L'acadie

Journal
Année
1888
Mois
3
Jour
7
Titre de l'article
L'acadie
Auteur
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Page(s)
3
Type d'article
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Contenu de l'article
L’ACADIE Sous ce titre, un ami des Canadiens, résidant à Paris, nous adresse l’intéressante notice que voici : Le Figaro, coutumier du fait, donne constamment, à propos de tout, des renseignements aussi erronés que ridicules. Voici ce qu’il publiait dernièrement en première page : “Parmi les hôtes de distinction que possède Paris en ce moment, figure l’évêque de la Nouvelle-Ecosse, qui porte un nom légendaire en France. Le prélat est connu sous le nom de Mgr Cambrol. C’est Cambronne qu’il faudrait lire. Qu’est-ce qui a motivé de la part de l’évêque canadien ou de sa famille l’altération de ce nom glorieux? Son retentissement historique? Le milieu en partie anglais où il exercice ses fonctions épiscopales? On l’ignore. Mgr Cambrol a officié hier pontificalement, à Saint-Sulpice, dont c’était la fête patronale. C’est une physionomie de plus fines et des plus distinguées.” Cet évêque (il faut l’apprendre à ce triste bavard du Figaro qui on le voit, n’a aucune qualité pour parler de personnes respectables et devrait bien garder le silence sur ce qu’il ignore) n’a pas changé de nom. Il se nomme Mgr Cameron, ce qui est tout simplement un nom écossais. L’Ecosse et la patrie d’origine de la famille de ce prélat. Qu’avait donc à faire ici le souvenir de Cambronne? Ce nom est peut-être plus ou moins légendaire, ailleurs, dans un certain milieu. Pourquoi le serait-il en Ecosse et sur les rivages du golfe Saint-Laurent? Mgr Cameron n’est pas l’évêque de la Nouvelle-Ecosse. Il y a, dans cette province maritime du Canada, un archevêque dont le siège est à Halifax, capitale provinciale, et un évêque suffragant qui réside à Antigonish, au nord-est de la province. Mgr Cameron est évêque d’Antigonish et son diocèse ne renferme qu’une petite partie de la Nouvelle-Ecosse. La grande ile du Cap-Breton et les iles environnantes sont aussi sous sa juridiction. Jadis tous ces pays étaient des possessions françaises sous le nom d’Acadie : la Nouvelle-Ecosse, après les revers de la guerre de la succession d’Espagne, fut cédée par Louis XIV à l’Angleterre, en 1713, au traité d’Utrecht. Plus malheureux et plus coupable que le grand roi, Louis XV, en 1763, par un fatal traité de Paris, abandonna à nos ennemis séculaires, avec toutes nos autres colonies de l’Amérique du Nord, l’ile du Cap-Breton, qui, jusqu’à cette époque, avait porté le nom d’ile Royale. Mais malgré toutes les défaites, l’histoire proclame que c’est nous qui avons porté dans ces contrées le flambeau de la civilisation et celui bien plus précieux encore de la vraie toi. Il n’est pas permis, même à un rédacteur du Figaro, d’oublier de tels souvenirs. Port-Royal dans la Nouvelle-Ecosse et Louisbourg, au Cap-Breton, ont été nos principales fondations dans ces parages. Louisbourg fut la forteresse la plus formidable de l’Amérique du Nord et le boulevard de nos colonies sous Louis XV. Port-Royal, colonie plus riante et, par ordre de fondation, la première ville de l’Amérique Septentrionale, se nomme aujourd’hui Annapolis. Louisbourg est resté un amas de ruines depuis sa destruction par les Anglais. Mais, sur ces côtes éloignées, nous avons laissé autre choses que des noms et des ruines… La race française qui colonisa l’Acadie n’a pas disparu. Elle reste encore sur le sol témoin des travaux, des combats et des malheurs de ses ancêtres, comme un vivant souvenir d’un glorieux passé. Ces Acadiens, dont les malheurs ont été racontés par Rameau, M. l’bbé Casgrain et Pascal Poirier, et chantés par Longfellow, l’illustre poète américain, et Xavier Marmier, le sympatique voyageur, l’un des 40 de l’Académie française, forment actuellement la majorité catholique dans le diocèse de Halifax comme dans celui d’Antigonish. Ils sont toujours attachés aux vieilles traditions françaises d’autrefois, c’est pourquoi ils sont si fidèles à la religion de nos pères. Encore aujourd’hui tels parlent la noble langue de la mère patrie, dont le nom et le souvenir n’ont cessé de faire battre leurs cœurs. Nos amiraux et nos marins, qui ont fait partie de la station de Terreneuve en peuvent témoigner. Le passage à Paris d’un évêque d’une contrée qui pour nous, français, a des titres exceptionnels à notre souvenir ne devait pas laisser indifférent les catholiques de la capitale. Nous ne saurions en effet, oublier que les Acadiens, qui furent les introducteurs du catholisme dans les contrées et les Iles du golfe Saint-Laurent, ont droit à avoir des évêques, qui, exerçant noblement leur noble mission, comme il convient à des princes de l’Eglise, protégent chez ces décendants des martyrs du dix-huitième siècle les belles traditions qui ont fait des Acadiens les enfants les plus soumis de l’Eglise les enfants les plus soumis de l’Eglise catholique. Nous savons que Mgr Walsh, l’archevêque d’Halifax et parent du vicomte Walsh, si populaire en France, a laissé la plus belle réputation à cause de l’intelligence et de et de la charité déployées envers les Acadiens de son diocèse, dont il aimait à entretenir les touchantes traditions. Nous avons aussi appris que le troisième successeur de Mgr. Walsh sur le siége métropolitain, Mgr. O’Brien, s’est attirer déjà la reconnaissance de ses diocésains français par la façon si éclairée avec laquel il a inauguré son épiscopat auprès d’eux, prenant la plume pour venger leurs ancêtres de de calmnies intéressées et revandiquant publiquement la gloire qui appartient à ces nobles fils de la France et de l’église. Ces exemples sont trop glorieux pour ne pas supposer qu’ils sont fidèlement suivis par M. Cameron et ses véritables collégues dans l’épiscopat. Les évêques de ces contrées ont tous, en effet, un grand nombre d’Acadiens dans leurs diocèses. Celui de Chatham, en particulier, renferme une grande majorité de catholique d’origine française. Aussi, dans cette imposante église de Saint-Sulpice, qui a mérité d’être appelée la reine et le modèle des paroisses, desservie encore aujourd’hui par les fils du vénérable Olivier qui envoya coloniser Montréal, à l’ombre de ce célèbre séminaire, bureau de la compagnie de Saint-Sulpice et pépinière d’évêques pour le monde entier, au milieu d’un immense concours de fidèles et de l’incomparable éclat de cérémonies de la fête patronale, nous avons été heureux de voir que les offices pontificaux étaient célébrés, cette année, par Mgr d’Antigonish, l’évêque de nos frères Acadiens, qui avait bien voulu remplacer Mgr Perraud, évêque d’Autun, l’un des quarante immortels, empêché, au dernier moment par l’éclat de sa santé, de remplir cette fonction. Le même jour Mgr l’archevêque de Paris officiait à Rome, dans la basilique de Saint Pierre pour la béatification de son compatriote : le bien-heureux Grignon de Montfort. Le même jour encore, l’archevêque de Pharsale, nonce apostolique en France et trois autres évêques, outre M. Cameron, présidaient dans diverses paroisses de Paris d’autres fêtes particulières. Et, à ce propos, puisqu’il est de tradition que certaines solennités à Saint Sulpice, comme dans beaucoup d’autres églises de Paris, soient toujours présidées par des évêques, nous espérons assister encore dans la même enceinte à d’autres fêtes célébrées aussi par des évêques de l’Acadie, du Canada ou d’autres pays lointains, mais qui nous sont également chers. En 1883, dans cette même église, n’avons-nous pas vu le jour de la Saint Pierre, les offices du matin présidés par le primat d’Afrique l’illustre cardinal Laviguerie, et ceux du soir par Mgr Rogers, évêque de Chatham au Nouveau-Brunswick, encore un évêque d’Acadie! Faut-il s’en étonner? Paris qui attire dans son sein les voyageurs du monde entier, se trouve sur le chemin des pèlerins du Nouveau Monde qui vont à Rome et à Jérusalem, et Saint-Sulpice partage avec quelques autres églises parisiennes le privilège d’attirer dans ses murs vénérés les évêques et les prêtres étrangers qui nous visitent en si grand nombre. La “Normandie,” un des magnifiques paquebots de la compagnie transatlantique française qui ont l’honneur de transporter tous les voyageurs distingués qui traversent l’Atlantique, a reçu l’autre jour à son dord au Havre, Mgr Cameron et Mgr Gravel évêque de Nicolet, dont la bonté si distinguée laisse le plus doux souvenir parmi tous ceux qui ont eu le bonheur de l’approcher.