Correspondance

Journal
Année
1895
Mois
12
Jour
5
Titre de l'article
Correspondance
Auteur
Canton
Page(s)
6
Type d'article
Langue
Contenu de l'article
CORRESPONDANCES M. le Rédacteur. Savez-vous que le français envahissait la capitale de la province depuis quelque temps. C’était, au vrai dire, une nouvelle bien surprenante, et j’ai failli n’en pas vouloir croire mes yeux quand j’ai lu une correspondance, de Charlottetown sur l’Impartial de la semaine dernière. Excusez s’il vous plait la liberté que je prends de parler d’une correspondance, mais quand les sentiments d’une nationalité sont froissés pour exalter un individu qui se fait bien payer pour sa peine, il devient un devoir de parler. Si votre correspondant se fût borné à ne rapporter que les faits tels qu’ils sont, je pense que j’aurais souri, et en haussant une épaule, je me serais dit, sans scrupules, que c’était de la flatterie. Mais il fallait faire une réflexion, et quelle ! Après avoir les travaux et les méthodes de M. Arsenault, le collégien nous dit : “Je ne puis entendre parler de ces choses sans penser à certains cantons français ou les gens parlent le français si négligemment et en y mêlant tant de mots avec une prononciation plus ou moins baroque.” Et en terminant il nous invite à ne pas nous laisser aller de pis en pis dans notre langue. Il veut dire de mal en pis dans l’usage de notre langue française; assurément qu’il ne veut pas nous faire cesser d’aller de pis en pis dans la langue. C’est à ennuyer que d’entendre répéter que nous parlons négligemment. Voulez-vous savoir ce qu’il en est M. Poirier? Nous parlons, à la campagne le langage que nos ancêtres nous ont transmis et nous n’en avons nullement honte. Il ne nous a pas été donné, à tous, de recevoir une haute éducation. Nous savons lire le français et l’anglais, nous parlons et nous écrivons les deux assez bien pour nous faire comprendre et faire nos affaires, et remarquez bien que nous respectons la sensibilité des ignorants. Est-ce que la classe moyenne peut en faire autant à Charlottetown? C’est à en douter. Les Classes de M. Arsenault constituent-elles ce que vous appelez “les gens de Charlottetown”? Et voulez vous nous les poser pour modèles? Là, des personnes qui désirent connaitre le français fréquentent les classes nocturnes de M. Arsenault, il n’y a rien d’exemplaire dans cela. Nous n’avons pas les facultés que vous avez à la ville. Nos enfants apprennent le français dans toutes les écoles françaises, attendons. Mais pour nous qui parlons le français négligemment, il est trop tard pour aller à l’école. Et au lieu de nous donner vos conseils que nous ne pouvons faire valoir, ayez la bonté de nous instruire. Lisez d’autres livres que ceux où vous puisez vos notions pédantesques. Donnez-nous des leçons sur la prononciation et faites nous connaitre quelque règles de grammaire ou règles grammaticales comme vous le nommez. Une minute de conversation s’il vous plait. Il peut se faire qu’il y ait une soixantaine de personnes qui parlent le français à Charlottetown mais ce n’est presque rien dans une cité de 12,000 âmes. Et vous voudriez élever ce petit nombre et les faire réfléchir douloureusement sur le sort des paroisses acadiennes. Vous dites ``certains cantons’’ mais ça veut dire un aussi bien qu’un autre ou ça veut dire tous les cantons. Trouvez-vous étrange que les citadins ne méprisent pas le français? Vous avez certainement l’esprit [mot illisible], mon cher monsieur, ou bien vous pensiez qu’ils n’avaient pas toujours été à Charlottetown. Croyez-moi apprenez le français correctement et venez nous l’enseigner. Quand les affaires vous empêcheront de venir, envoyez le professeur nocturne. Nous sommes éloignés du centre de la civilisation mais nous ne sommes pas sauvages et nous serons dociles. Je termine, M. le Rédacteur en vous remerciant pour l’insertion de ma correspondance et en vous félicitant sur l’agrandissement de votre journal. Si j’ai le temps j’irai voir Charlottetown avant longtemps. Je suis respectueusement CANTON