l'Assomption au Madawaska

Année
1909
Mois
10
Jour
7
Titre de l'article
l'Assomption au Madawaska
Auteur
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01
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L’ASSOMPTION AU MADAWASKA Conférence donnée le 15 Aout 1909, à Saint-Hilaire, par M. Joseph Saindon, élève finissant du Collège Sainte-Anne de Lapocatière. (suite) Tout dans notre histoire s’harmonise donc avec celle de la patronne que nous avons choisie, et nous devons en être fiers. Mais au petit peuple placé sous la protection spéciale de la Vierge, il fallait un signe de ralliement. En 1884, on choisissait le tricolore. Toutefois, comme marque distinctive de la nationalité acadienne, on a placé une étoile aux couleurs jaunes dans la partie bleue. Les trois couleurs nous rappent que nous sommes français, la couleur jaune de l’étoile, qui est la couleur papale, nous dit que nous sommes catholiques romains et que nous devons porter à la sainte Eglise un attachement inviolable. L’étoile, “Stella Maris”, nous donne l’assurance que Marie guidera toujours l’Acadie à travers les orages et les écueils. Enfin nous avons pour hymne national l’”Ave Marie Stella”. Vous le voyez, Mesdames et Messieurs, l’idée chrétienne domine partout. Il est beau, au jour de sa fête nationale, de voir tout un peuple s’agenouiller à l’ombre du drapeau étoilé qui porte dans ses plis avec les couleurs de la Vierge les espérances de la patrie et chanter avec enthousiasme son inaltérable amour à Marie en implorant sa protection. Les émotions qui empoignent alors le cœur se sentent mieux qu’elles ne s’expriment. Quand la foule chante “Monstra te esse Matrem”, il y a souvent dans les voix des accents de vive tendresse et de piété filiale qui mettent des larmes dans les yeux, larmes échappées du cœur heureux de battre à côté de cœurs unis dans une même pensée et dans une même prière, heureux de s’épancher dans le cœur d’une commune mère. Maintenant jetons un rapide coup-d’œil sur l’avenir qui semble réservé aux Acadiens qui furent longtemps courbés, mais jamais écrasés. Aujourd’hui, ils chantent l’hosanna de la reconnaissance et ils peuvent dire avec le Psalmiste : “Dominis meor fuit nostril et benedixit nobis! Le Seigneur s’est souvenu de nous et il a répandu sur nous ses bénédictions.” Jadis les proscrits avaient jeté sur le chemin de l’exil des semences de justice et de vérité et de mérites qui ne devaient pas être perdues, aujourd’hui leurs descendants s’avancent portant sur leurs épaules des gerbes d’épis qui promettent beaucoup pour l’avenir. “Venientes autem venient cum exultation portantes manipulos suos”. Ils sont aujourd’hui 150,000 et dans 25 ans ce nombre sera certainement doublé. Les vainqueurs cèdent devant les vaincus. Des centres autrefois anglais sont maintenant presque tout français. Les Acadiens gagnent sans cesse du terrain, et le jour n’est peut-être pas éloigné où ils commanderont dans toutes les Provinces Maritimes. Puisse ce beau jour se lever bientôt pour la race acadienne! Qu’elle s’avance donc confiante et fière comme on a le droit de l’être quand on possède une histoire comme la sienne! Il y a une loi de physique qui dit qu’à toute action correspond une réaction égale et en sens contraire. Cette loi trouve ses applications dans la nature et jusque dans l’histoire des peuples. Prenons la France pour exemple. Au baptême de Clovis et de ses Francs succèdent les temps nébuleux des invasions barbares. Les manifestations de la foi au moyen-âge et de l’héroïsme des Croisades ont leur réaction dans l’amollissement des mœurs, l’affaissement des énergies, et l’Europe tout entière ne se réveille qu’à la chute de Constantinople, époque où commence la Renaissance. A la Renaissance est opposée la Réforme. Et enfin, après l’éclosion du génie au siècle de Louis XIV, la France descend peu à peu la pente du philosophisme et de la libre-pensée jusqu’à ce qu’elle soit emportée dans la tempête de ’89 dont elle ne s’est relevée que pour tomber de nouveau. Et je pourrais multiplier les exemples en ouvrant l’histoire des autres peuples. Revenons maintenant au peuple acadien. A son berceau il reçoit le baptême de la souffrance. Trois siècles d’abandon et de malheurs ont ensuite fondu sur lui. Néanmoins il n’a jamais perdu l’espérance de relever. Il a voulu guérir de ses blessures et de fait il est en voie de guérison, car dit Sénèque, “vouloir guérir, c’est déjà un pas de fait vers la santé”, “Pars sanitatis, velle sauaris fuit.” Il n’est donc pas illusoire de penser que le temps de la réaction à ses malheurs est arrivé pour l’Acadie, et si la réaction doit être égale à l’action, c’est-à-dire aux souffrances qu’elle a endurées, on peut prévoir quel brillant avenir lui est réservé. Voici ce que disait à ce sujet l’été dernier un éminent journaliste de Québec de retour de la convention de Saint Basile : “Les Acadiens sont lancés en pleine voie de progrès national. Ils ont grandi, ils ont prospéré, et le jour n’est pas éloigné où leur race bénéficiera de cette rétribution que la Providence réserve aux petits peuples qui ont souffert pour le droit et la justice, qui ont été plus forts que la persécution, et qui ont conservé avec le culte de leurs traditions le respect confiant des enseignements du Maître. Aussi les sympathies leur arrivent-elles nombreuses et chaudes. Tous les membres de notre famille française saluent avec un religieux respect cet héroïsme frère du nô re, cette gloire nouvelle qui se lève au milieu de nous et vient ajouter son fleuron distinct à la couronne déjà brillante de notre race”. Pour ma part, je crois que l’Acadie aura ses gloires par indemnité pour ses opprobres. Je ne crois pas encore pour elle à la corne d’abondance d’Amalthée, mais il me semble, quand Dieu fait surnager des fragments de peuple à des naufrages aussi multipliés que les siens, quand il fait survivre ce même peuple aux combats, aux proscriptions, aux calamités de toutes sortes, il n’est pas illusoire de conclure qu’Il lui réserve tôt ou tard un rôle important dans le concert des nations. Les peuples sont récompensés ou punis des ici-bas, car au ciel il n’y a plus qu’un peuple, le peuple des élus. L’Acadie a souffert pendant trois siècles et Dieu saura bien la récompenser de sa fidélité. Aujourd’hui, pour les Acadiens, le fleuve a franchi sa cataracte, selon l’expression fleurie d’un poète, le flot s’paise, le bruit s’éloigne, l’avenir s’annonce plus libre et partant plus souriant et plus rempli de promesses. Vous me direz peut être que je grossis les objets, que j’exagère les espérances et que j’embellis la situation sur la toile du rêve et de l’idéal. Vous avez peut-être raison, mais je veux quand même rester avec mes rêves…. Il fait si bon de rêver pour sa patrie de grandeur et de prospérité. Pour moi, j’aime à croire que l’horison qui paraît est un horison de lumière et de vie. Les Acadiens ont une mission à remplir sur la terre d’Evangéline. “Ils sont appelés à cheminer la main dans la main à côté de leurs frères canadiens, pour se faire les champions de l’idée l’idée française et catholique, les défenseurs sans peur et sans reproche de la religion du Christ et semer, avec fierté, avec noblesse toujours, sur cette belle terre d’Amérique, les “Gesta Dei per Francos” dont la France aveuglée ne veut plus. L’avenir est à Dieu et à ceux qui persévèrent avec foi, courage, hummilité! L’étoile de la Vierge qui brille sur le drapeau acadien est un signe d’espérance : inclinnons-nous donc et espérons pour notre noble, pour notre vaillante race acadienne un brillant lendemain. Je ne saurais terminer ce modeste travail sans vous suggérer quelques résolutions. Je suis encore jeune, il est vrai, pour vous donner des conseils, mais en un jour, comme celui-ci, vous me pardonnerez cette liberté. Si nous voulons réaliser les espérances que nous formons pour l’Acadie nous avons un devoir a remplir, celui d’être fidèles au passé de nos pères et de faire revivre en nous leurs vertus et leurs qualités. Acadiens et chers compatriotes, aimez votre religion, car la religion est la base de toute société. Imitions nos ancêtres qui, au sein des orages qui fondirent sur eux ont su conserver le vrai capital qui les a sauvés du naufrage, c’est une foi vive, une piété sincère, des croyances solides. Vivez votre foi et que ce ne soit pas une foi de surface ou de circonstances. Conservez dans vos familles les bonnes vieilles coutumes et les traditions de vos pères. Tout cela nous rappelle un passé de gloire et nous avons le droit de nous y attacher avec une amoureuse tenacité. Nos ancêtres étaient d’une grande frugalité, ce qui les a fait appeler : “Mangeurs de patates.” Ils ne s’en formalisaient pas et continuaient à en manger en vrais plébéiens tout simplement parce qu’ils trouvaient ça bon. Comme eux aimez la frugalité, soyez charitables, hospitaliers, et surtout, soyez sobres! Si nous faisions ensemble un petit examen de conscience sur la sobriété et la tempérance, nous trouverions peut-être que ces deux qualités sont souvent massacrées chez nous. Soyez énergiques dans la revendication de vos droits et ne cédez pas quand votre cause est juste. On a dit que les Acadiens “sont têtus”: ne faites pas mentir cette parole quand il est temps de vous montrer fermes. Souvenez vous que vous devez faire une provision de vos principes pour guider votre vie et que vous ne les préserverez qu’en ayant du caractère et de solides convictions. Si vous faites tout cela vous serez de vrais acadiens et de vraies acadiennes. Jeunes filles, faires revivre en vous les vertus de la “douce Evangéline” immortalisée par Longfellow. Comme elle, soyez fortes et courageuses, comme elle soyez la joie de votre vieux père ou de votre vieille mère, comme elle soyez économes et industrieuses, modestes dans vos goûts. Je ne vous demanderai pas de vous coiffer comme elle de la cape normande et de jeter sur vos épaules le vieux châle noir de la maman, car je craindrais de vous mettre aux prises avec les exigences impitoyables de la mode, je craindrais aussi une banqueroute pour les magasins de nouveautés, et ce serait d’ailleurs faire le désespoir des modistes et des couturières, mais au moins fuyez le luxe. Je n’adresserai en passant aux maitresses d’écoles et leur demanderai de bien étudier l’histoire de l’Acadie, afin de la faire pénétrer dans l’esprit des enfants et d’en tirer des leçons inappréciables pour leur formation morale, intellectuelle et religieuse. Jeunes gens, restons chez nous, n’allons pas dépenser sur une terre étrangère la vigueur de nos bras, nos énergies juvéniles, l’enthousiasme de nos vingt ans. Notre Madawaska est assez grand, assez beau pour recueillir toutes nos sueurs comme il est digne de nos jeunes ardeurs et de nos meilleurs amours. “Partir c’est mourir un peu,” a dit un auteur. Oh! Que cette parole est vraie! Voyez donc ceux qui s’en vont réaliser sur d’autres rives l’idéal de leur vie. Ils ne savent pas peut-être ce qu’il y a d’amertume dans le cœur de ceux qu’ils laissent, ils ne pensent pas aux larmes amères qu’ils font couler, aux effusions de tendresse dont ils privent des êtres aimés, aux cœurs qu’ils broient et font saigner. Ils partent! Ils orientent leurs voiles au vent des espérances. Bientôt peut être ils seront secoués par la tempête, heureux s’ils ne sont pas emportés au sein d’un naufrage où sombrent l’honneur et l’honnêteté. Ils se rappelleront alors la terre natale, le vieux clocher, les parents et les amis de la-bas, la nostalgie les envahira, ils voudront revenir, mais s’ils ont prostitué leur jeunesse, perdu aussi leur liberté!