Conférence de l'hon. sénateur Poirier à la convention des instituteurs acadiens à Rustico les 7 et 8 juillet 1896

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Année
1896
Mois
7
Jour
23
Titre de l'article
Conférence de l'hon. sénateur Poirier à la convention des instituteurs acadiens à Rustico les 7 et 8 juillet 1896
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CONFERENCE DE L’HON. SENATEUR POIRIER A LA CONVENTION DES INSTITUTEURS ACADIENS A RUSTICO LES 7 ET 8 JUILLET 1896 Monsieur le Président, Monsieur le Curé Mesdames et Messieurs, L’objet pour lequel nous sommes ici réunis est un des plus sérieux qui se puisse concevoir, la grande, l’absorbante question de l’éducation. Si, maintenant, nous considérons que ceux qui sont en convention sont des Acadiens et des amis éprouvés des Acadiens; qu’il s’agit d’étudier les méthodes d’instructions les plus propres et les plus avantageuses à notre race, dans les conditions où elle se trouve; et que le mouvement est toléré que dis-je, approuvé, encouragé, voulu, subventionné par le gouvernement de l’Ile; qu’il n’offusque personne; qu’il est bien vu, non seulement de nos coreligionnaires d’une autre langue, mais aussi par nos concitoyens d’une autre croyance religieuse, des pensées bien consolantes montent au cœur et étouffent la voix dans ses sanglots de reconnaissance. Je ne m’y arrête pas, car ces considérations m’entraineraient trop loin, et s’il est salutaire de se souvenir “des jours anciens”, il vaut peut-être mieux encore étudier le présent en vue de l’avenir. Au point de vue de l’éducation, qu’elle est la situation des Acadiens de l’Ile? Je réponds sans hésiter – celle des autres nationalités, sans infériorité aucune – c'est-à-dire que ceux qui furent par deux fois proscrits, qui autrefois ne défrichaient des terres, ne construisaient des demeures, ne multipliaient leurs troupeaux, que pour les voir tomber entre les mains des Anglais, dont l’idiome et la religion avaient été proscrits et dont la destruction avait été positivement décrétée , ont aujourd’hui toute la plénitude des droits religieux et civils de leurs conquérants d’alors, et retrouvent même après un siècle et demi de désespérance, l’héritage de leur langue, que tout le monde croyait perdue. Oui, cet héritage précieux, le privilège de parler notre langue française, non seulement dans nos demeures au coin du feu, l’hiver, à l’église le dimanche, dans nos prières à Dieu le soir et le matin, où nous l’avions conservé comme les premiers chrétiens avaient conservé le culte de leur religion sainte cachée dans les catacombes, mais encore dans les assemblées publiques et surtout à l’école publique, nous est enfin restituée. Le domaine est délabré, il est vrai, les champs ont été longtemps et forcement négligés, bien des plantes étrangères et nuisibles ont poussé au milieu des blonds épis et parmi les fleurs du parterre, mais enfin l’héritage est là, presque intacte, presque entier; nous en tenons les titres dans notre main, cette convention des instituteurs français en est la preuve. Il ne nous reste plus qu’à réparer les dégâts et à remettre l’héritage dans son état primitif. Etudions-en ensemble les moyens. Mais avant d’entrer dans les détails de cette étude, disons bien à nos concitoyens d’origine différente, qui parlent une autre langue que nous, que nos efforts nationaux, que cette convention, n’ont rien qui soit dirigé contre eux et contre le pays commun que nous habitons. Au contraire, nos travaux leur seront avantageux comme à nous. Nous habitons un immense pays et aspirons à former une grande nation qui ne soit ni anglaise ni française, mais canadienne. D’un ordre politique nouveau est né un sentiment national nouveau. Par l’allégeance nous sommes tout également et au même titre des sujets loyaux de la couronne britannique par les traditions, par le sang, par la langue, nous avons des attaches et des besoins du cœur particuliers. L’amour d’un enfant pour sa mère ne peut être pour toute personne raisonnable une occasion de suspicion, car cet amour est naturel, légitime, et ne saurait le détourner d’aucun de ses autres devoirs. Nous aimons notre langue française, non pas par haine des autres langues, mais parce que c’est la langue de notre père, du père de notre père, que nos aïeux l’ont parlée toujours, que Dieu nous l’a donnée en héritage, et que c’est notre devoir naturel de l’aimer. Et cette droite raison qui nous fait aimer notre langue natale nous fait également respecter les autres langues qui se parlent autour de nous. Loin de nous détourner de la fidélité que nous devons à la reine d’Angleterre, cette convention, au contraire, l’affermit, car elle nous fait voir que notre allégeance à la couronne n’entraine le désavoeu d’aucun sentiment cher à notre cœur. Loin de nous isoler de nos concitoyens anglais, écossais et irlandais, cette convention nous en rapproche. Parce que, d’abord, vous en avez Messieurs, pris l’idée chez eux, et qu’ensuite nous venons étudier les moyens d’être comme eux, et autant qu’eux des citoyens de progrès, désireux de mettre au service de notre commune patrie toutes les ressources intimes dont nous pouvons disposer. Ce que nous faisons ici c’est à la fois une œuvre nationale qui nous est particulière, et une œuvre d’émulation sainte, commune avec les autres nationalités, l’émulation dans le progrès. Pour être bien décidés à enseigner à nos enfants dans les écoles publiques et à parler nous mêmes notre langue française, nous ne rêvons pas à cause de cela un changement d’allégeance; je dirai plus, quoi que le mot soit bien dur à prononcer pour une langue acadienne, nous ne le désirons pas. L’eussions-nous quelques fois désiré que des actes de libéralité comme celui de votre gouvernement qui donne à notre langue française, une reconnaissance officielle, qui nomme et salarie un inspecteur français pour les écoles des districts français qui tolère, qui encourage une convention des instituteurs et institutrices acadiens convoquée dans le but spécial de promouvoir l’enseignement des deux langues dans nos écoles, nous en détourneraient désormais. Et l’encouragement que donne votre saint et généreux clergé au mouvement éducationnel que vous poursuivez, encouragement démontré jusqu'à l’évidence par la présence ici de M. l’abbé Ronald McDonald et de M. l’abbé Boyd, nous rapproche de lui et nous le fait aimer davantage. Nous ne serons infidèles à la couronne anglaise – ce qu’à Dieu ne plaise -que lorsqu’elle nous enlèvera nos droits et nos biens, et encore nos pères lui sont-ils demeurés loyaux jusqu'à dans la plus sauvage persécution; nous n’aurons d’aversion pour nos compatriotes d’origine différente, catholique ou protestants, et ne nourrirons vis-à-vis d’eux un esprit de rétaliation méchante que lorsqu’ils méconnaitront notre droit imprescriptible d’être comme eux quelque chose dans l’Etat ou dans l’église. Que les gouvernements soient justes et libéraux vis-à-vis de nous et ils n’auront pas de plus utiles et de plus loyaux citoyens; que nos coreligionnaires d’une autre langue soient partout, ou si vous aimez mieux, continuant partout à être semblables à ceux de l’Ile Saint Jean équitables et généreux, ils verront comme l’amour germe vite dans nos cœurs. Revenons maintenant au but de cette convention. Vous venez délibérer sur ce qu’il convient d’enseigner aux enfants acadiens de l’Ile Saint Jean, et sur la meilleure manière d’enseigner. C’est une convention composée de délégués français mais ce n’est pas une convention française dans le sens stricte du mot, car personne ici ne songe à enseigner que le français dans les écoles, quoique tous veulent que le français y soit enseigné. Est- il bien nécessaire que le français soit enseigné à nos enfants? Sans hésiter je réponds oui, essentiel même. Il n’en est pas ainsi pour ceux dont la langue maternelle est l’anglais; l’apprentissage du français pour eux ne serait qu’utile; pour nous il est, je le répète, nécessaire, essentiel. J’ai dit qu’au point de vue politique et social, la liberté qui nous est accordée d’enseigner notre langue dans les écoles publiques ne saurait qu’affermir notre fidélité à la couronne, et faire naître de plus cordiales relations entre nous et nos concitoyens d’origine étrangère, catholiques et protestants. Nous nous devons à nous-mêmes d’étudier notre langue sans laquelle nous ne pouvons développer et faire valoir toutes les ressources qu’il y a en nous. D’abord nous sommes nés français. Que nous le voulions ou nous le voulions pas, le sang qui coule dans nos veines est un sang que nous ne pouvons vicier, est un héritage dont nous ne pouvons nous défaire. Notre père et notre mère étaient des Acadiens; nous leurs enfants sommes acadiens comme eux. Pour ma part je m’en glorifie, j’en remercie Dieu, et ne voudrais changer mon titre contre celui du plus fier citoyen du plus grand état qui soit au monde. Pour cesser d’être acadien que faut-il faire? Changer son nom patronymique d’abord, de Leblanc qu’on est, devenir “White” (sans se blanchir pour cela), ou comme ce Canadien qui se nommait Turcotte dans son village natal s’appeler “Smallpox” à Lynn Mass. Ensuite perdre sa langue natale, ce qui ne se fait jamais très bien à la première génération; il faut du temps et des moyens pour en arriver à ne plus écorcher l’anglais de la Reine. Tout cela n’est pas encore suffisant. Si Pothier devenu Porter, ou Surette devenu Lower continuent à fréquenter l’église catholique et ses sacrements, ils ne sont pas sûrs de n’être pas reconnus pour des français mal déguisés; force leur sera d’aller jusqu’au bout GO THE WHOLE HOG comme disent élégamment les Anglais; après leur langue et leur nom de famille il leur faudra mettre le côté leur religion et se faire méthodistes ou presbytériens alors ils seront des Anglais complets. Plusieurs de nos frères, un plus grand nombre qu’on ne le pense généralement qui sont devenus totalement anglais, surtout aux Etats-Unis n’ont pas craint d’aller jusqu’au bout. Leurs enfants sont aujourd’hui des protestants qui rougissent de leur sang et de leur origine première. La perte de la langue a entrainé la perte de la foi. Plusieurs s’imaginent qu’un Anglais a plus de chances qu’un français à réussir dans notre pays; qu’il est mieux considéré que ses garçons trouvent plus facilement à se placer et ses filles à se marier. Je ne crois pas que cette proposition soit vraie des Acadiens qui s’anglicisent. D’abord tous les citoyens du Canada sont égaux devant la loi civile. Devant la loi de nécessité, nul ne peut vivre sans travailler, excepté peut-être les rentiers; et ceux d’autre nous qui avez de gros revenus, n’ont pas besoin de changer de nationalité pour vivre à ne rien faire. Mais ceux-là sont rares parmi nous, et ils sont moins communs qu’on ne le pense chez nos frères appartenant à d’autres nationalités. Bref! Anglais ou Français protestants ou catholiques, il faut que tout le monde travaille pour vivre, et celui qui n’a rien n’amassera pas de fortune à se croiser les bras et à parler anglais. Si je suis un cultivateur, le bon Dieu me donnera, à moi Pascal Poirier, qui porte un nom absolument acadien, la pluie de ses nuages, les rayons de son soleil, tout comme à mon voisin, décoré du plus beau nom britannique. Si vous êtes pécheur, le filet de Joseph Gaudet prendra tout autant de poisson que celui de Michael Irving, s’il est aussi habilement tendu. Pour entrer dans le commerce, partir un négoce, il faut à l’un comme à l’autre des capitaux ou du crédit; la langue que vous parlerez ou le nom que vous aurez troqué pour le vôtre vous sera d’un médiocre secours pour vous en procurer. Un Anglais dans ce pays est mieux considéré qu’un français me direz-vous? Soit; mais un français qui a honte de son origine est-il mieux vu qu’un français qui s’en honore et la veut faire respecter? Je sais bien qu’il y a vingt ans, trente ans, un Acadien était considéré comme un être sans conséquence et de peu de valeur; mais je sais aussi que si nous le voulons, dans cinquante ans d’ici il ne restera rien absolument de ce préjugé. Tenez, sans sortir de votre province, je vais vous en donner un exemple tout à fait concluant. Il y a deux ans le sénateur Howlan était nommé lieutenant-gouverneur de l’Ile. Il devenait nécessaire de le remplacer. Plusieurs aspirants, vous le croirez sans peine, se mirent sur les rangs. Chacun fit valoir ses états de service, et plusieurs en avaient de considérables. Les amis des candidats entrèrent en lice en faveur de leur principal, et il se livra un grand combat d’influence à Ottawa. Qui l’emporta? Votre distingué compatriote, mon estimable ami, l’honorable M. Arsenault. Fut-il nommé parce qu’il était français? Non pas, il eut la position parce que ses titres parurent les meilleurs. S’il eut été choisi à cause de sa nationalité sa nomination aurait à mes yeux bien moins de signification. C’eut été à titre de faveur une aumône magnifique jetée en passant. Ce qui me frappe comme un grand horizon nouveau qui se découvre soudain devant les yeux, c’est qu’il a été nommé quoiqu’il fût français. Il y a vingt ans la chose n’eut guère été possible ici dans les mêmes conditions. Elle ne le serait peut-être pas encore aujourd’hui chez nos frères de la Nouvelle-Ecosse; mais elle le sera bientôt. Les conseillers de sa Majesté n’ont pas regardé l’origine du candidat mais ses droits; et d’un autre côté son origine française n’a pas été considérée un obstacle, ni même un prétexte à le laisser de côté. Ce qui veut dire, que nous sommes arrivés à un degré d’égalité civique à peu près parfait. Encore une passée, et dans quelques décades il n’en paraîtra plus rien. Cette libéralité vis à vis de l’un des nôtres honore vos concitoyens anglais; mais reconnaissance est surtout acquise à vos coreligionnaires et à votre magnifique, votre magnanime clergé. Si, au lieu des conservateurs, les libéraux eussent tenu les reines du pouvoir à Ottawa, j’imagine qu’à la place de M. Arsenault, et pour des raisons identiques à celles qui l’ont fait choisir, notre distingué compatriote l’honorable M. Perry aurait eu la position, un que ses titres de premier lieutenant de M. Davies lui eussent donné la préférence sur tous ses concurrents. Qu’on ne dise plus maintenant que notre qualité d’Acadien est un obstacle à notre avancement. Si elle le fut, elle ne l’est plus, ou ne le sera guère longtemps. La conclusion de tout ceci, c’est que, étant nés catholiques et français, il faut rester ce que Dieu nous a fait et que pour cette fin, et pour devenir de plus utiles sujets de la couronne britannique, il est de première nécessité que nos enfants apprennent leur langue maternelle dans les écoles, et que vous, Mesdemoiselles et Messieurs, qui avez la grande, la sainte mission de les instruire, qui exercez un sacerdoce, comme disait un grand éducateur chrétien, vous leur enseignez, en même temps que l’anglais qui leur est nécessaire, la belle langue française dans laquelle ils apprennent sur les genoux de leur mère à adorer le bon Dieu et à aimer sa sainte mère, la patronne des Acadiens. Sur les autres matières qui doivent être enseignées aux enfants acadiens de l’Ile, je n’ai pas à émettre d’opinion; votre bureau d’éducation y pourvoit avec beaucoup de discernement et de sagesse et vous-mêmes vous en connaissez là dessus bien plus que moi. Je ne ferai que vous rappeler le mot d’un ancien, devenu la loi des meilleurs systèmes d’éducation contemporaine –“l’enfant doit apprendre à l’école ce qui doit plus tard lui servir dans la vie.” Reste la manière d’enseigner. Je ne l’envisagerai qu’au point de vue particulier qui nous concerne en tant qu’Acadiens. Dans qu’elle langue un enfant doit-il d’abord apprendre à lire et doit-il étudier les rudiments? Dans sa langue maternelle, tous les éducateurs sont d’accord là dessus. Pour bien apprendre il faut comprendre. Le perroquet auquel on apprend à prononcer des mots ne sait pas pour cela parler. Un enfant, s’il a une excellente mémoire, peut passer un brillant examen dans une langue étrangère, sans en comprendre, et par conséquent sans en savoir un seul mot. J’ai vu des écoliers répondre magnifiquement à un questionnaire grec, sans comprendre le premier mot de cette langue. Ils avaient appris leur leçon par cœur, comme un perroquet son boniment, voilà tout. Comment expliquez-vous ce fait déplorable, mais avéré cependant, qu’un certain nombre de nos compatriotes, qui ont eu dans leur jeunesse deux, trois ans d’école, ne savent plus lire, arrivés à l’âge de trente ans? Ils ont appris à lire dans une langue étrangère, et ils n’ont ni compris ni aimé ce qu’ils faisaient. Voulez-vous, Messieurs les instituteurs, que vos enfants sachent bien l’anglais? Commencez par leur enseigner leur langue maternelle, qui est le français. De cette manière ils sauront lire et écrire dans leurs langues l’un et l’autre leur étant utiles; et si l’opinion d’un grand diplomate contemporain, affirmant qu’un homme qui sait deux langues vaut deux hommes, a quelque valeur, le futur citoyen que vous aurez formé sera supérieurement armé pour la lutte de l’existence. L’axiome éducationnel-procéder du connu à l’inconnu vous est trop familier pour que je m’y arrête. C’est une opération difficile pour l’intelligence d’un enfant de saisir la signification des choses abstraites qui se rencontrent dans l’étude de la grammaire –un adverbe, une proposition, un infinitif. Cinq fois cinq font vingt cinq, demande un grand recueillement d’esprit pour être parfaitement compris. Certains peuples primitifs ne comptent que par unités, tout travail abstrait leur étant étranger. L’âme d’un enfant entre difficilement dans les abstractions. Comment voulez-vous qu’une jeune intelligence s’oriente parmi les objets qu’elle ne peut voir ni toucher, si elle ne comprend pas bien les mots qui désignent ces objets? Les mots sont les jalons qui mènent aux idées. Si les mots ne sont pas compris, les idées demeurent confuses, l’intelligence ne les distinguera pas, ne les saisira pas. Apprenons d’abord à lire le français, et l’anglais nous viendra bien plus facilement; apprenons les tous deux simultanément, si vous le voulez. Quand nous saurons compter dans notre langue, nous saurons compter dans toutes les langues; et la grammaire française, si nous en comprenons bien les éléments, nous donnera la clef de toutes les autres grammaires. Ce que nous aurons appris en nous servant de mots qui sont pour notre entendement autre chose que des sons incompris, se gravera dans notre intellect, et dans dix ans, dans vingt ans, nous l’y retrouverons encore. Votre bureau d’éducation désire sincèrement, généreusement, que les Acadiens soient aussi instruits que les autres races qui peuplent l’Ile; qu’ils les rejoignent dans la lice du progrès et des lumières; qu’ils reprennent le terrain qu’ils ont forcément perdu; il ne pouvait pour cela procéder plus intelligemment qu’il ne l’a fait en encourageant l’enseignement du français dans les districts acadiens et en nommant un inspecteur acadien. L’idée les honore, et le choix qu’ils ont fait de M. Joseph Octave Arsenault montre leur grand discernement, Honneur à eux! Honneur à vous aussi, messieurs les Acadiens de l’Ile Saint Jean, qui avez su inspirer, de pareils sentiments à ceux qui constituent la grande majorité de votre province! On récolte presque toujours ce que l’on sème. Vous récoltez la bienveillance; c’est que vous avez semé la bienveillance, et que l’on s’est aperçu que vous êtes de vaillants semeurs. J’espère avoir été bien compris dans mon plaidoyer pour l’enseignement du français dans nos écoles; mais de crainte que l’esprit, la portée de mes paroles ne soient mal interprétés, vous me permettrez de préciser. En préconisant l’enseignement du français dans nos écoles acadiennes, je ne prêche pas la création d’un petit état acadien dans un grand état anglais; je ne veux pas faire de nous une race isolée, n’ayant rien de commun avec les autres races dont nous sommes entourés. Le contraire est plus près de ma pensée. Je rêve la nationalité acadienne marchant la main dans la main avec toutes les autres nationalités dont se compose notre pays; dans la grande arène du progrès. Mais je la rêve marchant “aequo passu” de front, de niveau, à la même allure que les autres races. Je ne veux plus que l’on dise de nous, en regardant en arrière : c’est une race inferieure! Elle traine : il faut la remorquer! C’est pour cela, que je voudrais mettre en activité toutes nos forces, toutes nos ressources vives. C’est pour cela que je voudrais voir le français enseigné à tous les enfants acadiens du Nouveau Brunswick, de la Nouvelle Ecosse et de l’ile du Prince Edouard sans préjudice à l’enseignement de l’Anglais. Je voudrais même que nous prissions les devants et qu’à notre tour nous ouvrissions la route. Marcher les premiers dans le sentier difficile, mais glorieux du progrès, quel honneur pour nous ! Dire aux autres, en leur tendant à notre tour la main; venez, nos amis ! Quel rêve, dont il ne tient qu’à nous de faire une réalité. Quelques rêveurs de la province de Québec, attardés de plusieurs siècle, veulent faire de la grande province sœur, et du noble peuple franco-canadien un état isolé, à part, en opposition aux provinces anglaise. Selon moi ce serait une grande erreur. Pour nous l’erreur serait fatale. Nous ne sommes plus aux siècles où, pour se garantir des entreprises des ennemis -et tout voisin était alors un ennemi -il fallait se murer dans un chat au fort et tirer après soi les ponts levis. Grâces aux progrès de la civilisation, la charité évangélique est aujourd’hui mieux comprise et autrement pratiquée. L’homme n’est plus nécessairement l’ennemi d’un autre homme. Ce qui faisait dire à nos devanciers : “homo homini lupus”. Le cœur humain nourrit encore ses convoitises, les injustices ne sont pas bannies de la terre; mais un grand esprit de fraternité couvre de ses ailes les nations civilisées. Les peuples collectivement sont armés, mais les individus dans leurs relations les uns avec les autres désarment. L’esprit du combat existe toujours, et le vainqueur finira comme jadis par supprimer le vaincu; mais ce n’est plus uniquement la lutte de la force. Le dernier survivant sera le vainqueur dans la grande joute des sciences appliquées du progrès et des libertés. Nous sommes 130,000 Acadiens dans les provinces maritimes; vous êtes 12,000 à l’ile Saint Jean. Nous avons autant de chances à vaincre nos concurrents qui sont 500,000, dans les combats par émulation pour la prééminence, que l’armée de Miltiade, forte de 10,000 hommes avait de battre à Marathon les perses au nombre de 110,000 combattants. Seulement au lieu de piques et de javelots prenons résolument dans nos mains les instruments du travail que procure la richesse et fait les hommes indépendants; pour armure légère donnons à nos enfants l’instruction qui soustrait les hommes aux exploiteurs de toutes sortes; les écoles primaires à tout le monde, le collège ou l’académie à ceux qui annoncent de grandes aptitudes; pour commandant ayant notre conscience, éclairée et gardée par ceux auxquels Jésus a dit : Enseignez toutes les nations. Dans ces conditions je ne crains pas le résultat final de la luttes pour mes compatriotes; et si, aussi riches, aussi instruits, aussi probes qu’eux, ayant notre Mère infaillible pour nous montrer le chemin, nous succombons dans la grande lutte, l’enceinte d’un doujau féodal, ou l’isolement comme race, ne nous aurait pas sauvé. Le plus apte l’emportera toujours. Soyons les plus aptes, et ne craignons rien du nombre. Au reste nous le savons bien, la majorité dont nous sommes entourés, ne nous est désormais plus hostile, et nous avons beaucoup à gagner à son contact, pourvu que nous n’y perdions ni notre langue ni notre foi. Eux de leur cote trouvent leur avantage à nous cultiver. Nous avons certaines qualités de race qu’ils ne possèdent pas au même degré. Anglais, français, Ecossais, Irlandais, nous pouvons tous tirer de grands avantages dans la fréquentation sur un pied d’égalité, les uns avec les autres. Quand à vous, Mesdames et Messieurs les instituteurs, vous avez le grand rôle. C’est vous qui préparez, qui formez la génération qu’arrive : ceux qui sont aujourd’hui assis sur les bancs de votre école, prendront demain leurs places dans les conseils de la nation. C’est l’avenir que vous élaborez. Le rôle d’éducateur de la jeunesse est beau. Il est méritoire et glorieux devant Dieu et les hommes. Aimez-le, et perfectionne vous y. J’aime le travail que vous faites ici. En étudiant ensemble et contradictoirement les méthodes d’enseignement, vous admettez que votre manière et votre système est susceptible de perfectionnement. Tout est perfectible, ne l’oublions pas hors Dieu, et la vérité qu’il a révélée. Quand vous verrez un peuple, refuser de s’éclairer aux lumières des s’éclairer aux lumières des autres peuples sous prétexte qu’ils possèdent toutes les lumières, ce peuple est condamné à moins que de grands châtiments ne le ramènent dans les vois de l’humilité, ou que d’éclatantes calamités ne le réveillent de sa paresse. Parce que notre système d’enseignement était bon, le meilleur même, il y a deux cents ans, il ne s’ensuit.