Triomphe de la langue française

Journal
Année
1888
Mois
4
Jour
25
Titre de l'article
Triomphe de la langue française
Auteur
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Page(s)
3
Type d'article
Langue
Contenu de l'article
TRIOMPHE DE LA LANGUE FRANCAISE (De la Patrie) Les amis de la langue française, ceux qui, comme nous, luttent de toutes leurs forces pour lui garder sa place, seront heureux d'apprendre l'engagement solennel que vient de prendre le futur gouvernement démocrate de l'État de la Louisiane, la perle française de l’Amerique du Nord. C’est à la Nouvelle-Orléans que cet important événement s'est passé. II s'agissait d’instaler le nouveau cercle franco-louisianais de la Réforme. Le général Nicholls, président honoraire du cercle, y assistait, accompagné des juges White et Rogers, ainsi que M. le Vte Paul d'Abzac, consul général de France. Le président, M. Carrouché, a prononcé un joli discours, dont nous extrayons le passage suivant: “La France s'est conquis dans le cœur de tous les hommes d'universel- les sympathies. Tous savent que c’est à ses penseurs, à ses soldats que les peuples doivent les libertés constitutionnelles dont nos arrière-grands-pères n'auraient pas ôsé rêver la jouissance. C’est pour cela, a dit en terminant le président, que tous les peuples en s'occupant de leurs affaires, en s'y intéressant, semblent exercer un droit naturel, et que le plus doux comme le plus éloquent des tribuns modernes, Castelar, revendiquait dernièrement dans son pays les droits imprescriptibles de la France, justifiant, une fois de plus, le mot si vrai de Jefferson : “Tout homme a deux patries, la sienne et la France." M. le consul général de France a remercié alors le cercle de son initiative, du but véritablement français qu'il poursuit et de son dévouement à la propagation de la langue française, puis il a dit en termes chaleureux au général Nicholls—futur gouverneur de la Louisiane—combien il était heureux de le rencontrer sur un terrain français, témoignant par sa présence de ses sympathies pour notre nationalité, pour peux qui en descendent et en parlent la langue. Le général a alors prononcé une courte et éloquente allocution dans laquelle s’est concentré tout l'intérêt de la séance. Aujourd'hui candidat officiel du parti démocrate à la plus haute magistrature de l'État, il a déclaré que, dans la mesure de les pouvoirs, il n’épargnerait rien pour rétablir l’enseignement de la langue française dans les paroisses de la Louisiane, conformément à l’article 206 de la Constitution de l'État, article resté jusqu'ici à l'état de lettre morte. Ces paroles dites avec le ton de franchise tout particulier au général, qui ne prodigue pas les phrases, mais est toujours prêt, dit-on, à faire le double de ce qu'il a promis, ont été accueillies par des applaudissements chaleureux. Après avoir été bannie par les hommes qui avaient usurpé le pouvoir en Louisiane, elle a été réintégrée dans ses droits séculaires par la Constitution dn la Louisiane de 1879, mais l'article réparateur est resté lettre morte. Le général Nicholls a déclaré, publiquement, que s'il occupait la magistrature, il n’épargnera rien, dans la limite de ses pouvoirs, pour rétablir l’enseignement du français dans les écoles franco-américaines. Nous ne saurions le remercier assez de cette assurance; bien d'autres lui en sauront un gré infini. Cette promesse, à laquelle il n'était pas tenu, qu'il à faite spontanément, contribuera,—nous en sommes persuadés,— à augmenter la popularité dont il jouit si justement et qui est la récompense d'un passé aussi libéral que glorieux. Nous n'apprendrons rien à nos lecteurs en leur disant que la Louisiane a été découverte, peuplé par des français et que, pendant plus d’un siècle, on n'y a guère parlé que le français. Quand des étrangers sont venus se fixer au milieu de cette grande colonie, les maltres—ceux qui la gouvernaient au nom de la métropole—n’ont jamais interdit aux nouveaux venus de conserver leur langage maternel dans les usages ordinaires de la vie. On n'a, du reste, qu'à interroger l’histoire: on verra que c'est le seul peuple au monde qui n’ait jamais,—soit dans la mère-patrie, soit dans ses possessions—frappé d'interdiction les idiomes étrangers. Quand, après la cession de la Louisiane, on a commencé à employer I’anglais dans les actes officiels, en le mélant au langage primitif du pays, la France ne s'y est pas opposée, elle n'a pas protesté; il lui suffisait qu'on observât, fidèlement, les termes du contrat qu'elle avait signé avec les nouveaux acquéreurs du sol. Sous aucun prétexte, pour aucun motif elle n'eût vouluen travers les transaction des Anglo-Saxons entre eux. II est donc de toute convenance, de toute justice que l’on montre la même générosité, le même libéralisme à l’égard de ceux qui, ayant une origine française, dont ils sont fiers, portent des noms français et ont conservé religieusement la langue de leurs pères. Qui ne sait qu'il y a de nombreuses paroisses louisiannaises où le français est la langue courante—celle de la famille, celles des relations de chaque jour, celle du culte? Qui ne sait qu'il y existe une foule de personnes ne parlant pas du tout l'anglais, le lisant peu, et que ces populations, excellentes, laborieuses, aux sentiments généreux, élevés, ont droit è ce qu'on respecte leurs habitudes, leur usages? Qui ne sait que la liberté qu'on leur accorde à cet égard ne fait que redoubler en elles leur attachement, leur dévouement à l'Union et aux institutions républicaine? Le général Bonaparte, dit-on, n’a imagine la cession de la Louisiane que par haine des Anglais; ce fait seul témoigne des ardentes sympathies de la France pour la jeune Union. Après avoir puissamment contribué à sa fondation, elle a travaillé—plus puissamment encore—à l'expansion des idées et des institutions républicaines dans le Nouveau-Monde. Supposons que cette vaste région fût tombée entre les mains d'une Monarchie, est-il bien sûr que les idées et les institutions nouvelles eussent envahi, avec la rapidité d'une trainée de poudre, les deux continents du Nouveau-Monde? Quiconque, dans les deux Amériques, sent battre un cœur républicain, doit donc éprouver une profonde reconnaissance pour le pays qui a si efficacement contribué à cette admirable transformation politique de la moitié du globe—de celle qui est la plus jeune, la plus vivace, qui, par conséquent, a le plus brillant avenir. Maintenir avec respect l'usage de la langue de la France, là où il reste encore des descendants de ce noble pays, n'est-ce pas le moins que l’on pût donner en retour de tant de services? N’est-ce pas un acte de haute bienséance, un hommage mérité à la chevaleresque et constante amie des Etats-Unis.