Conventions nationales des Acadiens (Robidoux) - 1890 - p231-235

Year
1890
Article Title



DISCOURS DE M. V. A. LANDRY, ÉDITEUR-PROPRIÉTAIRE DE L’ÉVANGÉLINE
Author
M. V. A. Landry
Page Number
231-235
Article Type
Language
Article Contents
Mesdames et Messieurs, En m’appelant à porter la parole, en cette occasion solennelle, vous savez que vous m’imposez une tâche difficile; et si vous ne le savez tous, laissez-moi vous l’assurer à tous. Et si je n’étais pas mêlé à une œuvre acadienne, qui, je l’espère, fera sa part de bien dans la Nouvelle-Écosse et un peu ailleurs, dans les provinces maritimes, je n’oserais pas me rendre à votre gracieuse invitation. Quelqu’un a dit chez les anciens que le succès seconde l’audace. Celui-là n’a pas menti. Messieurs, j’ai toujours cru que nul d’entre nous ne pouvait se créer une position parmi nos compatriotes d’autre origine qu’en faisant violence aux circonstances qui nous entourent et à force d’efforts et de ténacité. Aussi en fondant le journal l’Évangéline que le public acadien a si bien encouragé et si bien apprécié jusqu’à ce jour, il m’a fallu et de l’audace et une persévérance subséquente dont j’ai connu plus d’une fois les fatigues, les labeurs et les ennuis. Si je n’eusse connu la Nouvelle-Écosse comme je la connaissais, jamais je n’aurais songé à me placer à la tête d’une telle œuvre, comme je le fis en 1887. Il y a près de trente ans que j’ai foulé pour la première fois le sol d’Évangéline. J’étais à Saulnierville, lorsqu’en 1866, on célébra le centenaire de l’établissement du district de Clare, à la Pointe-à-Major. Et si, dès cette époque, je n’avais, à coup sûr, aucune idée d’y jamais fonder un journal, je puis certifier en votre présence cependant, que l’intérêt que j’éprouvai dès lors envers les Français de la vieille Acadie fut assez grand et vif pour m’en faire prendre le dessein, - si tel dessein eût alors paru réalisable. Mais ce qui ne paraissait pas réalisable en 1866 est passé à l’état d’affaires accomplies pour les Acadiens, non-seulement dans le journalisme, mais dans les diverses échelles sociales et dans les rangs de la milice ecclésiastique. En 1864, surgissait l’œuvre par excellence du collège St-Joseph, qui a fourni tant d’hommes au commerce, aux professions libérales et à l’Église. En 1867, le Moniteur Acadien, le premier-né dans notre presse acadienne, paraissait devant le public des provinces maritimes pour dire haut et fort à tous ceux qui pouvaient le comprendre, que pour conserver sa langue, il faut que le peuple non-seulement la parle dans ses entretiens de famille, mais qu’il doit aussi la lire dans ses lectures du foyer. En 1885, Le Courrier des Provinces Maritimes vit le jour. J’avais été pendant huit ans inspecteur des écoles au Nouveau-Brunswick. J’avais eu souvent l’occasion de connaître et d’apprendre les vues du clergé au sujet d’une telle fondation; je me trouvais, chaque jour, en face des besoins de nos populations françaises; - aussi de concert avec quelques nobles et braves compatriotes, je m’intéressai à la fondation du journal français de Bathurst. J’y pris des actions en grand nombre, je sollicitai partout des abonnés à la seconde feuille acadienne française et j’en eus l’administration pendant deux ans. Lorsque ce journal fut sur un pied solide et entre les mains d’un comité qui était capable de le maintenir, comme les événements l’ont prouvé jusqu’à ce jour, je me dirigeai vers la Nouvelle-Écosse. Sur cette vieille plage où fut placé le berceau de la colonie par Poutrincourt, où Évangéline et Gabriel se déclarèrent leur premiers amours et se jurèrent une éternelle fidélité, il me semblait qu’Évangéline pouvait renaître. Dieu n’a jamais voué à une destruction complète et permanente les races qui se sont multipliées sur la surface du globe. Pourquoi les idiomes, les traditions et la langue des peuples persécutés ne pourraient-ils pas revivre là même où ils avaient semblé périr. Je vous l’ai déjà dit: je connaissais bien la Nouvelle-Écosse, surtout les deux comtés de Digby et de Yarmouth où j’avais enseigné pendant plusieurs années. Je savais que les nombreuses relations commerciales et autres de nos compatriotes d’ici avec leurs proches voisins limitrophes - les Américains - étaient préjudiciables à la langue française, parmi les populations intelligentes qui forment le groupe français établi sur la Baie Sainte-Marie. Je savais, de plus, que nos nationaux étaient désireux d’avoir au milieu d’eux un organe français qui serait là pour leur rappeler leur devoir dans la conservation de ce dépôt sacré dont nos pères ne voulurent point se départir. Point de collèges, ni d’académies, il fallait au moins un foyer quelconque, un centre d’où pouvait sortir la lumière, quelque faible que fut cette dernière. Il fallait un messager qui put se rendre souvent au soin des familles acadiennes de la Nouvelle-Écosse, leur parler avec l’idiome de nos pères, et je crus que nul ne serait mieux reçu que la poétique et historique Évangéline. C’est elle qui vous entretiendrait sur le sujet si important de l’éducation. C’est elle qui parlerait avec connaissance de cause des notions si utiles de l’hygiène, qui vous fournirait les renseignements voulus pour faire de vous des agriculteurs pratiques. Elle irait chaque semaine sous vos toits pour vous raconter les nouvelles courantes dans une langue qui semblait interdite dans la presse de notre province depuis que notre province et l’Acadie existent. Ce plan me paraissait beau; le projet, malgré toutes les difficultés qui s’y rattachaient nécessairement, me parut noble, patriotique, digne d’efforts et de sacrifices. Pour un moment, il s’éleva quelques petites oppositions, même parmi les nôtres. Mais, la voix de nos vrais patriotes laïques et hommes du clergé s’éleva dans une magnifique protestation contre tout esprit de jalousie qui voulait entraver l’expansion de nos œuvres nationales. Aussi cet antagonisme fut-il de courte durée. Il fallait de plus ne pas heurter de front les préjugés des populations anglaises qui nous entourent. Car l’élément anglais de la Nouvelle-Écosse, sachant que les Acadiens pouvaient comprendre les journaux anglais plus aisément qu’ils ne pouvaient interpréter un journal en leur propre langue, ne pouvaient pas s’expliquer le but ou l’utilité d’une telle entreprise. Un jour, lorsque je faisais de la propagande à Yarmouth dans le but de trouver quelques annonceurs pour la feuille que j’étais sur la veille de fonder, un avocat de cette dernière ville me fit part nettement de ses appréhensions. Pourquoi, dit-il, vouloir fonder un journal en langue française, au milieu de nous: *Est-ce pour ressusciter les vieilles animosités que nous nous efforçons partout d’éteindre? Est-ce pour nous mettre sans cesse sous les yeux des actes d’autrefois dont il ne devrait plus être fait mention dans nos relations actuelles?+ S’il en est ainsi, me dit-il, votre feuille sera une publication dangereuse, elle jettera le désordre là où des temps plus heureux et des meilleures circonstances ont réussi à semer et à entretenir la bonne entente et la paix. Non, lui dis-je, mais vous oubliez quelque chose. Si de meilleures circonstances ont ramené la paix, elles n’ont pas encore donné aux Acadiens les chances d’éducation qu’elles vous ont données à vous autres. Car les Acadiens veulent une éducation dans leur langue à l’égal de la langue anglaise. Or, c’est l’œuvre d’un journal. En fondant celui-ci, notre but est de stimuler nos compatriotes à s’instruire, à s’élever par l’instruction au niveau de ceux qui les entourent. Les Acadiens sont actifs, industrieux, intelligents; lorsqu’ils auront les mêmes facilités que vous, ils n’auront plus droit de se plaindre et ils en seront par là même plus portés à entretenir la paix; par le fait qu’ils jouiront des mêmes avantages que vous et qu’ils pourront atteindre le même degré dans l’échelle sociale. Et voilà ce qui explique et détermine la nécessité d’un journal. Non-seulement l’avocat m’a compris, mais tous les Anglais, Écossais, Irlandais, etc., de la Nouvelle-Écosse ont compris qu’un pareil organe était indispensable au milieu des nôtres. Et bien, messieurs, c’est à vous à encourager notre presse acadienne comme vous l’avez fait jusqu’aujourd’hui, et plus. Ceux qui président à cette presse, au Moniteur, au Courrier et à l’Évangéline; ceux qui s’y intéressent directement ou de près, sont des hommes du pays, qui connaissent la situation du peuple et qui sont par conséquent en mesure de la sauvegarder. C’est là leur mission; s’ils y sont infidèles, à vous de les censurer: au contraire, s’ils y consacrent leur énergie et leurs derniers, il est de notre devoir, par honneur et par reconnaissance, de leur donner l’appui qui fera de la presse un levier puissant pour la cause du bien. Messieurs, je termine en vous remerciant pour votre bienveillante attention. Je vous ai parlé sincèrement et avec franchise, tout comme en famille. Si je vous ai parlé de moi et de l’Évangéline, c’est que je savais que c’était le seul sujet sur lequel vous vouliez m’entendre et qu’il me convenait, en réalité, de traiter. J’espère que la convention s’intéressera hautement à la question de la presse acadienne et que de la manifestation d’aujourd’hui, il sortira une résolution nouvelle d’appuyer partout dans nos centres français la presse réellement acadienne-française des provinces maritimes.