Discours prononcé au Cap-Pelé, au jour de l’Assomption, par Son Honneur le Juge Landry

Année
1909
Mois
8
Jour
26
Titre de l'article
Discours prononcé au Cap-Pelé, au jour de l’Assomption, par Son Honneur le Juge Landry
Auteur
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1, 8
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Discours prononcé au Cap-Pelé, au jour de l’Assomption, par Son Honneur le Juge Landry Révérends Pères, Mesdames et Messieurs, Permettez-moi, mes bons amis, d’exprimer en premier lieu le grand plaisir que j’éprouve en me trouvant en présence des bons paroissiens de l’Eglise du Cap-Pelé, avec la permission de leur parler. L’incident rappelle tant de beaux souvenirs que je ne saurais les mentionner tous sans occuper bien plus de temps que j’en ai à ma disposition. Les trois années les plus impressionables de toute ma vie ont été passées dans cette belle paroisse, me mêlant à vos chagrins, et venant, tous les dimanches et jours de fête, prier au même autel. Mon cœur est rempli de douces émotions et ma volonté est en lutte avec les nombreuses inclinations que m’inspirent le jour, la circonstance, les entourages, les souvenirs du passé et votre présence. Si je cédais au désir qui semble vouloir me dominer dans le moment, je descendrais de l’estrade et je me paierais du plaisir de vous serrer la main à vous tous. La plus grande difficulté que j’éprouve à vous bien dire ce que je pense, c’est de refouler, de retenir en échec convenable les compliments qui se disputent en mon cœur le droit à la première expression. Arrivé dans votre paroisse à l’âge de 17 ans, sans expérience, sans connaissance, sans le sou, je fus reçu partout dans toutes les familles avec une complaisance, avec une douceur plus que sociale, plus qu’hospitalière; ma réception fut familiale et fraternelle. Laissez moi vous raconter un petit incident qui peut bien servir de clef pour ouvrir le trésor où se trouvent enrégistrés tous les actes de bienveillance et de bonté dont mon passage au milieu de vous fut marqué. J’arrive, honteux, timide, ne connaissant personne. Je cherchais une école; je voulais gagner ma vie. Je me rends à la maison d’un des bons citoyens du Trois Ruisseaux. J’y trouve un père et une mère, encore relativement jeunes et entourés d’une nombreuse et intéressante famille. Les dimensions de la maison et le grand nombre des enfants me suggèrent de suite que je dois aller ailleurs pour un logement. Mais non, il me faut rester là. Toutes les politesses et les bontés du grand cœur Acadien me sont prodiguées; le meilleur lit m’est donné et on m’entoure d’une gaité de réception et d’entretien qui me font croire qu’ils se ressentent redevables pour l’opportunité que je leur donne de m’être bons et agréables. Le lendemain un des garçons, fiancé depuis quelque temps à une des plus jolies filles de l’endroit, me dit bien modestement et timidement “je veux que tu viennes veiller avec la plus jolie fille de la place, la plus aimable, la plus “de service” je coirs, fut son expression. Et, le soir il me conduisit chez son futur beau père, me place avec la jeune fille, et passe deux ou trois heures à me voir faire l’amour à sa fiancée, sa future épouse. Peut-on pousser l’hospitalité et la générosité à un plus haut degré de complaisance? Et je dois ici admettre que le jeune homme ne s’était pas trompé; elle était belle et aimable. Cet acte si humble, si modeste, si innocent, si généreux fut le premier incident dans la chaine presque sans bout des incidents qui ont tant de fois fait preuve de votre hospitalité et de votre complaisance envers moi. Quelques années après mon départ regretté de la Paroisse du Cap Pelé, je me présente pour vos suffrages, pour vos votes pour la chambre locale, et des 111 votes acadiens que Botsford comptait, je n’en manque pas un seul. Et des cinq élections que j’ai faites dans le comté je suis convaincu que je n’ai pas manqué cinq votes acadiens sur cent. C’est flatteur, c’est consolant, mais le plus grand confort que je retire de mes relations avec vous me vient de la certitude que je n’ai jamais trahi votre (illisible), et qu’aujourd’hui vous me reconnaissez aussi sincèrement votre ami et votre confident que je l’étais pendant le terme de mes activités les plus empressées dans votre service; qu’aujourd’hui vos ne remarquez aucune détérioration dans mon esprit de justice envers tout le monde. Comment donc vous remercier pour tant de considération et comment toujours m’en montrer digne!! L’avancement remarquable que vous, Acadiens, avez fait depuis mon entrée dans votre vie sociale et politique n’est pas surpassé par aucun progrès que je connais dans l’histoire, fait dans un même espace de temps, par une minorité quelconque. Cet avancement se voit dans toutes les activités de la vie, excepté dans le haut clergé, mais plus particulièrement le voit on dans l’activité intellectuelle. En 1870, le fils et la fille Acadiens ne sortaient guère d’un cercle bien restreint de l’habitation paternelle, ne voyaient rien que les entourages les plus immédiats du fermier humble et sans instruction, ne se familiarisaient qu’avec des méthodes les plus primitives d’industrie et d’affaires, n’avaient pas même l’avantage d’apprendre à lire et à écrire sous un maître connaissant la langue de leur mère, avaient appris par un assujettissement et une bien longue et pénible dépendance qui étaient devenus presque un esclavage, à se regarder comme inférieurs et à traiter leurs voisins parlant l’Anglais comme des êtres dominateurs de droit. Le père et la mère Acadiens n’avaient de soucis que de bien élever leurs enfants dans la crainte de Dieu et dans une soumission aveugle aux exigences des intérêts, sinon des caprices, des dominateurs parlant l’Anglais et trop souvent à leur apprendre à croire que cette dépendance était leur partage naturel et inévitable et devait toujours exister. Une domination complète existait de la part des gouvernants sur les actes et sur l’esprit de la population Acadienne. Je ne veux pas dire qu’il existait chez nos voisins d’auteurs origines un esprit de haine ou d’inimité contre nous – mais, j’affirme que nous occupions la position de l’être inférieur, pauvre, timide, servile et dépendant. J’affirme que cet état d’assujettissement était d’autant plus pénible et désavantageux qu’étaient plus puissants nos dominateurs – plus nous descendions dans l’échelle sociale, politique et sacerdotale moins avait-on de considération pour nous et le plus facilement pouvait-on nous exploiter et prendre avantage de notre pauvreté et de nos misères pour servir des fins intéressées. Aujourd’hui, presque tous ces désavantage ont disparu. Dans tous les sentiers de la vie on nous voit sur un pied d’égalité avec nos voisins, excepté dans le réserve faite tout à l’heure; et d’après notre population nous n’avons guère à nous plaindre. En 1870, les rangs du sénat, de la chambre des communes, du gouvernement local ne comptaient pas un seul Acadien. Aujourd’hui nous avons un digne représentant au Sénat, trois respectés députés aux Communes, un distingué ministre au gouvernement local. En 1870, nous n’avions que quatre députés au local, aujourd’hui nous en avons neuf, et tous les neuf sont en moyenne les égaux de leurs collègues en connaissance, en intelligence, en dévouement aux intérêts publics et en savoir-faire. Et ce qui vaut autant, ils sont acceptés comme représentant une population qui vaut toute autre. Le même progrès que je signale au point de vue de la représentation est aussi marquant dans toutes les autres activités de la vie. Nous avons donc à nous féliciter de notre progrès; et aujourd’hui je suis fier de me joindre à vous pour chômer notre fête ici au Cap-Pelé, paroisse ou j’ai mieux appris à apprécier le beau caractère Acadien, où j’ai formé un attachement pour mes compatriotes qui a toujours duré, d’où j’ai reçu en retour beaucoup plus que j’ai mérité, hospitalité sans borne, bonté plus qu’amicale, générosité plus que fraternelle, support actif et moral en toute occasion, et confiance flatteuse et confortant. Maintenant, Messieurs, qui et quoi remercier pour ce progrès dont nous sommes fiers? La Divine Providence d’abord qui nous en a tournis les moyens, vous-mêmes qui avez su vous en servir d’une manière intelligente. Le flambeau de l’éducation qui avait été pour nous si longtemps caché sous le boisseau mais qui nous fut apporté à Memramcook en 1864 par l’entremise d’un de nos plus insignes bienfaiteurs, le très regretté père Lefebvre, y compte aussi pour beaucoup. Les établissements d’éducation de St Louis, de Caraquet – je ne parle que du Nouveau Brunswick – les couvents y ont beaucoup contribué. Mais, messieurs, les éléments corporels les plus puissants de toutes les circonstances qui ont valu quelque chose à notre avancement et à notre progrès ont été les belles et bonnes qualités physiques et intellectuelles dont l’Acadien avait hérité de ce qu’il y avait de plus beau et de plus précieux de notre mère, la belle France. L’outil le plus puissant dont vous vous êtes servi a été votre fidélité aux conseil toujours sages de votre clergé, votre dévouement à vos chefs accrédités, et votre patriotisme éclairé. J’ai été votre chef – cet honneur m’a été conféré quand j’étais bien jeune encore – et les jours de cette période ont été les plus beaux et les plus heureux de ma vie – vous vous êtes groupés autour de mon étendard dans nos luttes pour monter de pair avec les voisins dans l’échelle sociale politique et industrielle, en soldats intelligents, courageux, et persévérants, et les luttes ainsi livrées ne vous ont pas laissés sans gloire et sans succès. Vous me flattez souvent en me disant que j’ai contribué au développement dont les fruits sont si palpables et si encourageants. Mais, mes amis, le général pourvu du grand avantage que lui donnaient votre dévouement et votre esprit de corps aurait peu valu s’il n’eut pas rencontré quelque succès dans les luttes où il présidait les conseils de compatriotes aussi valeureux. Oui, je me suis activement mêlé au développement dont nous pouvons aujourd’hui nous glorifier, mais je n’ai valu à ce développement que ce que valent les services fidèles, constants et persévérants de la servante qui assiste au berceau du bon enfant qui plus tard devient un grand homme, un homme qui accomplit de grandes choses. J’ai assisté au berceau de votre résurrection comme race; j’ai veillé avec un intérêt plus qu’ordinaire aux démarches faites pour retirer notre petite race de l’état d’impuissance et de servilité où elle était, mais la fertilité du champ où mon travail se dirigeait, l’appui, la direction et l’encouragement que je trouvais dans les belles qualités dont vous étiez doués comptent beaucoup plus comme succès que les humbles mérites que je possédais. J’étais avec d’autres, si vous voulez, l’outil qui applaudissait le chemin raboteux et difficile que nous parcourions, mais vous, mes compatriotes, étiez la force majeure qui d’en arrière, poussiez et dirigiez cet instrument. Les Lafrance et les Lefebvre, natifs de la sœur Province de Québec, patriotes les plus zélés et les plus dévoués, les Johnson, écossais de nom, mais Acadiens de cœur et d’action, les Renaud, les Girouard, les Léger, les LeBlanc, de Kent, les Thériault, les Nadeau, du Madawaska, les Labillois de Restigouche, les Blanchard et les Poirier, les Melançon, les Dr Bellivau, les A. D. Richard, les Robidoux, de Westmorland, tous ces noms et bien d’autres encore peuvent se prononcer comme les chefs pionniers du mouvement vers la résurrection et la marche du succès, et à chaque nom vous pouvez incliner la tête en signe de respect et de reconnaissance : mais avant tout, par-dessus tout, vient le mot inspirateur Acadien. C’est le mot de ralliement, c’est le mot que nous honorons, c’est l’inspiration de ce mot qui nous réunit en ce jour, c’est la cause qui me vaut l’honneur et le grand privilège d’apparaître devant vous et de vous adresser la parole. Voulez-vous continuer à vous affirmer, à vous faire respecter, à grandir devant le public, à vous attirer tous les avantages de citoyens de votre pays? le pays le plus libre du monde, un des plus grands, un des plus remplis de ressources naturelles, et de possibilités; voulez-vous que la petite race Acadienne occupe sous le soleil une position d’égalité et de fraternité avec tout le monde, alors que chaque individu veille sur lui-même, que chaque invidivu fasse honorablement sa part, qu’il soit honnête, énergique, industrieux, courtois, bon et loyal à la constitution, et la race sera tout ce que l’individu représentera. Surtout n’oubliez pas votre langue. Elle s’est améliorée beaucoup depuis quelques années, elle devient beaucoup plus usitée tous les jours. La connaissance de la langue française dans le Canada est une source d’agrément, de pouvoir et de succès : Dans le N. B., celui qui la possède en est plus respecté et sa possession ne l’empêche pas d’apprendre et de connaître l’anglais, la langue du commerce et des affaires. Nous possédons les deux langues : en cela nous sommes supérieurs à nos voisins. Voulez vous un exemple de cette supériorité? Prenez l’assemblée d’Acadiens qui se trouve devant moi dans le moment. Je vous mets au défit de convoquer dans n’importe quelle partie de la vaste étendue du Canada une assemblée aussi considérable, prise au hazard comme vous l’êtes et de trouver autant de ses membres qui puissent parler aussi facilement les deux langues – convoquez donc dans le N. B. une réunion aussi nombreuse d’Anglais, d’Ecossais, d’Irlandais, de n’importe quelle race excepté la race Acadienne, et comptez le nombre qui parle les deux langues, combien en trouverez vous? J’ai dit : “Convoquez dans le N. B.” Je pouvais sans me tromper, je crois affirmer : On ne pourrait trouver dans toute, étendue de la Puissance du Canada une réunion d’une seule paroisse, de n'importe quel culte, de n’importe quelle race, excepté chez les Acadiens, un nombre aussi considérable possédant une connaissance aussi générale et aussi intime des deux langues. Dans les professions et autres carrières : avocats, médecins, ingénieurs, comptables, professeurs, littératuers, journalistes, pharmaciens, hommes de bureaux, gardes-malades, maîtres ou maîtresses d’écoles, inspecteurs d’écoles, emplois publics, commis commerçants, en tout, partout, --avancement rapide, stable et encourageant. En religion : prêtres, religieux, religieuses – augmentation en nombre satisfaisant et digne. De la belle paroisse de Memramcook seule, seize prêtres consacrés depuis les environs de cette date. Le haut de l’échelle pas encore atteint – Evêque, zéro. Réjouissons-nous donc dans nos jours de fête; racontons nos succès, encourageons-nous dans le bien, resserrons les liens de fraternité qui nous unissent, serrons nos rangs et faisons notre chemin. Là où nous avons réussi examinons les éléments qu’il nous a fallu combattre et vaincre pour arriver à notre présente situation, et continuons la bonne lutte. Là où nous avons failli, et je viens de vous indiquer la faillite la plus regrettable et la plus inexplicable, demandons pourquoi cet insuccès? Peut-être nos bons Evêques, qui en savent si long, et dont le Saint-Esprit inspire l’action en choix d’évêques, pourraient-ils nous le dire. Mais ils sont si peu communicatifs!! En résumé, soyons bienveillants envers tout le monde, aimons le prochain, soyons justes envers nous-mêmes par l’exercice fidèle de la probité et de l’honneur.