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La Nationalité acadienne et son Drapeau.
S’il était nécessaire, pour avoir droit à un drapeau, qu’un peuple fût indépendant, autonome, maître absolu du territoire qu’il habite et en mesure de défendre ses droits par la force des armes, le petit peuple acadien, situé et constitué comme il est, ne pourrait légitimement prétendre à l’honneur d’un tel insigne. Mais le drapeau est essentiellement un signe de distinction, et non un symbole de force ou d’indépendance. Sur le champ de bataille, il sert à distinguer les armées ennemies et les différents corps dans la même armée. Il distingue la nation qui l’arbore : il la représente, symbolise : il la représente telle qu’elle est, petite et faible, ou grande et puissante. Il vaut ce qu’elle vaut. Le drapeau distingue comme le nom distingue, comme un costume distingue. C’est l’analogue des armoires de famille, adopté par la famille devenue une nation plus ou moins grande. Et chaque nation, comme chaque famille, comme chaque individu, cherche naturellement à conserver son identité, aime tout ce qui lui est propre, son nom, sa langue, ses insignes, ses traditions, ses coutumes, ses jeux et ses amusements, et il n’y a rien de moins singulier pour elle que ses singularités.
Les Acadiens ne forment à la vérité qu’un bien petit peuple, mais tout faible et dépendant qu’il soit, il a une existence suffisamment marquée pour empêcher qu’il ne soit confondu avec les différentes nationalités qui sont venues partager son domaine.
Les Acadiens sont les premiers colons, les pionniers de l’Amérique du Nord. Assurément, c’est déjà pour eux une marque de distinction assez marquante. De plus, plusieurs des braves et nobles français qui, en 1604, vinrent coloniser l’Acadie, tels que De Monts, Champlain, Poutgrave, Hébert, se sont signalés ensuite dans la fondation d’autres colonies, ce qui fait dire à M. Rameau que l’Acadie fut “en quelque sorte une pépinière de fondateurs de colonies.” C’est à Port Royal que le fondateur de Québec (Champlain) a fait son apprentissage.
Les Acadiens ont conservé leur identité et se sont affirmés au grand jour en combattant vaillamment et en déployant une énergie surhumaine dans les phases orageuses dont leur existence fut marquée dès la fondation de la colonie. Pendant longtemps ce fut par les armes qu’ils eurent à défendre et à revendiquer leurs droits. Ils furent souvent écrassés par le nombre, mais ils ne furent jamais vaincus. Souvent aussi, la victoire vint planer au-dessus du drapeau qu’ils avaient apporté de la vieille France – le drapeau de Henri IV et de Louis XIII.
Abandonnés par elle au temps le plus critique de leur existence, et ne pouvant compter sur aucun secours d’ailleurs, ils furent contraints de faire fond sur leurs faibles ressources, et sur leur courage qui ne les abandonna jamais.
C’est au milieu de l’adversité, au sein de l’orage, que le caractère du peuple acadien s’est formé; c’est là qu’il eut souvent à retremper son courage. Et quand vint fondre sur lui le terrible malheur qui le dispersa aux quatre vents du ciel, et qui, selon toute apparence, devait l’anéantir et effacer à jamais son nom, il lui resta assez de f[…] et d’énergie pour venir s’affirmer au soleil, et montrer que, pour les Acadiens, un exil plus affreux que la mort, ce n’est pas la mort!
Est-il un autre peuple sur la terre qui ait fait preuve de plus de courage et d’énergie que lui sous le coup du malheur? Opprimé, écrasé, il se relève de lui même de son anéantissement et renaît à une vie plus vigoureusé et sous un ciel plus serein. A qui doit-il aujourd’hui son existence si ce n’est à Dieu et à lui-même? Peut-on s’étonner maintenant si ce petit peuple, heureux de se retrouver, légitimement fier de lui-même, et plein de la joie de vivre, tient plus que jamais à sa religion, à sa langue, à tout ce qui a fait sa joie et sa consolation dans le passé, et que, pour mieux conserver tout ce qui le caractérise déjà, il ait voulu avoir une fête, un chant et un drapeau propres de sa nationalité?
La fête qu’il s’est choisie ne peut que l’attacher davantage à cette religion qui a été sa plus grande consolation et son soutien au milieu de ses épreuves. L’Assomption de Marie au ciel lui inspirera toujours des pensées nobles et élevées et lui indiquera le point vers lequel doivent tendre ses aspirations et ses démarches.
Le choix de la fête a été approuvé, confirmé par tout l’épiscopat des provinces maritimes; la question s’est réglée.
Quant au chant national, n’allons pas mêler le sacré au profane en prenant un air d’église et le mettant […] sur les meilleures paroles que nous pourrions composer. Voulons-nous absolument l’air de l’Ave Maris Stella pour air national, ne le détachons pas des paroles qui seules le rendent beau comme il est : ce serait le dénaturer, le profaner. L’air simplement joué ne devrait pas rappeler d’autres paroles que celles que nous avons toujours entendues. En le prenant avec les paroles, il reste véritablement à l’Eglise, et nous ne nous mettons probablement pas dans le cas d’avoir besoin d’une permission qui, dans l’autre cas, nous serait très probablement refusée.
Mais parlons plutôt du drapeau.
Celui choisi est-il bien le meilleur que nous puissions adopter? S’il prêtait justement à la critique et que nous puissions faire un meilleur choix, est-ce que ce serait montrer un patriotisme éclairé que de s’opposer à toute modification qui pût être faite pour l’unique raison que le choix en est déjà fait et sanctionné par nous-mêmes? Assurément, personne n’aura la “naïveté” de croire que les décisions d’une convention sont absolues et irrévocables comme les jugements de l’Eglise, et que, revenir sur le choix d’un drapeau, c’est vouloir le fouler aux pieds et le “ravir” à la nation qui l’arbore.
Quels sont ceux qui montrent des sentiments plus véritablements patriotiques, ou de ceux qui croient que le drapeau choisi est assez bon pour le peuple qui l’a adopté, ou de ceux qui trouvent que ce drapeau ne l’honore pas assez et désirent lui voir faire un meilleur choix?
Pourquoi le tricolore français fut-il adopté, je ne demande pas, par les Acadiens, mais par les Français eux-mêmes? Pour distinguer la France non-seulement des autres nations, mais encore pour la distinguer d’elle-même, de la France qui, jusqu’à la Révolution, croyait en Dieu et en son Eglise. La France que le tricolore représente, c’est la France qui a apostasié officiellement, qui a fait des efforts inouïs pour se déchristianiser toute entière et qui, depuis 1789, a toujours continué et continue encore son œuvre satanique. Cette France, les Acadiens ne doivent pas la reconnaître, et c’est la reconnaître que d’adopter son drapeau. Le souverain pontife n’a pas voulu la reconnaître, cette France déchue, quand elle est allée effrontément s’annoncer aux portes du Vatican.
Au fort de la Terreur (le 11 janvier 1795) le citoyen Laflotte lui apporta, de la part du gouvernement français, une lettre pleine de menaces orgueilleuses, et dans laquelle on ordonnait que dans vingt-quatre heures, on élevât le tricolore français, non sur le Vatican, mais sur la résidence du consul français à Rome. Pie VI refusa qu’on l’arborât même en ce lieu, et pourquoi? Parceque (comme il le dit lui-même dans un document qu’il écrivit en réponse à cette lettre insultante) un tel acte serait indubitablement une tacite approbation de tout ce qu’on avait opéré en France relativement à la Religion persécutée, au saint-siège foulé au pieds. Il ne voulait pas reconnaître la puissance nouvelle, parceque ce gouvernement, par ses lois, par ses maxims, par ses notifications politiques, avait déclaré la guerre à la religion elle-même. Pour ces raisons il ne voulut pas qu’on élevât sous ses yeux le stemma de cette nouvelle puissance. – (Histoire des Papes par le chevalier Artand de Montor.)
Le 13 du même mois, Laflotte accompagné de Basseville, autre émissaire du gouvernement français, voulu faire parade des couleurs de la France révolutionnaire. Ils parurent tous les deux dans la rue principale de Rome, la cocarde tricolore sur la tête, et deux petits drapeaux tricolores sur la voiture. A ce nouveau spectacle, que les Romains regardèrent comme une insulte au pape, ils s’agitèrent et crièrent : Vive Saint Pierre! Vive la religion! Vive Pie VI! Les plus animés s’élancèrent contre la voiture. Pour se défendre Basseville déchargea sur eux deux coups de pistolets. Il fut poursuivi et poignardé.
En 1798, des émissaires du gouvernement français, la cocarde tricolore au chapeau, vinrent piller le palais pontifical. Pie VI fut dépouillé de ses meubles, et de la plus riche partie de ses ornements pontificaux, de ses moindres bijoux, et même de sa bibliothèque. Ils osèrent lui présenter la cocarde tricolore : Pie VI la repoussa avec dignité : “Je ne connais pas, dit-il, d’autre uniforme que celui dont l’Eglise m’a honoré.” (Biographie Universelle de Feller.)
Pie VI fut traîné en exil et y mourut à l’ombre du tricolore. Son successeur aussi, (Pie VII,) fut ignominieusement traîné en exil sous la protection de Bonaparte et du tricolore français.
Oui, le tricolore français a “flotté sur le Vatican,” mais c’est quand la France révolutionnaire envoyait ses soldats s’emparer de Rome, piller le Vatican et se saisir de la personne auguste du chef de l’Eglise pour le conduire en exil. Il est vrai que pendant quelques années, plutôt par diplomatie que par amour pour le souverain pontife, elle lui a accordé un semblant de protection, mais en 1870, elle lui retira ses soldats et son drapeau; et le même jour que les soldats à la cocarde tricolore abandonnaient la garde du Pape, l’armée française, combatant sous le drapeau tricolore, recevait sur le champ de Wissemberg, le premier de la série d’échecs qui amenèrent l’effondrement de la dynastie napoléonnienne. La France perdit dans la bataille ce jour-là un nombre de soldats français égal au nombre de soldats français qui abandonnèrent le Saint Père. Et le jour où les soldats Italiens vinrent cerner la ville de Rome, les soldats prussiens vinrent se poster autour de la ville de Paris, et les deux villes furent complètement investies le même jour.
Le tricolore français est taché, […]ouillé, dans son origine. Il n’en est pas de même du drapeau blanc, et encore bien moins du drapeau bleu, (la chappe même de Saint Martin,) le premier drapeau de la France chrétienne.
Le tricolore français a été confectionné et adopté par la révolution française. Il en est la couronne, le stemma. Et qu’est-ce que la révolution française!
“C’est la société déchristianisée; c’est le Christ refoulé au fond de la conscience individuelle, banni de tout ce qui est public, de tout ce qui est social; banni de l’Etat, qui ne cherche plus dans son autorité la consécration de la sienne propre; banni des lois, dont sa loi n’est plus la règle souveraine; banni de la famille, constituée en dehors de sa bénédiction; banni de l’école, où son enseignement n’est plus l’âme de l’éducation; banni de la science, où il n’obtient plus pour tout homage qu’une sorte de neutralité non moins injurieuse que la contradiction; banni de partout, si ce n’est peut-être d’un coin de l’âme où l’on consent à lui laisser un reste de domination. La révolution, c’est la nation chrétienne débaptisée, répudiant sa foi historique, traditionelle, et cherchant à se reconstruire, en dehors de l’Evangile, sur les bases de la raison pure, devenue la source unique du droit et la seule règle du devoir. Une société n’ayant plus d’autres guide que les lumières naturelles de l’intelligence, isolées de la Révélation, ni d’autre fin que le bien-être de l’homme en ce monde, abstraction faite de ses fins supérieures, divines, voilà dans son idée essentielle, fondamentale, la doctrine de la Révolution.” (Mgr. Freppel. – La Révolution Française à propos du centenaire de 1789.)”
La France officielle d’aujourd’hui n’a pas d’autre doctrine, d’autres principes. C’est pour cela qu’elle glorifie solennellement cette année la Révolution de 1789 en célébrant avec tout l’éclat possible le premier centenaire. A cent ans de distance, dit Mgr. Freppel, le cri “[…] fâme” a trouvé son écho dans cet autre cri, expression plus dissimulée, mais non moins […] de la même idée : “Le cléricalisme, voilà l’ennemi.”
Elle a inauguré la Révolution en accomplissant autant qu’elle a pu le vœu de Diderot :
Et ses mains, ourdissant les entrailles du prêtre,
En feraient un cordon pour le dernier des rois.
La guillotine sous la lame de laquelle tombèrent la tête de Louis XVI et celles de vingt-deux mille de ses sujets, (pour ne parler que de ceux qui furent guillotinés à Paris) fut dressée à l’ombre du tricolore. C’est comme cela que la France révolutionnaire commença à mettre en pratique ses nouveaux principes. Aujourd’hui elle n’ose pas procéder d’une manière aussi sommaire contre ceux des français qui l’inquiètent : elle chasse les religieux de leurs couvents et elle envoie les représentants de la royauté en exil. Mais c’est toujours le tricolore qui flotte sur ses remparts. N’ayant pas changé ses principes, elle n’a pas eu […] de changer de drapeau.
Si véritablement le comte de Paris arboraît le drapeau tricolore comme celui avec lequel il veuille lier son avenir et cela est tout à fait improbable – ce serait parceque son oncle, Louis Philippe, qui n’a réussi à usurper le trône de Henri V qu’en adoptant intégralement les immortels principes de 89, aurait légué à son neveu ses principes aussi bien que sa couronne. Mais les déclarations du Comte de Paris, avant comme depuis son exil, nous le montrent imbu de meilleurs principes. Le Comte de Chambord, qui était le dernier légitime héritier du trône de Louis XVI, de Henri IV, l’a refusé ce trône, plutôt que d’adopter le drapeau tricolore, l’illustre défunt savait trop bien ce que signifiait ce drapeau. L’étendard que la Révolution éleva sur les debris du trône et de l’autel de la France chrétienne ne pourrait être adopté par un prince digne du sceptre et de la couronne de St Louis.
Les “souillures” du tricolore français sont telles qu’il faudrait brûler le drapeau pour les faire disparaître. Le tiers de son ampleur est teint de sang. La Terreur n’a pas eu d’autre drapeau. Pendant que l’on égorgeait des prêtres par centaines et que l’on guillotinait des milliers de citoyens, la France officielle tenait haut et ferme le tricolore. Choisi en 1789, elle le légalisa le 27 PLUVIOSE, AN II, c’est-à-dire, le 27 février 1790. Elle était déjà tellement prise de la frénésie révolutionnaire qu’elle en avait voulu jusqu’au calendrier!
Les massacres de la commune de 1870 furent abrités par le drapeau rouge, mais la France, toute meurtrie et exsangue qu’elle s’est trouvée alors, eut encore assez de force et de honte pour l’abattre et le déchirer, tandis qu’elle conserve ce qui fut souillé par les sangiantes orgies, les épouvantables forfaits de la Terreur. C’est que le tricolore convient parfaitement à la France qui vent “l’Etat sans Dieu, la famille sans Dieu, le mariage sans Dieu, l’école sans Dieu, le prétoire sans Dieu, l’armée sans Dieu.”
La France chrétienne, la seule dont les Acadiens se souviennent, aurait brûlé un pareil drapeau!
S’il nous faut absolument le tricolore français pour marquer notre origine et distinguer notre nationalité, oublions notre origine, ayons honte de notre nationalité!
Le tricolore est l’emblème de la Vierge Immaculée! – ces deux choses vont ensemble comme l’Ave Maris Stella et la Marseillaise; comme l’Assomption et le 14 Juillet!
Autre considération, qui a bien son importance : Pourquoi garderions nous un drapeau qui dans le cas d’une guerre entre la France et l’Angleterre (et peut-être en dehors d’un tel cas) pourrait être considéré entre nos mains comme un insigne de déloyauté?
En adoptant le tricolore français, personne parmi nous n’a voulu donner la moindre adhésion aux principes de 89. On ne peut pas plus douter de cela qu’on ne peut soupçonner le patriotisme de ceux qui en ont proposé l’adoption et qui tiennent encore à leur manière de voir, mais un drapeau ne tire pas sa signification de l’intention de ceux qui l’adoptent : il parle pour lui-même.
Pour ce qui est du tricolore, je n’hésite pas à me ranger du côté de D’Erlanges et de son devancier; quant au drapeau blanc, je suis d’accord avec Acadie. La France nous l’a virtuellement enlevé en nous retirant sa protection et en nous refusant les secours opportuns que nous avions droit d’attendre de sa part. D’ailleurs le drapeu blanc représente avant tout l’idée monarchique, et ce n’est pas sur de semblables considérations que nous devons nous guider, nous, dans le choix d’un drapeau.
N’allons pas remplacer ce drapeau par celui de la France officielle arboré aujourd’hui : il ne nous rappelle pas la France que nous avons connue et aimée, et qui s’appelait la Fille aimée de l’Eglise.
Quel est donc le drapeau que nous devrions adopter? Quel est celui qui nous conviendrait le mieux? C’est un drapeau qui soit absolument nôtre, comme notre fête.
Laissons le blanc et le rouge, et gardons le bleu – avec l’Etoile.
La couleur d’un ciel pur et serein, doré par les reflets de la Stella matu tina, voilà la couleur qui symbolise le mieux les aspirations de la jeune Acadie!
C’est la couleur de la Reine de l’Assomption – la ceinture de l’IMMACULEE CONCEPTION de Lourdes était une ceinture bleu de ciel, -- c’est la première couleur adoptée par la France chrétienne; n’en ayons pas d’autres!
C’est sous le drapeau bleu qu’elle a gagné le titre de Fille aimée de l’Eglise; l’ignoble tricolore le lui a ravi. Le drapeau bleu, c’est le nôtre!
LUCIUS.