A Nos Filles Acadiennes

Journal
Année
1888
Mois
3
Jour
28
Titre de l'article
A Nos Filles Acadiennes
Auteur
Henri L. D'Entremont
Page(s)
2
Type d'article
Langue
Contenu de l'article
A NOS FILLES ACADIENNES Il y a quelque temps, une jeune fille résidant dans la cité de Boston, se suicidait dans les circonstances suivantes. Cette jeune qu’on dit être de la Nouvelle-Ecosse était sur un bateau traversier du havre de Boston, et à un moment où elle crut sa chance favorable, elle se laissa tomber dans les flots. Personne n’entretenait le moindre doute quant à la moralité de son caractère. Elle travaillait dans une manufacture de caoutchouc moyennant une salaire de $3.50 par semaine. Il appert qu’elle aurait quelque temps avant sa mort, fait à une de ses amies la confidence que voici : il n’y a rien en ce monde qui vaille la peine qu’on s’y attache, ce me semble. Tout ce qui est beau et bon, les autres en jouissent, tandis que pour nous, c’est toujours la même chose, il nous faut coudre, coudre, coudre du matin au soir, et du soir au matin, et nous ne sommes point récompensées de nos peines. Et combien y en a-t-il de ses pauvres jeunes filles qui travaillent ainsi dans la Cité de Boston, et qui ne gagnent pour tout salaire que de $2.50 à $3.50 par semaine? Mme. Charlotte Smith qui travaille dans l’intérêt de cette classe de jeune filles nous informe qu’il n’y en a pas moins de 20,000. Beaucoup de ces filles du métier viennent de na Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick, et nulle doute un grand nombre sont d’origine acadienne. Elles laissent le foyer maternel pour venir ici travailler pour le mesquin salaire de peut-être $3.50 par semaine. Que leur reste-il quand elles ont payé leur pension? et leurs habits? L’histoire touchante de cette jeune, si singulièrement enlevée à la vie, provoquera sans doute les sympathies des cœurs qui savent compatir, et même de ceux qui ne connaissent pas pour les avoir subies ces humiliations d’une existence enchaînée. La vie que mènent ces infortunées jeunes filles est remplie de déceptions, et quand on la connait par expérience, on ne s’étonne pas autant de la fin tragique de certaines d’entr’elles. Parmi ces ouvrières sont aussi les héroines de notre siècle, dit le “Boston Globe,” nos jeunes filles les plus vaillantes et les plus courageuses de nos filles, mais de mon humble opinion, vaudrait mieux qu’elles ne fussent rien plutôt que de gémir avec tant de préjudice dans un sentier qui ne saurait jamais les conduire à aucune fin enviable. Les capitalistes qui payent de $2.50 à $3.50 à leurs ouvrières doivent nécessairement réfléchir en présence de l’événement dont je viens de parler. Peuvent-ils se sentir à l’aise quand ils constatent que la mort semble plus douce à celles qui leurs dévouent leur temps et leur santé que la vie misérable qu’elles mènent forcément sous leur contrôle? Cette vie des manufactures est une mort vivante dont on n’échappe que par la pauvreté ou le déshonneur; vie qui décourage l’ouvrière et qui désespérait pareillement la fille du capitaliste si elle se voyait forcée d’échanger son sort contre celui de la malheureuse enfant qui vient de commetre dans un moment d’aberration morale l’un des crimes les plus grand qui déshonorent notre pauvre humanité. Ni l’homme ni la femme n’aime à être plongés dans la voie du péché, et l’honneur est aussi chère au pauvre qu’au riche, et cela d’autant plus que la vie leur est toujours moins douce, moins ensoleillée que pour le fils de l’opulence. Jeunes fille d’origine acadienne, avant de vous décider à laisser les rives de la Nouvelle-Ecosse, patrie de vos pères, avant de vous mettre en route sur la Baie-de-Fundy, réfléchissez un peu sur la fin de celle qui vivait naguère de la vie dont vous friez vivre à l’étranger. Réfléchissez, réfléchissez sérieusement. Combien de jeunes filles sont venues en quête de l’or qui fait rêver tant de jeunes imaginations? Un trop grand nombre, et où sont-elles maintenant! quelques-unes ont survécu au naufrage, mais hélas! que dire des autres, où les trouver? Pas au premier dégré de l’échelle sociale, tant s’en faut. Pas d’illusion sur ce point, la vérité, est poignante. Et pourquoi tout cela? ah! deçues, les jeunes ouvrières ont cherché d’autres victimes. Elles ont dit : venez de ce côté, vous gagnerez davantage, et votre toilette vous fera plus d’honneur; venez amies, et les amies ne vous manqueront pas. Les amies! oui les amies! et aujourd’hui, deçues à leur tour, elles trainent les rues, hantent les bouges infâmes, et cherchent à s’entourer d’imitatrices. Pensez à cela, jeunes filles d’Acadie, et vos demeures fussent-elles des plus humbles, ne les laissez jamais pur venir travailler dans les manufactures où la vertu est presque toujours en face de la tentation, et songez au mot célèbre : qui aime le danger y périra, et à cette autre : tout ce qui luit n’est pas d’or. Et vous, pères et mères de famille, pour votre réputation et celle de vos enfants ne laissez jamais partir vos enfants à moins que vous ne sachiez d’avance où elles vont. Ne les laissez jamais partir à moins que vous ne leur ayez trouvé de l’emploi dans de bonnes familles catholiques, mais gardez-vous de leur permettre l’entrée des manufactures. J’ose croire que nos prêtres Acadiens feront l’impossible comme gardiens de la moralité pour empêcher ce fatal courant d’émigration féminine vers un pays où ces pauvres jeunes filles ne peuvent trouver que les déshonneur, et terminer leur vie comme tant d’autres, par le suicide. HENRI L. D’ENTREMONT Peabody, Mass., 14 mars.