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L’ASSOMPTION A SHEDIAC
Éloquent discours de l’Hon Juge Landry
M. le Président, Mesdames et Messieurs,
Votre aimable Président m’a invité à dire un mot en anglais.
J’y ai consenti avec bonheur. Il a ainsi voulu me constituer votre interprête auprès des races au milieu desquelles nous vivons, et dont les membres ne parlent pas la belle langue française. La seule hésitation que je ressent à me rendre à sa gracieuse invitation me vient de la pensée que je ne puisse pas me montrer à la hauteur d’un sujet dont le traitement demande la plus haute délicatesse de sentiment et d’expression. Avant de prononcer un mot dans cette langue forte et énergique de l’anglais, la langue du commerce, la langue des affaires, la langue de la majorité de notre beau Canada, il me semble tout naturel de présenter en Acadiens-Français, à vous mes vieux compagnons des luttes du passé, luttes politiques, luttes de races si vous voulez, et luttes sociales; à vous aussi, dont la virile jeunesse me prive de l’avantage de vous connaître aussi bien que je le désirerais, filles et fils de mes anciens amis; à vous tous mes compatriotes acadiens, de vous présenter, dis-je, le tribut de mon respect et de mes amitiés, et l’expression de mon désir ardent pour votre bonheur et votre prospérité. Arrive qui pourra, âge, maladie, infirmité, séparation, conflit d’intérêt même dans certaines choses, jamais, je vous l’assure, je n’oublierai le beau rôle que vos sympathies et votre support moral et actif m’ont fait jouer dans votre vie sociale et politique; jamais ne disparaitront de mon cœur les sentiments de reconnaissance que j’éprouve au souvenir de mes relations avec vous tous. Et que ce souvenir est vivace et profond quand je vous vois ainsi sympathiques en face devant moi! Gravée dans mon âme restera toujours la plus agréable mémoire de l’esprit de fraternité que vous avez toujours montré aux appels faits à votre patriotisme et à votre générosité. Comment pourrais-je oublier qu’à l’âge de vingt-quatre ans j’étais honoré de votre confiance et de votre mandat exprimé et rendu manifeste par le vote unanime des Acadiens du beau comté de Westmorland, et que pas longtemps après j’étais accepté par un assentiment général comme le porte-parole des Acadiens du Nouveau-Brunswick? Que pourrait-il arriver pour faire pâlir le sentiment de reconnaissance dont mon cœur est rempli à la pensée que mon âge déjà avancé me rappelle si souvent de l’expression de votre grande générosité envers moi et de votre désir de voir arriver un des vôtres, quand pour la première fois vous m’honoriez du pouvoir et du prestige de représentant et vous déposiez sur mes jeunes épaules la digneté de député? Et en tout cela ce qui en ressort le plus clairement ce n’est pas ce que j’ai pu faire pour vous, ce ne sont pas les honneurs que vos bontés m’ont valu, ce n’est pas le haut prestige dont je me suis trouvé entouré, fruits de vos sacrifices, de votre dévouement aux intérêts généraux, et de votre esprit de patriotisme. Non, ce qui ressort avec le plus d’éclat de nos relations depuis quarante ans c’est la docilité avec laquelle vous avez toujours accepté les bons conseils; c’est l’esprit de corps que vous avez en toutes circonstances manifesté quand il s’est agit de travailler pour l’avancement de vos frères, en un mot votre patriotisme éclairé.
On entend dire, rarement, il est vrai, mais quelques fois; le mot “race” ne devrait jamais être prononcé dans un pays composé des descendants de différentes nationalités. Il faudrait aussi bien dire que le mot “famille” devrait disparaître de la bouche d’un enfant bien élevé. Messieurs, les enfants qui oublient la famille et qui ont honte d’en prononcer le nom, ou qui refusent de partager ses joies et ses malheurs, ne seront jamais, ne peuvent jamais devenir ni un ornement à la société, ni un appui valable à l’Etat. Si l’enfant à honte de sa famille, c’est un dénaturé; Si l’on n’a pas de fierté de race l’on a peu qui vaille comme citoyen. Mais l’amour de la famille, comme l’attachement à la race, ne doit jamais être teint de préjugé; ne doit jamais être insensible aux justes réclamations des voisins, ne doit jamais manquer de complaisance envers les citoyens d’autres races. Un mûr et éclairé patriotisme, donne de la force de caractère, qualifie, à un haut degré, à bien servir l’Etat. Le sentiment qui ne voit rien de bon chez les autres ou qui inspire de la méfiance malplacée à la sincérité d’un voisin, qui empêche la pratique des relations cordiales que l’on se doit les uns les autres, même à ceux d’autres origines, n’est pas le vrai esprit de race ou de famille; n’est pas celui que le bon Acadien veut cultiver et, en effet, cultive dans sa famille, au milieu des siens, dans les réunions de fêtes telles que nous avons aujourd’hui. Amitié familiale et fraternité envers les siens, justice et bon accord envers tout le monde, égalité en toutes occurrences : Voilà la devise pour toutes les minorités; voilà la devise pour toutes les minorités; voilà ce que les Acadiens accordent; voilà ce que les Acadiens accordent; voilà ce qu’ils ont le droit de demander. Evitez de dire : “Maudit Anglais”, “maudit Irlandais” avec autant de soin qu’il nous répugne d’entendre dire “damned Frenchman.” Apprenez à vos enfants, à vos entourages, à respecter et à applaudir le mérite partout où il se trouve, et insistez à ce que le vôtre ne soit pas méprisé, et surtout viser à ne pas mériter le mépris. Que le mot : “Famille” soit le premier dans votre cœur, celui de race le premier dans vos intérêts particuliers, et celui de “Canadien” le premier dans les intérêts généraux du pays. A vos voisins immédiats montrez votre attachement filial à votre famille; à vos concitoyens de tout le Canada soyez fiers de votre race acadienne; aux étrangers des autres pays soyez canadiens et sujets soumis et loyaux aux institutions britanniques dont le glorieux drapeau nous protège, dont les lois nous donnent tant de liberté, et dont le règne nous est si favorable et si sympathique.
Merci pour votre sympathique attention, et croyez que mon cœur est à vous comme jamais, que mon esprit de justice envers tous n’a pas détérioré depuis les plus beaux jours de mon prestige comme votre député, et votre confident. Laissez-moi ajouter un sentiment de plus : quand j’étais activement dans la vie publique, que j’avais l’insigne privilège de me mêler plus intimement à vous et à vos affaires, là où toutes mes actions vous étaient un sujet d’examen et de critique légitimes, vous ne vous êtes jamais douté, n’est-ce pas, de mon intégrité et de mon esprit de justice. Maintenant que je suis retiré, croyez-moi aussi désireux de retenir votre estime et de la mériter.
Un autre sentiment : Nous avons droit d’aspirer pour nos membres qui en sont dignes, et, en proportion nous en possédons autant de dignes pour toutes les avocations de la vie, que les autres races; nous avons droit d’aspirer, dis-je, aux plus hautes positions dans l’Etat, dans l’Eglise dans le commerce et dans les professions. Depuis vingt-cinq ans et plus, nous avons fait un progrès remarquable dans toutes les avocations excepté dans celle où le Saint Esprit en inspire la nomination. A cause de ce manque de succès qui nous paraît enexplicable, ne cessons pas nos humbles efforts dans cette direction, ne soyons pas découragés. Acceptons avec humilité la réception peu chaleureuse que l’on nous accorde dans certain quartier. Invonquons toujours le Saint Esprit quoique ayions la preuve la plus évidente qu’Il n’a pas encore exercé grand’influence en notre faveur sur le cœur de l’autorité locale. Restons respectueux au plus haut dégré aux autorités de notre mère l’Eglise et à ceux qui la représentent au milieu de nous. Mais, gardant toujours ce respect, n’oublions pas nos pressants besoins et ne cessons pas de prier. On nous enseigne que le Ciel n’est gagné que par les violents. E ne veux pas parler de cette violence vulgaire et corporelle dont on s’est servi avec succès dans certaine partie de l’univers. Je veux parler de la violence de la prière, de celle de l’humble requête, de celle de la respectueuse supplication, de celle de la soumission, enfin de celle de la persévérance constance telle qu’il faut pour gagner le Paradis. “Veillez et priez” “Frappez et on vous ouvrira.” Implorez.
L’Eglise a à se flatter que les Acadiens des provinces maritimes sont les plus respectueux et les plus soumis aux autorités. Ne cessons pas de mériter ce beau compliment. Mais insistons auprès de ceux à qui nous accordons ainsi notre respect et notre dévouement qu’ils nous permettent de continuer à prier; qu’ils souffrent que nous leur adressions de nouveau nos requêtes, quoique l’on n’ai pas daigné, en certain haut lieu, accuser réception de notre dernière. N’oublions pas d’être courtois même si l’exemple nous en est quelque fois refusé par ceux dont la haute position commande notre courtoisie.