l'Assomption au Madawaska

Année
1909
Mois
9
Jour
30
Titre de l'article
l'Assomption au Madawaska
Auteur
----
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1, 8
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L’ASSOMPTION AU MADAWASKA Conférence donnée le 15 Aout 1909, à Saint-Hilaire, par M. Joseph Saindon, élève finissant du Collège Sainte-Anne de Lapocatière. (suite) Les transports attendirent une bonne brise. Winslow eut un moment d’orgueilleuse satisfaction quand il les vit tendre leurs voiles au vent et prendre le large. Il avait réussi au-délà de toute espérance. Toute cette vaste baie où travaillait comme un essaim d’abeilles un peuple industrieux était maintenant déserte. En s’éloignant de leur terre natale, les déportés s’étaient groupés sur les ponts des vaisseaux. Ils voulaient dire un dernier adieu à leur pays, contempler une dernière fois cette terre trois fois chère qui leur avait coûté tant de sueurs, tant de souffrances, tant de larmes et qu’ils ne reverraient peut être plus. Leurs yeux étaient rivés à ces demeures aimées où ils avaient rêvé de prospérité, de bonheur et de paix. Soudain, une traînée de flamme s’élance vers la voute du ciel. Un cri de folle douleur s’échappe de toutes les poitrines. C’étaient les granges pleines de foin et de gerbes, l’église et leurs chaumières que les soldats de Winslow livraient aux flammes. Le désespoir de ces gens fut inexprimable, et longtemps, longtemps, leurs sanglots se confondirent avec le clapotement des vagues contre les flancs des vaisseaux emportant pour ainsi dire les derniers vestiges d’un peuple de martyrs. Ce soir-là et les soirs suivants, les bestiaux semblant attendre le retour de leurs maîtres se réunirent autour des ruines fumantes et leurs mugissements se répercutèrent dans le lointain de la nuit toute grise, pendant que les fidèles chiens hurlaient près des voyers déserts. Qu’était devenue la belle Acadie? “Où sont, écrit Longfellow, le sympathique chantre d’Evangéline, où sont les toits de chaume, la demeure du laboureur acadien voilée par les ombres de la terre, mais réflétant l’image des cieux? Les chaumières ont été dévastées et brûlées, les habitants sont partis pour toujours, dispersés comme la poussière et les feuilles aux violentes rafales d’automne.” Longfellow se trompait pourtant. Les Acadiens n’étaient pas une poussière stérile emportée par le vent. C’était un essaim d’hirondelles fuyant sous l’orage qui a renversé leurs nids, mais qui reviendront aux premiers jours de soleil et de calme, attirés par un invisible besoin, s’abattre au même lieu et rebâtir leurs demeurs avec une patience qui ne connait pas le découragement. Quelle force les avait donc rendus plus forts que le malheur, plus forts que la persécution? C’était la foi, cette foi qu’ils voulaient transmettre à leurs enfants forte et vive comme aux jours heureux. Pour ne pas briser ce lien de la religion, cette chaîne mystérieuse qui nous relie au ciel, ils s’étaient voués à toutes les horreurs de l’exil, ils avaient accepté généreusement de souffrir tous les maux. Ils en seront largement récompensés. Si la providence permet quelquefois certains triomphes insolents du mal et certaines souffrances imméritées, ce n’est souvent que pour rendre ensuite plus sensible la prédilection toute spéciale qu’il a pour ceux qui savent tout supporter dans l’amour du Christ. Il y a des races, florissantes en apparence, qui marchent vers la mort, pendant que d’autres à peine viables s’acheminent dans l’ombre vers la vie et vers un idéal de progrès qui leur assure l’immortalité. Telle était la race des proscrits sur le chemin de l’exil. Tandis qu’ils s’en allaient gémissant et pleurant, ils jetaient sur leur passage des germes de vie, des semences de mérites et de justice qui ne pouvaient périr : “Euntes, ibant et flebant, mittentes semina sua!” La destination des déportés avait été prévue par Lawrence. Il les dispersa le long des côtes américains depuis le Mass. jusqu’à la Georgie, une étendue de plusieurs centaines de milles. Cette mesure fut la plus barbare et la plus funestre aux Acadiens, car elle mettait un grand nombre de familles séparées dans l’impossibilité de se retrouver. Je n’entreprendrai pas de décrire dans le détail les souffrances du petit peuple martyr en exil. On est ému jusqu’aux larmes en pâle récit que nous en font les h istoriens. On les laissa des mois entiers sur les vaisseaux où ils étaient parqués comme un vil troupeaux. Plusieurs périrent de misère au fond des cales, d’autres malades, épuisés par les privations, furent débarqués au hazard sur les côtes et très mal accueillis par les habitants de la Nouvelle-Angleterre. Pendant plusieurs mois, ils errèrent ainsi au pays étranger, repoussés de tout le monde. Eux qui avaient connu l’aisance et les douceurs de la vie domestique pleurèrent comme le peuple juif au souvenir des joies d’autrefois et de leur pays perdu : Super flumina (illisible) illie sedimus et fleuvimus eum recordaremur Sion. Errants aux portes des villes, regardés comme des êtres vils et dangereux, montrés du doigt et repoussés comme des vagabonds, réduits à la mendicité, accablés d’avanies, ils languirent dans un délaissement morne et lugubre, Nulle par ils ne rencontrèrent une main charitable et amie pour panser les blessures de leurs cœurs brisés. En proie à toutes les privations, ils ne pouvaient plus se reprendre à la vie, et la nostalgie les tuait autant que la misère. Ils expiraient en tournant leurs regards vers la patrie tant aimée : Et dulces moriens reminiscitur Argas! Pour chacun des trépassés ils creusaient une fosse sur la terre étrangère, et chaque tombe, en se refermant emportait quelque chose de leurs affections ou quelques lambeaux de leur chère Acadie. On aurait pu suivre leur marche a la trace des tombes qu’ils creusèrent pour ensevelir ceux qui mouraient de douleur et de faim. Repoussés de toutes parts, les Acadiens résolurent de regagner leur pays. A cette nouvelle, Lawrence fut plongé dans d’étranges perplexités. Il s’était flattés de l’espoir d’effacer la race française en Acadie et voici que ces espérances allaient s’évanouir. Il écrivit aux gouverneurs de la Nouvelle Angleterre leur enjoignant de prendre tous les moyens pour empêcher les Acadiens de revenir. A la suite de cette circulaire, la rigueur des mauvais traitements redoubla. Cependant 4000 habitants environ avaient échappé à la dispersion en se sauvant. Non-seulement Lawrence essaya d’empêcher le retour des exilés, mais encore il fut assez féroce pour poursuivre les débris du peuple acadien échappés à ses coups et restés dans la péninsule. Par une suite d’intrigues diaboliques, il parvint à s’emparer d’eux. Dès le printemps de 1760, 2000 de ces malheureux, proscrits pour la seconde fois, furent dirigés sur Halifax, pour être, de là, transportés dans la Nouvelle-Angleterre. Mais Lawrence n’eut pas le temps de terminer ce dernier acte de tyrannie, la mesure de ses iniquités était comblé. Il mourut dons la force de l’âge, frappé d’un mal foudroyant, au sortir d’un bal public donné en réjouissance de la capitulation de Montréal. Ainsi finit Lawrence, le tyran que ses concitoyens eux-mêmes ont marqué du sceau de l’infamie et dont les actes, écrits en caractères de sang, souilleront à jamais les annales de la fière Albion. Winslow, son ignoble lieutenant, eut une fin à peu près semblable. En 1762, Belcher, digne successeur de Lawrence, rassembla tout ce qu’il put trouver d’acadiens dans la péninsule, les fit embarquer sur cinq navirea et diriger sur Boston. Les autorités de cette ville, ne voulant plus se prêter à ces persécutions, refusèrent de les laisser débarquer. Les déportés furent ramenés à Halifax et tenus en servage pendant plusieurs années. Ils furent mis au service des colons anglais, dont plusieurs poussèrent années. Ils furent mis au service des colons anglais, dont plusieurs poussèrent l’inhumanité jusqu’à refuser de leur payer leurs gages. On frémit à l’idée du sort infligé à ces infortunées, réduits à l’état de parias par leurs infâmes oppresseurs, et quand on songe que cette condition était faite aux seuls véritables possesseurs et maîtres de l’Acadie, le cœur bondit d’indignation. Honte aux tyrans éxécrés, dont le poète a justement stigmatisé les noms en disant : La mer y passerait sans laver la souillure Les proscrits languissaient toujours sur la terre d’exil. Les uns, abandonnant toute espérance de revoir leur “Chère Cadie”, gagnèrent la Louisiane où ils ont établi une colonie forte et prospère, représentée au dernier congrès à Saint-Basile, par l’Hon. Juge Breaux. D’autres se rendirent dans la province de Québec, où leurs descendants ses comptent aujourd’hui par milliers et par dizaines de mille. Le reste des proscrits se laissèrent bercer de l’espoir qu’un jour les vainqueurs lèveraient la loi d’ostracisme qui leur interdisait l’entrée de la patrie. Enfin ce jour arriva quand fut conclu, en 1713, entre la France et l’Angleterre, le traité de Paris. Dès lors, ils résolurent de regagner leur Acadie perdue, mais toujours regretté. Loin de leur clocher natal, privés des consolations spirituelles du missionnaire, ne pouvant plus lui confier comme autrefois leurs peines et leurs angoisses, ils voulurent revoir la terre de leurs aïeux qui était pour eux la terre des souvenirs. Environ 200 familles se mirent en route en longeant les côtes de la Nouvelle-Angleterre. Dieu seul sait toutes les souffrances qu’ils endurerent dans ce douloureux exode : leurs misères sont aujourd’hui noyées dans l’ombre du passé. Après plusieurs mois de marche au travers de la grande forêt, ils atteignirent l’entrée de la rivière St Jean. Les plus fatigues s’arrêrent sur les bords de ce fleuve, mais le gros de la troupe poussa le voyage jusqu’à Memramcook. Après quelques jours de repos, 70 familles, désirant revoir Grand Pré, les Bassin des Mines et la riante vallée de Port Royal, reprirent le cours de ce pénible pèlerinage. Ils passèrent l’isthme et redescendirent le long de la baie française, appelée aujourd’hui “Bay of Fundy”. Enfin la colonne des proscrits toucha les plages du Bassin des Mines. Avec le poète ils pouvaient s’écrier : J’ai voulu te revoir, ô ma belle patrie. Avant que de mes ans la source fut tarie! Dans le vieux cimetière, à l’ombre des cyprès, Je viens chercher ma tombe et dormir dans la paix. Hélas! un nouveau serrement de cœur les attendait; et ce repos et cette paix, ils ne devaient pas encore les trouver dans ce coin de terre où dormaient leurs plus chers souvenirs. Ils trouvèrent leurs champs confisqués, défigurés, distribués en des mains ennemis. Les vieux pins murmurants, qui avaient abrité leur enfance couvraient maintenant de leur ombre une autre race. Repoussés encore une fois, ils s’agenouillèrent sur les tombeaux de leurs parents et de leurs amis, pleurèrent longtemps au souvenir des jours plus heureux passés avec ces chers disparus, et consolés, reprirent le chemin de la forêt. Ils ne s’arrêtèrent qu’à l’endroit appelé aujourd’hui Baie Ste-Marie, où s’élève le joli collège de Church Point. Tous ensemble se reprirent au travail et à ces dernières espérances qui naissent même du désespoir. Les exilés, revenus dans la terre natale, pouvaient désormais espérer vivre tranquilles. Mais voici qu’à la persécution ouverte succéda la persécution sourde. Loin de leur rendre les terres qui leur appartenaient en toute justice, le gouvernement se fit prier pour leur concéder de nouvelles terres, il mit obstacle au groupement des familles et veilla à ce qu’une terre octroyée à un Acadien fut située entre deux propriétaires protestants, afin d’arriver à lui faire perdre sa langue et sa religion. D’ailleurs le mode de concession était on ne peut plus défavorable aux repatries. Les permis accordés n’étaient que temporaires, en sorte qu’on pouvait les leur enlever un jour ou l’autre. Sans protecteurs, ils ne pouvaient remédier aux maux dont, ils souffraient. Enfin la persécution se ralentit lorsque fut tiré le premier coup de la guerre de l’indépendance des Etats-Unis. L’Angleterre comprit qu’il fallait ménager le Canada pour ne pas lui donner l’occasion de s’allier aux Etats-Unis. En protégeant les Canadiens, elle fut naturellement portée à ménager leurs frères les Acadiens. Après cette guerre de l’indépendance, un certain nombre d’Anglo-Américains voulurent à tout prix rester sujets britanniques. Le gouvernement d’Halifax se chargea de leur trouver une place toujours aux dépens des pauvres Acadiens. En 1784 les rapatriés qui s’étaient arrêtés a l’entrée de la rivière St-Jean en revenant de l’exil furent de nouveau dépossédés au profit de ces loyalistes américains qui n’eurent qu’à s’assoir à leur table pour manger leur pain et devenir du jour au lendemain rois et maîtres des propriétés arrosées des sueurs de la race proscrite. Ces malheureuses familles, impuissantes contre la force, reprirent encore le chemin de la forêt. Elles remontèrent la rivière St-Jean jusqu’aux plateaux du Madawaska qu’elles ouvrirent la hâche à la main. Telle fut l’origine de notre beau comté du Madawaska. Nos ancêtres furent donc deux fois proscrits, mais Dieu a récompensé leurs efforts et la belle colonie qu’ils ont fondée témoigne, par sa population et sa prospérité; de la valeur des fondateurs comme de la valeur des descendants. Il y aurait de belles pages à écrire sur l’histoire de notre beau Madawaska. Espérons qu’un de ses fils se lèvera plus tard pour accomplir cette œuvre aussi patriotique que désirable et utile. Telle fut la fin de cette persécution sans parallèle dans les annales de l’Amérique. Je le répète, pas un pays au monde n’est plus digne de sympathie et d’amour que l’Acadie, car pas un peuple n’a plus souffert que le peuple acadien. Ses douleurs ont été accompagnées d’un raffinement de cruauté dont on n’a pas d’exemples dans les fastes de l’histoire. D’autres peuples ont souffert, comme le peuple irlandais, le peuple polonais, mais on leur a laissé un privilège, celui de souffrir chez eux, sur le sol natal, sous le ciel aimé de la patrie, et c’était déjà une grande consolation. Quant au peuple acadien, il a dû partir en exil à la lueur de ses chaumières incendiées, et s’en aller souffrir à l’étranger, loin de ce qu’il aimait, sans protection comme sans amis, nulle part il n’a rencontré sur sa route le bon Samaritain pour panser ses blessures saignantes. Tout ce qui avait été édifié depuis 1604 fut emporté dans la tourmente de 1755, et ce qui a pu être reconstitué depuis lors des débris épars de ce petit peuple a été cimenté dans l’abandon, dans les larmes et dans le sang. On ne peut s’expliquer comment la race acadienne n’a pas disparu dans l’orage qui l’a renversée, autrement que par l’intervention miraculeuse de la Providence et par la puissance de son sentiment national et religieux. J’ai insisté sur la dispersion des Acadiens parce que c’est le grand évènement de notre histoire et que nous ne saurions trop le faire connaître. Je tâcherai de dire maintenant aussi brièvement que possible comment la race acadienne, reconstituée par une protection spéciale de la Providence, a traversé la période qui a suivi la persécution jusqu’à nos jours, quelle est sa physionomie actuelle, et nous crayonnerons ensemble sur le pastel de la conjecture l’avenir qui semble réservé à l’Acadie au cours présumé favorable des faits. Messieurs les loyalistes anglais s’aperçurent quelques années après la dispersion que la race acadienne existait encore et que les tronçons de l’arbre renversé avaient fait souche partout où les avait jetés la tempête. Leurs ressources en revenant de l’exil ne consistaient, il est vrai, que dans leurs bras et leurs volontés, mais leurs poignets étaient plus forts que les nœuds des érables qu’ils abattaient, et leurs volontés, trempées par le malheur, plus fortes que leurs bras. Ils avaient encore présents à la mémoire tous les morts, laissés là-bas sur tant de plages diverses, loin de la douce Cadie! Ces souvenirs leur arrachaient des larmes brûlantes, mais il fait si bon pleurer en se souvenant! Ils croyaient alors entendre ces voix d’outre-tombe leur disant d’être forts, de rester fidèles à la religion et à la patrie. Et cette pensée ranimait leur courage! Au moment où ils revenaient de l’exil il n’y avait dans toute l’Acadie qu’un seul missionnaire, l’abbé Bailly de Messein. Les abbés Bourg et Leroux qui le remplacèrent furent bientôt épuisés par leurs travaux absorbants. Qu’allaient donc devenir leurs ouailles? Dieu voulait-il abandonner la race acadienne! Au moment où elle sortait des ruines, allait-il la laisser périr après l’avoir préservée de l’anéantissement? Inquiets, les Acadiens se demandaient d’où leur viendrait le secours? “Unde veniet auxilium sibi?” Ils s’assemblaient le soir et récitaient en commun des prières pour demander des ouvriers évangéliques. La Providence veillait sur eux. Une tempête avait ren-renversé le peuple Acadien, une tempête devait lui apporter le salut. Nous sommes ici en face de ces harmonies de la Providence qu’on ne peut contempler. Il était réservé à des exilés de venir recueillir et sauver ce qui restait d’un peuple exilé et proscrit. A ce peuple confesseur de la foi Dieu devait des apôtres confesseurs de la foi comme lui. La révolution française était alors dans toute sa fureur, jetant sur les rivages d’Angleterre une foule de prêtres échappés à la guillotine. On vit tout à coup le gouvernement anglais changer de politique et mettre autant d’empressement à faire passer des prêtres en Canada qu’il en avait mis la veille à l’en priver. Cette nouvelle recrue permit à l’évêque de Québec d’envoyer en Acadie plusieurs ouvriers évangéliques. On peut facilement s’imaginer quel essor donnèrent aux missions acadiennes ces hommes instruits. Éprouvés eux aussi par le malheur, exerçant leur zèle sur un peuple avide de leur parole et ouvert au sentiment religieux. C’est à ces confesseurs de la foi que le peuple acadien doit son organisation. Ce sont eux qui ont été les véritables fondateurs de notre nationalité. L’abbé Sigogne, dont le souvenir est resté gravé au cœur de tout un un peuple reconnaissant, fut le dernier survivant de cette glorieuse phalange d’apôtres, et quand il se coucha pour dormir son dernier sommeil, le peuple acadien pouvait compter sur l’avenir. En se dépensant pour lui, afin de le relever de son état d’abandon où l’avaient jeté plus de 40 ans de continuelles épreuves et de douloureux oubli, il croyait n’écrire son nom qu’au livre de Dieu, et voici que son nom est écrit au livre des hommes et que sa mémoire vivra autant que le peuple dont il a préparé les destinées. L’abbé Sigogne s’était lié d’amitié avec Haliburton, le sympathique et généreux protecteur des Acadiens qu’il représentait au gouvernement de la Nouvelle Ecosse, et l’avait pressé de demander l’abolition du serment du Test. Le mémorable discours qu’Haliburton prononça au parlement en faveur des Acadiens enleva l’auditoire et fit tomber bien des préjugés. Le serment du Test fut définitivement aboli. Avec cette dernière victoire tomba la dernière chaine des Acadiens. La persécution avait cessé, mais restait un danger sérieux, celui d’être noyés dans l’élément étranger. C’est un miracle de la Providence que les Acadiens n’aient pas été absorbés par les vainqueurs. Leur lutte a été longue, opiniâtre, cachée, mais belle, mais courageuse, mais fructueuse, l’attachement à leur foi, à leur langue et leurs traditions françaises a porté des fruits de statut dont ils ont raison d’être fiers. Ils ont lutté seuls, entourés d’une langue différente de la leur, une population supérieure en nombre, en richesse et en positions influentes. Humainement parlant, s’ils ont conservé leur identité et leur intégrité nationale en face du péril sans cesse menaçant, c’est qu’ils ont aimé mieux rester étrangers au progrès pourtant enchanteur d’une civilisation prospère. Pendant un siècle, ils ne furent rien civilement et politiquement, ils n’occupèrent aucune position officielle, n’eurent pas un seul avocat de leur race, pas un médecin, pas d’instituteurs ni d’institutrices de leur lange. Ils n’ambitionnaient aucune de ces choses-là parcequ’ils ne songeaient pas que rien de ces choses-là eût été fait pour eux. Satisfaits qu’on les laissât vivre sans leur enlever le peu qu’ils possédaient, ils ne demandaient souvent qu’à être ignorés et qu’on leur laissât cueillir en paix les moissons que le bon Dieu leur donnait et jouir de la lumière du soleil qui luit pour tout le monde. “Mais le plus grand malheur des Acadiens, dit l’abbé Casgrain, n’a pas été leur dispersion, ça été l’abandon presque complet dans lequel ils ont été laissés et les moyens d’instruction dont ils ont manqué. Et pourtant, l’instruction est le grand moyen des peuples modernes pour arriver promptement au pouvoir.” “Instruisez-vous, mes amis, si vous voulez vivre”, disait un éminent canadien-français à ses compatriotes. Pendant les premières années qui suivirent la dispersion les Acadiens manquèrent des moyens pour faire instruire leur enfants, l’absence d’instituteurs français et d’écoles françaises d’instituteurs français et d’écoles françaises semblait les vouer à la perte de leur langue ou à demeurer les serviteurs des étrangers. Comment sortir de cette situation? En fréquentant les écoles anglaises, la jeune génération ne pouvait manquer de se détacher peu à peu de la langue nationale. En ne les fréquentant pas, elle se fermait sûrement l’accès aux emplois et aux fonctions publiques. Les Acadiens firent généreusement le sacrifice des places lucratives. Ils aimaient le progrès, mais ils n’aimaient pas l’esclavage; Ils aimaient bien l’avancement matériel, mais ils aimaient encore mieux leur langue et leur nationalité. Comme leurs frères les Canadiens, ils avaient des aspirations nobles, des ambitions saines, un idéal élevé, patrimoine sacré transmis par leurs pères et c’est pour le conserver intacte et le transmettre à leurs descendants avec son entité distincte et parfaitement française qu’ils ont renoncé à tout ce que leur offrait une éducation anglaise. Je le répète, c’est à ces sacrifices admirables et à la protection de la Providence que les proscrits de 1755 ont dû d’être restés ce qu’ils sont aujourd’hui : Acadiens-Français-catholiques. Longtemps on les a crus morts, attendu qu’ils ne donnaient plus signe de vie; mais ils n’étaient qu’endormis. Ils avaient un ami, ils avaient un père qui veillait sur leur sommeil d’agonie : c’était le divin Maitre qui ressuscita Lazare. Après plus d’un siècle de ce sommeil, ils se sont levés, affaiblis et tout couverts de la poussière du tombeau, mais vivants cependant et bien déterminés à vivre. De 2400 qu’ils étaient en 1768 ils sont arrivés aujourd’hui à 150000. Ils sont debout, aujourd’hui, pour témoigner de la vitalité de leur race et pour crier à la face de la terre, dans un temps où l’on tente d’exclure Dieu de toutes choses, qu’un peuple qui s’appuie sur Dieu ne meurt pas. “on aura beau l’opprimer, s’est écrire un jeune orateur au dernier congrès de Saint-Basile, on aura beau le disperser, le noyer dans un élément hétérogène, on ne réussira jamais qu’à en multiplier les groupes et à leur faire prendre des racines plus profondes dans le sol. Un peuple peut souffrir, mais il ne meurt pas quand il reste fidèle à sa foi, un peuple ne meurt pas quand il s’appelle l’Acadie ou la Nouvelle-France!” Ce retour à la vie date du jour où une main aimée et généreuse est venue rompre aux Acadiens le pain de l’intelligence. A la province de Québec revient l’honneur d’avoir contribué pour une bonne part à notre résurrection nationale, puisque le grand patriote et le grand apôtre que fut le Père Lefebvre était un prêtre de la province de Québec. Touché des infortunes des acadiens, poussé par l’esprit de charité et de dévouement, il s’en alla en 1884 élever près des ruines des anciens forts de Beauséjour et de Gaspareaux, dans cette campagne où les pères de l’Acadie avaient si vaillamment combattu pour la défense de leurs foyers et de leurs autels, le collège de Memramcook qui est resté comme un monument de gloire de son nom. Je n’ai pas le temps de faire ici l’éloge du Père Lefebvre, mais je voulais au moins saluer sa mémoire avec celle du Père Lafrance, et rappeler combien nous sommes redevables à ces deux grands hommes qui ont consacrés leurs vies au développement de notre race. L’ouvereture du collège de Memramcook fut l’aurore d’un jour meilleur. Il se passa encore quelques années avant que les Acadiens pussent se faire connaître, mais, l’élan était donné. Ils reconnurent qu’ils n’étaient en rien inférieurs aux vainqueurs, et que cette vitalité et que ces aptitudes intellectuelles dont avait preuve leurs ancêtres, n’étaient pas mortes. Lors de la confédération on les éprouvait encore et le sénat fut rempli, et le service civil prit son nombre complet sans qu’il fût question d’eux. Mais depuis cette époque ils ont fait du chemin. Ils ont un nombre considérable de prêtres et de religieux, des avocats, des médecins, des instituteurs et des institutrices de langue française. Chose déplorable : c’est que nous sommes placés sous le régime néfaste de l’école neutre. Espérons que bientôt les Acadiens seront assez forts pour revendiquer avec succès leurs droits aux écoles confessionnelles. Leur population dans les provinces Maritimes dépasse maintenant 150,000. Elle a ses représentants au Sénant, aux Communes, des ministres et des députés aux législatures provinciales. L’hon. P. A. Landry, un vrai Acadien celui-là, est juge de la Cour Suprême du Nouveau-Brunswick et fait honneur à sa race. Il ne nous manque plus qu’un évêque acadien, droit que nous réclamons depuis longtemps. Mais la nomination d’un évêque Acadien, d’après des informations venues de Rome même, ne saurait tarder. Les Acadiens ont leur fête nationale, l’Assomption. Il sera bon, ce me semble, de vous faire connaître en ce jour le véritable but de la fête et des conventions nationales. Après être parvenus à se faire une place au soleil des nations, leurs groupes épars restaient sans rapport intime, sans cohésion suffisante, et cet isolement était une cause de faiblesse. Ils voulurent donner une expression extérieure à l’entente fraternelle qui existait déjà dans leurs aspirations, ils voulurent mieux se connaître entre eux, mieux s’aimer, “mieux se sentir les coudes,” comme s’exprimait un journaliste Canadien, l’été dernier, et pour cela ils se fixèrent un jour où ils pourraient rappeler à la jeune génération les malheurs de leurs pères, afin de les engager à suivre leurs traces, de mieux apprécier leurs triomphes, mieux sentir leurs gloires et préparer sûrement l’avenir. Les conventions qui datent de 1881 sont données d’une idée des plus patriotiques et des plus louables. Les Canadiens furent froissés de ce que les Acadiens abandonnaient la Saint Jean-Baptiste pour se choisir une fête nationale distincte de la leur. Sans prétendre trancher la question, je crois que les Acadiens pouvaient se choisir une fête nationale sans commettre une grave indélicatesse envers les Canadiens, car s’ils ont une nationalité, une histoire distincte de la nationalité et de l’histoire des Canadiens, ce qu’on ne peut contester, pourquoi n’auraient-ils pas le droit comme eux, puisqu’ils sont leurs ainés, d’avoir une fête qui leur soit propre, un jour national particulier pour chanter ensemble, chez eux, leur bonheur de vivre et de grandir, après être échappés miraculeusement au grand holocauste de 1755. Et s’ils ont choisi la Sainte Vierge pour patronne, c’est qu’ils ont voulu faire de son assomption glorieuse l’emblème de leurs réveil national. La Sainte Vierge n’a goûté le bonheur ici-bas que dans la solitude de Nazareth. Après la persécution, le calvaire, la mort de son divin fils, après une vie d’angoisses, après de longues aspirations vers le ciel, elle est enfin élevée en gloire. Notre histoire aussi est une succession de malheurs. Nos pères n’ont goûté le bonheur que dans la solitude de Grand-Pré et de Beau-Bassin. Il leur a fallu s’exiler pour éviter la mort, ils ont vu égorger leurs enfants et leurs frères, mais jamais ils n’ont perdu courage, sans cesse ils ont regardé le ciel et c’est là ce qui les a sauvés. (A continuer)