Notre langue au Canada

Journal
Année
1901
Mois
4
Jour
11
Titre de l'article
Notre langue au Canada
Auteur
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Page(s)
4
Type d'article
Langue
Contenu de l'article
NOTRE LANGUE AU CANADA. “Il y a cinquante ans, on pouvait exprimer des doutes sur le maintien de la langue française en Canada, vu notre petit nombre, l’arrivée en masse des immigrants de langue anglaise et l’antipathie qui régnait entre nous. La situation actuelle est meilleure parce que nous avons plus que doublé notre population, tandis que les autres éléments sont restés en arrière sous ce rapport. Nous avons aussi gagné du terrain dans les sentiments de notre entourage qui est beaucoup moins hostile qu’autrefois. Les Acadiens, devenus très nombreux durant la même période, sont encore un appoint sur lequel on peut compter. S’il n’y avait pas aux Etats-Unis un million de Canadiens-français, nous serions les maîtres de la confédération. Vers 1860, l’ouverture soudaine des colonies anglaises du sud et des antipodes a détourné le courant de l’immigration vers ces contrées, de façon que le Canada n’a reçu qu’une mince part du flot d’émigrants de langue anglaise qui, depuis, s’est déversé sur le globe. A tout prendre l'état actuel est en progrès en ce qui concerne la langue française parmi nous. On voit des quantités d’Anglais—la nouvelle génération—qui apprennent le français. Comme en Angleterre, dans les hautes classes, nos compatriotes d’origines différentes de la nôtre se disent qu'il est nécessaire de savoir les deux langues. Les journalistes d'Ontario et des provinces maritimes qui ne pouvaient lire une ligne de nos publications ont à présent pour successeurs des hommes qui répondent aux articles de la presse française. Celui qui s'élève aujourd’hui contre la langue française est regardé avec surprise par tout le monde. Il en reste pourtant de ceux-là, mais ils ne tiennent plus le haut du pavé. Une comparaison : lorsqu'un individu s’établit dans le voisinage d’un groupe qui cherche à lui nuire, il est dans une mauvaise position; mais s’il vient un autre homme de sa race se placer près de lui, dix hommes, cent, mille, dix mille, tout change—par la force des choses, on cesse de les molester. En supposant que nous sommes tous réunis dans le Canada, nous formons juste la moitié des électeurs. C’est, ou plutôt ce serait un triomphe sur toute la ligne, attendu que nos jeunes gens parlent l’anglais et jouissent de l’avantage inappréciable de se faire comprendre partout. Car déjà, nous formons un peuple bilingue, tandis que les Anglais ne font que commencer à se servir des deux langues et nous les devancerons toujours sur ce terrain qui est plus facile pour nous que pour eux. La nécessité s’imposant, on voit des High Schools où le français est enseigné. Il y a cinquante ans, personne ne pensait à cela. Signe des temps. Ce nouveau système ne pourra que se développer lorsque l’on aura sous les yeux les avantages qu’il doit produire immanquablement. En attendant, cultivons notre langue, ce ne sera pas de trop. La négligence et la mollesse qui nous caractérisent à cet égard devraient disparaître si nous y mettions un peu de soin et un légitime orgueil.”