoir mérité quelques considérations de la part de leur mère l’Eglise et des autorités civiles. Aussi, il est agréable de le constater, notre convention a reçu l’approbation et la bénédiction du premier dignitaire ecclésiastique de l’Acadie, et elle est protégée par la tolérance des lois britanniques, qui promettent la protection à tous les sujets loyaux de Sa Majesté. Or, nos pères et leurs descenants se sont toujours glorifient d’être les enfants soumis et dévoués de la Ste Eglise catholique, apostolique et Romaine et qu’ils se sacrifient pour elle. Ce sont eux qui ont été les premiers civilisateurs de ce pays, les premiers défricheurs du sol, les premiers adorateurs du vrai Dieu sur ce continent, et ils ont été les premiers a planter la croix du Sauveur, et à la porter sur ce sol consacré par les sueurs, les larmes et le sang des confesseurs de la foi. Ce sont eux qui ont soutenue les établissements religieux dans le pays, et leurs églises sont des monuments qui parlent hautement de leur esprit de Foi et de sacrifice. Ils ont été, en même temps les fondateurs de toutes les villes et campagnes des Provinces Maritimes. Ils ont commencé dès la sixième heure à travailler à la vigne; ils ont porté le poids de la chaleur et ils sont aujourd’hui le plus puissant levier de l’Eglise et de l’Etat, puisqu’ils rougissent pas du travail, mais au contraire, ils sont les plus braves et les plus courageux à s’enfoncer dans les forêts vierges, pour étendre les limites de la religion et de la civilisation. C’est donc une récompense bien méritée que de voir aujourd’hui les enfants des proscrits d’autrefois réunis ici en convention, avec la bienveillance et le bénédiction de l’Eglise et la protection de la couronne d’Angleterre. Gaudeamus, réjouissons- nous, à la vue de ce beau et touchant spectacle. Saluons nos frères du Canada qui sont venus de loin pour participer à notre bonheur et à l’augmenter. Salut! à vous compatriotes venus de l’exil pour revoir ce sol de l’Acadie que vous n’avez connu que par les sanglots, les larmes et les gémissements de vos pères. Salut! a vous compatriotes de la république voisine venus à cette réunion de frère pour dire par votre présence, que l’Acadie est encore la pays que vous chérissez et la mère que vous aimez le plus. Vous tous, amis et compatriotes, renouez les liens de parenté et de famille brisés depuis près de deux siècles et entendez vous, comprenez vous et aidez vous à parvenir aux destinées que la Providence vous a préparées. On vous a parlé avec éloquence et vérité sur divers sujets importants; il m’incombe de vous parler particulièrement de la colonisation et de l’agriculture que je prétends avoir été la cause première et efficiante de nos progrès passés, la sauvegarde de notre religion, de nos traditions et de notre langue, et qui seront le gage de notre prospérité future et de l’accomplissement de notre mission dans ce pays. J’affirme d’abord, que nous devons à la colonisation et à l’agriculture tous nos succès passés. C’était une belle et noble idée qui s’empare de nos vaillants et généreux ancêtres, de laisser la mère Patrie pour venir établir une colonie en Amérique. La France a engendré une grande famille, et si elle a la douleur de posséder des Caïns, des Judas et des prodigues dans ses rangs, en revanche, elle a produit une race de héros qui ne trouvent leurs supérieurs chez aucun peuple de la terre. Elle a fournie à l’Acadie les Pères Récollets, les Pères Jésuites, les dévoués Sulpiciens; des missionnaires distingués, entr’autre le fondateur, le protecteur, le père apôtre de ce beau pays, le vénérable et vénéré l’Abbé Sigogne. Tous, ils ont fait honneur à la fille ainée de l’Eglise en se dévouant de corps et d’âme au développement de l’Acadie. Il convient de mentionner entr’autres bienfaiteurs et vaillants défricheurs de cette contrée : les L’Escarbot, les D’aulnay, les Razilly, les Guercheville, les Thibodeau, les Hébert, les Melançon et une légion de vaillants patriotes qui ont été grands dans leurs projets, grands dans la leur entreprise, grands dans les défaites, grand dans les succès et surtout grands dans l’adversité. J’ai mentionné ces noms en particulier, parcequ’ils ont mieux compris leur mission en Amérique; s’emparer du sol, le cultiver et s’y attacher. Ils comprirent que pour établir, consolider et maintenir une colonie, il faut à tout prix suivre cette direction avec persévérance. Malgré les épreuves, les rapines, les persécutions et dévastations répétées, ils ont travaillé avec opiniâtreté au défrichement du sol, chassé d’un domaine, ils s'emparent d’un autre, jusqu’à ce que enfin, ils ont jeté la base d’une petite nation qui compte aujourd’hui au delà de 120,000 âmes, qui promet de devenir importante et puissante, si leurs descendants ne dégénèrent pas et s’ils marchent sur d’aussi nobles traces. Il faut l’admettre, c’est à la colonisation et à l’agriculture qu’il faut attribuer tous nos succès passés. Si l’Eglise possède aujourd’hui dans ces provinces une existence paisible et prospère, si le culte catholique est en vénération, si nous possédons des établissements d’éducation et de bienfaisance qui n’en cèdent en rien aux deux Cenoda; si nos institutions civiles sont solidement fondées, je reclame pour la colonisation et l’agriculture l’honneur et la gloire d’en avoir été la cause première et efficiante. Elles ont fait de l’Acadie ce qu’elle est aujourd'hui. C’est à cette mère féconde et à sa fille industrieuse que l’Eglise et l’Etat doivent leur prospérité dans ces provinces. Je demande donc des autorités religieuses et civiles une reconnaissance pratique et raisonnable pour les services qu’ont rendu et rendent encore mes compatriotes à la cause commune, en se livrant à ces deux industries, tout à la fois si pénibles et si bienfaisantes. Puisque les Acadiens ont contribué et contribuent au maintien des institutions religieuses et civils du pays, il est juste, il est raisonnable d’espérer que leur zèle et leur dévouement seront dûment appréciés et convenablement récompensés. La classe ouvrière et agricole ne doit pas être oubliée et ostracisée, ni réduite à un espèce d’esclavage, et puisqu’elle fournit l’existence aux œuvres publiques, ce serait montrer beaucoup d’egoïsme et d’ingratitude que de lui refuser la somme d’importance qu’elle mérite. Honneur à nos ancêtres, premiers défricheurs et cultivateurs sur ce continent! Honneur à leurs cendres qui reposent dans nos cémitières les plus vénérables dans l’Acadie! Honneur à la classe ouvrière, à la classe agricole! vous avez droit à la première place, à la place d’honneur dans les cœurs do cette foule de peuple réuni pour applaudir à votre courage et à votre dévouement. * * * La colonisation et l’agriculture, car l’une engendre l’autre, ayant été la nourrice de notre enfance national, seront encore la sauvegarde de notre religion, de notre langue et de mes traditions, héritage précieux que nous ont légué nos pères dans la Foi et le patriotisme, et que nous devons conserver scrupulement. C’était un beau et ravissant spectacle, digne de l’admiration des anges et des hommes que de voir, à la convention de Memramcook et à celle de Miscouche, les enfants de l’Acadie agenouillés et prosternés aux pieds des autels, sans distinction de rang, de position ou de condition, adorant, remerciant et priant le dominateur des nations qui, à la voix d’un des leurs, descendait de son trône de triomphe, pour bénir les enfants des confesseurs de la Foi! Ce matin nous avons vu réunir devant l’autel de notre glorieuse patronne la nation acadienne, représentée par des déligations nombreuses de toutes les parties de l’Acadie, pour y faire sa profession de foi catholique et se réjouir dans le Seigneur à la vue des prodiges de bonté et de miséricorde dont notre patrie a été favorisée depuis son berceau. Les pères, les mères accompagnés de leurs enfants; le clergé, les hommes de profession, les législateurs, les colons et agriculteurs, les hommes de commerce, les ouvriers, en un mot l’armée acadienne, le chapelet à la main, l’arme des Acadiens par excellence, ont fait violence au ciel et ont rendu Dieu propice envers leur chère Acadie. C’est dans ces circonstances, mes dames et messieurs, qu’il est vrai de dire que la colonisation et l’agriculture ont conservé la foi chez le peuple acadien et qu’elles doivent être considérées comme des diamants précieux pour confectionner la couronne nationale. Du moment que notre population rougira de son passé, méprisera et abondonnera cette noble poursuite, pour se livrer exclusivement à d’autres professions, à d’autres occupations moins honorables, de ce moment là, la foi, l’esprit de piété, l’attachement aux vieilles traditions, à notre langue et à l’Acadie, s’affaibliront peu à peu, et le nom acadien disparaîtra de l’histoire à jamais. Dans cette réunion acadienne, on reconnaît nos compatriotes à leurs manières affables, simples, et respectueuses, à leur langage acadien, qui n'est pas aussi dégénéré qu’on voudrait l’insinuer. L’Acadien et l’Acadienne s’y distinguent par leur franche hospitalité proverbiale, et leur attention délicate et prévenante; mais surtout par leur maintien religieux et leur piété fervente aux pieds des autels. Voulons nous que notre population garde ce cachet distinctif qui lui fait tant honneur, en même temps qu’il fait l’admiration des peuples qui nous connaissent! dans ce cas attachons nous à l’agriculture, encouragez, soutenez l’œuvre de la colonisation. C’est la classe ouvrière et agricole, avant tout autre, qui est destinée à conserver la nationalité acadienne. Que l’on abandonne cette voie honorable et bienfaisante, et bientôt les noms acadiens seront anglifiés, la vieille foi catholique disparaîtra, la langue, la belle langue française sera méprisée et on ne trouvera plus sur le sol de l’Acadie que des fantômes acadiens. * * * Puisque la colonisation et l’agriculture ont été notre salut dans le passé; qu’elles doivent être notre sauvegarde dans l’avenir, il est donc du devoir de tous les Acadiens et des amis du pays de s’entendre et de viser aux moyens à prendre pour encourager ceux qui s’y destinent. Personne ne mettra en doute l’importance de la colonisation au point de vue catholique, civil et national. L’éducation est fort importante pour nous et chacun doit s'imposer des sacrifices pour son avancement. Bâtir des établissements pour l’éducation de notre jeunesse, les encourager et les maintenir, voilà une œuvre belle et méritoire : mais pour avoir ces avantages et les conserver, il faut que la colonisation et l’agriculture en soient la bâse et le soutien. Le fort de Louisbourg était important au point de vue stratigéque; mais comme l'a si bien dit un écrivain célèbre et un historien distingué; « Si la France, au lieu de dépenser des sommes d’argent fabuleuses pour cette construction fantastique et inutile, eut soutenu, encouragé et maintenu ses colonies, l’Acadie serait restée à la France et ce serait le plus brillant joyau de sa couronne. On a négligé, abandonné les colons défricheurs, on les a livrés à une puissance étrangère et ennemie. On a vu ces vaillants, ces courageux colons, qui, par leur industrie et leur persévérance s’étaient préparés un avenir prospère et enviable, entassés pêle-mêle sur des vaisseaux ennemis et chassés impitoyablement de leurs domaines, et pas un navire charitable est venu au secours, pas une larme sympathique n’est venue consoler ces infortunés exilés. Malgré cette cruauté sans nom, la colonisation, sans appui, a repris son œuvre bienfaitrice, elle a planté la graine de sénevé sur le sol de l’Acadie et aujourd’hui ses rameaux s’étendent sur toutes les provinces maritimes, abritent 120,000 Acadiens, maintiennent l’Eglise et l’état dans tous ses départements, et encore pas une voix autorisée vient plaider la cause de cette bienfaitrice générale. La colonisation a été la créatrice et la régénératrice de l’Acadie et la fondatrice du pays que nous habitons, et l’ingratitude des intéressés en a fait une martyre nationale. Sans doute, le public a la foi dans la colonisation, mais cette foi est morte parcequ’elle n’est pas accompagnée par les œuvres. On en parle dans nos conventions; on nomme les officiers pour sa défense et on les laisse sans secours pour mener à bonne fin une œuvre d’une importance vitale. On voudrait que notre pauvre population, que les esclaves fissent tous les frais, subissent toutes les privations inséparables de cette carrière si difficile, et que les bénifices eu revienssent a l’organisation ecclésiastique et civile, sans se donner la peine e les secourir dans leur œuvre de dévouement. Ceux qui, touchés des privations et des misères de cette classe méritante, se dépensent et se sacrifient pour elle, sont accusés des motifs les plus indignes, et on les verrait écraser sous le fardeau, périr dans la tempête, sans se donner la peine de venir au secours. La théorie ne suffit plus, il faut arriver à la chose pratique. La population d’aujourd’hui n’est pas trompée comme l’étaient nos pères. Ils ne sont pas disposés, ni capables de subir toutes les privations, les ennuis, les difficultés et tous les inconvénients inséparables de cette œuvre de sacrifice. D’ailleurs nulles tentations, nul attrait sont semés sur les pas de notre jeunesse acadienne. Elle est généreuse et industrieuse, mais la colonisation n’ayant aucun appui véritable, ne présentant rien d’attrayant à leurs yeux, ils la considèrent plutôt comme une œuvre d’esclavage que nationale tant la classe dirigeante est apathique à son égard. De là, l’émigration que tous les patriotes regrettent et condamnent et avec raison; mais pourquoi ne pas prévenir cet éxil forcé en montrant plus de sympathie, plus d’encouragement, plus d’intérêt pratique à l’endroit de la colonisation et de la culture du sol ? Je ne crains pas de le dire, le devoir m'oblige de le dire, les intérêts de la religion et de la patrie me forcent de le dire, c’est une honte pour notre pays de ne pas avoir une seule organisation autorisée dans l'intérêt de la colonisation. Etudiez ce qui se passe dans la république voisine et dans le bas et haut Canada et vous y trouverez une leçon importante sous ce rapport. (A suivre)