La jugerie.

Year
1892
Month
5
Day
19
Article Title
La jugerie.
Page Number
2
Article Type
Language
Article Contents
La jugerie. Quel est donc ce souffle impur qui nous lance de Kent son odeur nauséabonde au sujet de la jugerie, et auquel le Moniteur, par pitié sans doute, accorde l’hospitalité de ses colonnes? Avant d’entrer en lutte avec un adversaire j’aime à connaître un peu la trempe de son armure, mais je dois avouer que je ne suis pas généalogiste assez approfondi pour découvrir à quelle dénomination appartient Libéral-Conservateur. Est-il catholique, protestant, français, irlandais, chinois? Il ne le donne pas à entendre, mais j’oserais parier qu’il est un de ceux sur qui le Moniteur a voulu faire retomber la responsabilité de l’affront que les catholiques viennent de subir. Il est ami du juge Hanington, mais où est le catholique qui ait dit un seul mot défavorable à ce juge eminent? Quoique le nouveau correspondant du Moniteur ait un bon mot pour le juge Landry, il ne peut se soustraire au plaisir de faire une attaque injustifiable contre ce dernier, qui n’est peut-être pas aujourd’hui dans la position de se mêler à la discussion et qui ne peut, dans tous les cas, l’empêcher. Libéral-Conservateur débute en disant “qu’il a lu avec grande patience les deux premières correspondances de M. le Conservateur Catholique mais qu’il ne peut laisser passer sa dernière sous silence.” Evidemment sa patience, à la troisième période de sa maladie, est à bout. Je ne cesserai d’en vouloir au Moniteur de ce qu’il force ainsi ses abonnés à lire ce qu’ils n’aiment pas, ou qu’ils ne peuvent digérer sans se sentir pris de la maladie dont souffre Libéral Conservateur. Ordinairement l’on ne s’impatiente pas en lisant ce qui nous plaît. Mais en quoi Conservateur Catholique déplait-il à son homonyme? D’abord, le nom. Il n’aime pas l’appellation Conservateur Catholique et dit qu’il n’y a pas de gens de cette croyance dans toute la puissance du Canada. Mais ici je découvre, un peu tard il est vrai, que Lib. Con. n’est pas un conservateur catholique. Pourtant il se dit conservateur. Nous viendrons, à force de travail, à trouver ce qu’il est. Expliquons d’abord ce que nous entendons par “conservateur catholique.” “Conservateur,” substantif masculin qui veut dire “membre du parti conservateur;” “catholique,” adjectif qualificatif qui signifie de la religion chrétienne et catholique. T’y comprends t’y à présent, toi qui te signes Libéral Conservateur c.-à-d. contradiction et l’un ou l’autre selon l’occasion? Mais pas n’est besoin de définition arbitraire pour prouver que Lib. Cons. serait l’un ou l’autre selon l’occasion, car ne nous dit-il pas lui-même que s’il était un peu plus libéral – rien qu’un peu -- il ne serait pas vingt-quatre heures dans les rangs du parti qui administre aujourd’hui les affaires du Dominion? Un peu moins libéral, il y restera peut-être six mois. Quelle perte pour le parti conservateur, quelles angoisses pour le juge Hanington, s’il le faisait! Ce qui tacquine davantage Lib. Cons. c’est le fond de la pensée de Con. Cath., que, malgré son impatience, il a cru découvrir. La véritable pensée de Cons. Cath., sa pensée telle qu’exprimée, ne ferait pas rompre à Lib. Cons. un silence qu’il aurait dû toujours garder pour l’honneur de la cause qu’il défend bien mal à propos; mais le fond de la pensée, découvert en lisant entre les lignes s’il vous plait, voilà bien ce qui lui a donné la berlue. Ce fonds de pensée est que Cons. Cath. aurait des préférences pour un juge français. Eh bien, serait-ce un si grand crime que de demander humblement un juge français? Cons. Cath. ne l’a pas fait et parce qu’il ne l’a pas fait Lib. Cons. rompe le silence. Comme l’assertion est tout à fait gratuite, Lib. Cons. serait il assez bon d’expliquer d’après quel raisonnement il a pu découvrir ce fonds de pensée, ou s’il ne s’est servi du fonds de la sienne pour l’attribuer à un autre, car il faut se rappeler que les correspondances de Cons. Cath. ont d’abord paru en anglais dans le Transcript de Moncton. Ce que l’on croit lire entre les lignes ou à l’aide d’un cerveau surexcité par l’impatience le plus souvent nous trompe. La maladie de Lib. Cons., rendue à sa troisième période, a ceci de particulier qu’il se lance trop souvent dans les suppositions. En supposant qu’un Irlandais eût été nommé juge, il vocifère que l’attitude de Cons. Cath. serait différente à ce qu’elle est aujourd’hui. En supposant des premises contraires à la vérité l’on ne saurait tirer une conclusion bien logique. Pourtant c’est ce que fait de propos délibéré Lib. Cons. “Il me semble, dit le correspondant, que dans la nomination de nos juges, ce ne sont pas toujours les droits des nationalités qui doivent prévaloir, mais bien les mérites personnels, les aptitudes des candidats et sans l’ombre d’un doute l’hon. juge Hanington possède à un haut degré toutes les qualités requises pour faire honneur à la position qu’i1 occupe aujourd’hui.” Et un peu plus loin : “Dans le cas présent, les Acadiens-français avaient certainement un candidat très digne dans la personne de l’hon. P. Landry, mais cet hon. monsieur était déjà, et de son propre choix, juge de comté. Donc, pour satisfaire M. le Cons. Cath., il aurait fallu créer un antécédent et la chose devenait impossible en raison des tiraillements des représentants d’une autre minorité aussi respectable.” Ici je cite textuellement deux phrases qui me paraissent pour le moins insipides et contradictoires. Etudiées de près, elles contiennent pour les Acadiens une leçon qu’il ne serait pas bon d’oublier. Quoi! parce que le juge Hanington – protestant -- possède à un haut degré les qualités requises, etc. les droits des Acadiens -- remarquez bien, les droits, c’est le mot de Lib. Cons. – devaient être méconnus malgré que le juge Landry -- Acadien catholique -- fut un candidat très digne. L’un possède les qualités; l’autre est très digne, ex equo, l’on dirait au collège. Mais, nous reproche Lib. Cons., “le juge Landry avait de son propre gré accepté la position de juge de comté,” et pour cette raison disons plutôt pour ca prétexte, lui et tous les Acadiens doivent demeurer stationnaires, tandis que les protestants grimpent, montent, augmentent en influence, en honneurs et en richesses. Heureusement la vieille histoire du passé : “vous n’avez pas d’hommes,” ne prend, plus excepté dans les comtés du nord; il faut en inventer une nouvelle qui puisse par sa nouveauté remplir son rôle pour un certain temps; mais allons nous attendre jusqu’à ce que nos frères protestants n’aient plus d’hommes dignes avant d’obtenir ce que l’on admet être nos droits? Rompons, brisons plutôt à jamais les liens qui nous unissent à un parti qui se sert de tels prétextes pour nous tenir dans l’ombre. Ces liens ne sont forts qu’en autant que la justice les unit. S’il faut créer des antécédents pour faire prévaloir la justice, faisons le; tant pire pour les antécédents, tant mieux pour la justice. Mais, après tout, ce prétendu antécédent n’est qu’un rêve, qu’une chimère, qu’un misérable prétexte, qu’un fantôme, qu’une poudre que l’on jette mal-adroitement aux yeux des Acadiens et qui ne saurait leur faire perdre la vue.