Correspondance

Journal
Année
1900
Mois
5
Jour
10
Titre de l'article
Correspondance
Auteur
Insulaire
Page(s)
4
Type d'article
Langue
Contenu de l'article
Correspondance M. le Rédacteur : Au risque d’ennuyer vos lecteurs je viens vous prier de vouloir bien m’accorder encore une fois, un petit coin dans votre journal. Je vous promets, cependant, que je vais dire mon dernier mot à ces correspondants belliqueux qui, depuis quelques semaines, s'acharnent à me faire mordre la poussière. Dans leurs attaques impétueuses ils ont fait la preuve de bien plus de malice que de raisonnement. Le dernier champion d’Acadien et d’Observateur est, certainement, encore dans l’adolescence car en homme ‘‘véridique’’ il nous le dit lui même. M. adolescens, il n’était pas nécessaire de nous avertir de ce fait, car votre correspondance furibonde proclame bien hautement que chez vous la fougue et l'impétuosité du jeune âge ne sont pas encore sous l'empire de cette sagesse qui vient de l’expérience. Mais certes, vous ne manquez pas de génie. En vérité, vous êtes un vrai petit prodige. Votre genre à vous, c’est, à n’en pas douter, le genre tragique. Croyez moi, cultivez les muses, et sans aucun doute, un avenir des plus brillants vous est réservé. Quant à vous, M. Terre Ferme, quoi qu’on dise votre nom de plume, la fermeté n'est pas votre fort. Vos bases ne sont pas bien solides. Vous chancelez parfois. D’abord vous nous dites que ma correspondance est un vrai “salmigondis.” Qu'elle soit un salmigondis ou un salmis, peu importe ; cela n’empêche pas qu’il s'y trouve de bien claires, de bien transparentes vérités. Mais de nos jours malheur à celui qui ose parler franchement. On ne manque pas de le traiter de lâche, de traitre, de sans cœur, de lui dire qu'il se laisse vilement exploiter, enfin qu’il n’est point Acadien. M. Terre Ferme, permettes moi de vous dire, bien humblement toutefois, que le plus pur sang acadien coule dans mes veines et j’espère bien, Dieu aidant, de ne démentir jamais ce sang généreux. Vous vous trompez beaucoup si vous pensez que je me laisse aucunement exploiter par les influences dont vous parler. Que influences ne sont que les villes chimères dont se repait votre imagination surexcitée. Non, M. Terre Ferme, je ne prends pas les Acadiens pour un tas d’imbéciles. Loin de là. Cela n’empêche pas toutefois qu’il s'y en trouve de ces gens là parmi nous comme chez tous les antres peuples. Nul plus que moi ne désire que nos droits soient respectés et par l’Eglise et par l’Etat, tout de même je nie bien haut que les sorties furieuses et insultantes d'Acadien et d’Observateur soient des moyens convenables pour faire valoir ces droits. Je n’ai jamais affirmé qu’il fût inutile de parler de la question davantage, mais si “c’est l’opinion des âmes bien pensantes que l’Acadie a enfin reçu pour toujours son coup de grâce” c'est inutile, en effet, d’en parler à l’avenir. J’avoue, que dans la leçon faite à Observateur il s’y trouve une phrase qui peut-être, ait pu laisser entendre que j’avais des craintes au sujet de l’obéissance des Acadiens envers leurs évêques. Mais vous qui voyez des taches où elles n’existent point, veuillez donc nous dire quels sont ceux qui gouvernent et quelle sont ces minorités dont nous parle Acadien— ces minorités qu’on peut pousser si facilement à la rébellion et à l'insubordination Il ne faut pas être bien philosophe pour saisir sa pensée. Ainsi pourquoi ne demandez vous pas raison de cette insulte à Observateur qui, lui, il va sans dire, a manifesté les craintes que vous m'attribuez. Et certes si il se trouvait bien des têtes chaudes comme ce braillard parmi nous, nous aurions de graves et justes sujets de craintes. Admettons, M. Terre Ferme, que de telles sorties sont contre nos intérêts véritables. Leurs auteurs devraient être livrés au mépris de tous les gens de bien. Réclamons nos droits légitimes, rien de plus juste, mais tout en les réclamant que notre sagesse, notre modération et notre charité nous attirent la bonne volonté, et non le mépris des autres races, surtout de nos frères de la “Province sœur.” M. Adolescens, je reviens à vous. Quoique vous ayez eu la malice de dire le contraire, j'admire, on ne peut plus, notre petit peuple si religieux, si plein de foi, si soumis, j’ai le plus grand respect pour nos prêtres acadiens tout remplis de zèle et de dévouement, pour de nombreux laïques animés du plus pur patriotisme, qui se dévouent sans cesse à l’avancement de notre race. Comme partout ailleurs, cependant, on rencontre parmi nous, une espèce d’hommes fin de siècle, hommes que nos pères n’ont jamais connus, de vrais démagogues, pleins de soi-même qui se croient plus éclairés que les prêtres et même que les évêques. Enfin pourquoi déterrer encore une fois ces pauvres espérances humaines? Vous affirmez ce qui est absolument faut quand vous dites que j'ai jeté de noires calomnies à la figure du peuple acadien. Acadien vient nous dire que les obsèques de nos espérances humaines ont eu lieu. A moi de lui répondre et avec raison que, si on a réussi à faire les obsèques de nos espérances elles devaient être humaines en effet ; car des espérances dont les motifs sont surnaturels ne meurent pas si aisément. Acadien s’est donc trompé ? Nos espérances n’étaient pas humaines et par conséquent elles sont encore pleines de vie. Voilà précisément ce que je pensais. En terminant, je pardonne volontiers à Acadien et à Observateur leurs sorties acrimonieuses, car leur repentir a dû être bien sincère puisqu’ils ne sont plus tombés. Vous aussi MM. Terre Ferme, Adolescens et cie, allez en paix et ne péchez plus contre le bon sens et la logique. Insulaire