Le Congrès des Instituteurs Acadiens de l’Ile St-Jean

Année
1909
Mois
9
Jour
2
Titre de l'article
Le Congrès des Instituteurs Acadiens de l’Ile St-Jean
Auteur
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Page(s)
02
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Le Congrès des Instituteurs Acadiens de l’Ile St-Jean L’hon. sénateur Poirier nous est revenu vendredi de Saint-Jacques d’Egmont-Bay, où il avait été invité à prendre part au congrès annuel des Instituteurs français de l’Ile du Prince-Edouard. L’hon. sénateur nous résume ainsi les impressions de son agréable voyage : Vous me demandez des nouvelles de l’Ile Saint Jean, d’où j’arrive. Bonnes nouvelles. Les récoltes ont une superbe apparence, d’abord, et ensuite, les méthodes d’agriculture s’y améliorent d’année en année. L’Ile était pauvre, il y a trente ans; on y cultivait la terre comme le font les cultivateurs (Anglais et Français) de par-ici. Elle est riche aujourd’hui. Plus d’hypothèques sur les propriétés, et presque tout le monde a un dépôt à la banque. Ce changement est dû aux méthodes de culture améliorées dont on fait usage : rotation, élevage, soins des engrais, fromages et beurre, volailles, travail des hommes aux champs et des femmes au jardin potager et à la basse-cour. Les femmes de l’Ile n’ont pas peur de traire les vaches. A noter : chaque cultivateur sauve de la graine de trèfle pour la semence, en même temps que de mil. En prenant le train à Summerside pour Wellington, où je descendais, je vis un groupe de jeunes gens des deux sexes, où il me semblait que l’on parlait français. Je me rapprochai, attiré comme l’acier par l’aimant. C’étaient des instituteurs et des institutrices, qui s’en allaient au congrès pédagogique des Acadiens à Saint-Jacques d’Egmont Bay. A entendre les rires discrets aux notes fines des jeunes filles, à voir l’allure joviale et de jeunesse bien née des jeunes instituteurs, français tous et toutes, et paraissant heureux de l’être, ne craignant pas de le parler, en tous cas, je sentis je ne sais quelques émotions gonfler mon cœur. M. Martin, professeur de français à l’Ecole Normale de Charlottetown, qui me reconnut, vint aimablement s’assoir près de moi, et nous fimes de compagnie le voyage d’Egmont Bay, où nous allions tous. C’est pour parler à mes compatriotes de la grand’terre de ces réunions annuelles des instituteurs et institutrices de l’Ile que je me laisse interviewer. Elles se tiennent tous les ans, depuis 1893, durant les vacances scolaires, dans l’une ou l’autre des neuf ou dix paroisses acadiennes de l’Ile. Les plus éloignés des maîtres et maîtresses se rendent en chemin de fer à la station la plus voisine. Ils sont reçus par les cultivateurs de l’endroit, qui se les partagent dans leurs maisons, selon la bonne vieille hospitalité acadienne. L’on m’a fait remarquer, mais ceci je ne le garantis pas, que dans les maisons où il y a des jeunes filles à marier, les instituteurs se retirent de préférence, et que les maisons où il y a un ou plusieurs grands garçons s’ouvrent plus volontiers aux institutrices. De cela, en tous cas, personne ne trouve à redire. Les congrès durent ordinairement deux jours, quelquefois trois. Les séances en sont ouvertes au public et toute la paroisse s’y rend. Il s’y fait de l’école pour tout le monde, pour les maîtres et maîtresses qui y échangent leurs idées, et résument en des “papiers” bien faits leurs expériences et leurs lectures dans l’art d’enseigner; pour les parents qui voient et entendent ce qu’on fait de leurs enfants, et pour les enfants qui s’aperçoivent qu’ils sont l’objet de la sollicitude de tout le monde. De “l’hygiène à l’école, de ce que l’on doit de preference enseigner aux enfants, des livres français, de la manière d’enseigner, etc.,” tels sont les sujets qui furent, cette année, traités, et bien traités. Et puis on y enseigne aussi et l’on y apprend à connaître et à aimer l’Acadie. A sa place, sur l’estrade, des deux côtés du président, se tient le clergé, tout le clergé acadien de l’Ile; car ici, plus qu’ailleurs, on fait du patriotisme en action. Elle est admirable l’action du clergé acadien de l’Ile du Prince-Edouard. C’est à lui et au département français des écoles, c’est aux congrès pédagogiques, que l’on doit le progrès si consolant qui se fait parmi nos frères insulaires. M. l’abbé Boudreault, curé de Saint-Jacques, le vétéran et le patron parmi nos prêtres nationaux de l’île, dirigeait avec un tact consommé, les travaux du congrès, son presbytère et son cœur largement ouverts à l’hospitalité. M. Marin Gallant en était le président. Durant une causerie pratique et bien faite qu’il donna, le siège présidentiel fut occupé par une jeune fille, vice-présidente, dont je tairai le nom, mais dont je ne puis taire la gracieuse compétence. Que ceux qui veulent connaître son nom s’abonnent à l’Impartial, très excellent journal français publié à Tignish, où se trouve la chronique de tout ce qui se fait de bien et de bon parmi les nôtres, là bas. D’ailleurs, chaque famille acadienne devrait s’abonner à au moins l’un de nos trois journaux, le Moniteur, l’Evangéline ou l’Impartial, et, tous ceux qui le peuvent, aux trois. Quelques incidents m’ont frappé qui montrent quels progrès nous avons faits sur l’île, depuis le congrès de 1884, où l’on n’entendait guère plus de français à Miscouche qu’on n’en entend aujourd’hui à Bathurst, et que l’on n’en entendra à Shédiac dans vingt ans, si ceux qui imposent le ton continuent à faire ce qu’ils font : ne parler que l’anglais entre eux et devant le monde. Une jeune institutrice acadienne, des plus jolies, et elles étaient toutes jolies et belles, élevée dans une famille anglaise et ne parlant pas le français, et venue au congrès lire un travail sur l’hygiène est la physiologie. Elle ne parlait pas le français, mais son cœur était demeuré acadien et elle choisissait sa place au milieu de ses sœurs, les Acadiennes. Mêmes sentiments de vif patriotisme parmi les vieillards. Le soir, à la maison de feu de sénateur Arsenault, chez M. Adilbert Poirier, où je me retirais, plusieurs des habitants du village sont venus passer la veillée pour entendre parler de la France et de l’Acadie. Quand aurons-nous des congrès annuels de maîtres et de maîtresses français au Nouveau-Brunswick, à la Nouvelle-Ecosse et au Cap-Breton, pour seconder les nobles travaux de l’Assomption Mutuelle parmi nous? Il est en vérité douloureux d’entendre de ce côté-ci de l’île tant de beaux discours et de voir si peu de beaux gestes patriotiques.