Conventions nationales des Acadiens (Robidoux) - 1890 - p240-252

Année
1890
Titre de l'article
DISCOURS DU RÉV. M. F. RICHARD
PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ DE COLONISATION ACADIENNE-FRANÇAISE, À LA CONVENTION TENUE À LA POINTE-DE-L’ÉGLISE, LES 13, 14 ET 15 AOÛT 1890
Auteur
Rév. M. F. Richard
Page(s)
240-252
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Monsieur le Président, Pour la troisième fois les Acadiens se réunissent en convention dans le but de se mieux connaître, de s’entendre et de s’entr’aider. Dans certains pays où la tyrannie et la persécution veulent primer, le privilège de discussion et d’organisation est refusé aux intéressés et on se plaît à emprisonner les patriotes et les chefs populaires, afin d’empêcher le progrès et l’avancement national. Dieu merci, grâce à la protection de notre glorieuse patronne, l’Acadie commence à jouir de ses droits et ses enfants peuvent se réunir librement, élever leur drapeau à côté et sous la protection du lion britannique, sur les lieux mêmes où jadis leurs pères infortunés subirent un exil plus cruel que la mort. Alors le lion était furieux et affamé; il lui fallut des victimes pour satisfaire son ambition et sa malice; aujourd’hui il est devenu paisible et adouci, étant rassasié par les veaux gras que lui donnent chaque jour les colons et les agriculteurs acadiens. Après un siècle et demi de dévouement à l’Église et à la couronne d’Angleterre, les Acadiens doivent avoir mérité quelque considération de la part de leur mère l’Église et des autorités civiles. Aussi, il est agréable de le constater, notre convention a reçu l’approbation et la bénédiction du premier dignitaire ecclésiastique de l’Acadie, et elle est protégée par la tolérance des lois britanniques, qui promettent la protection à tous les sujets loyaux de Sa Majesté. Or, nos pères et leurs descendants se sont toujours glorifiés d’être les enfants soumis et dévoués de la sainte Église catholique, apostolique et Romaine, et qu’ils se sacrifient pour elle. Ce sont eux qui ont été les premiers civilisateurs de ce pays, les premiers défricheurs du sol, les premiers adorateurs du vrai Dieu sur ce continent, et ils ont été les premiers à planter la croix du Sauveur, et à la porter sur ce sol consacré par les sueurs, les larmes et le sang des confesseurs de la foi. Ce sont eux qui ont soutenu les établissements religieux dans le pays, et leurs églises sont des monuments qui parlent hautement de leur esprit de foi et de sacrifice. Ils ont été, en même temps, les fondateurs de toutes les villes et campagnes des Provinces Maritimes. Ils ont commencé dès la sixième heure à travailler à la vigne; ils ont porté le poids de la chaleur et ils sont aujourd’hui le plus puissant levier de l’Église et de l’État, puisqu’ils ne rougissent pas du travail, mais au contraire, ils sont les plus braves et les plus courageux à s’enfoncer dans les forêts vierges pour étendre les limites de la religion et de la civilisation. C’est donc une récompense bien méritée que de voir aujourd’hui les enfants des proscrits d’autrefois réunis ici en convention avec la bienveillance et la bénédiction de l’Église et la protection de la couronne d’Angleterre. *Gaudeamus+, réjouissons-nous, à la vue de ce beau et touchant spectacle. Saluons nos frères du Canada qui sont venus de loin pour participer à notre bonheur et à l’augmenter. Salut! à vous compatriotes venus de l’exil pour revoir ce sol de l’Acadie que vous n’avez connu que par les sanglots, les larmes et les gémissements de vos pères. Salut! à vous compatriotes de la république voisine venus à cette réunion de frères pour dire, par votre présence, que l’Acadie est encore le pays que vous chérissez et la mère que vous aimez le plus. Vous tous amis et compatriotes, renouez les liens de parenté et de famille brisés depuis près de deux siècles et entendez-vous, comprenez-vous et aidez-vous à parvenir aux destinées que la Providence vosu a préparées. On vous a parlé avec éloquence et vérité sur divers sujets importants; il m’incombe de vous parler particulièrement de la colonisation et de l’agriculture que je prétends avoir été la cause première et efficiente de nos progrès passés, la sauvegarde de notre religion, de nos traditions et de notre langue, et qui seront le gage de notre prospérité future et de l’accomplissement de notre mission dans ce pays. J’affirme d’abord que nous devons à la colonisation et à l’agriculture tous nos succès passés. C’était une belle et noble idée qui s’empara de nos vaillants et généreux ancêtres de laisser la mère-patrie pour venir établir une colonie en Amérique. La France a engendré une grande famille, et si elle a la douleur de posséder des Caïn, des Judas et des prodigues dans ses rangs, en revanche, elle a produit une race de héros qui ne trouvent leurs supérieurs chez aucun peuple de la terre. Elle a fourni à l’Acadie les Pères Récollets, les Pères Jésuites, les dévoués Sulpiciens; des missionnaires distingués, entr’autre le fondateur, le protecteur, le père apôtre de ce beau pays, le vénérable et vénéré Abbé Sigogne. Tous, ils ont fait honneur à la fille aînée de l’Église en se dévouant de corps et d’âme au développement de l’Acadie. Il convient de mentionner entr’autres bienfaiteurs et vaillants défricheurs de cette contrée: les L’Escarbot, les D’Aulnay, les Razilly, les Guercheville, les Thibodeau, les Hébert, les Melançon et une légion de vaillants patriotes qui ont été grands dans leurs projets, dans les succès et surtout grands dans l’adversité. J’ai mentionné ces noms en particulier, parcequ’ils ont mieux compris leur mission en Amérique: s’emparer du sol, le cultiver et s’y attacher. Ils comprirent que pour établir, consolider et maintenir une colonie, il faut à tout prix suivre cette direction avec persévérance. Malgré les épreuves, les rapines, les persécutions et dévastations répétées, ils ont travaillé avec opiniâtreté au défrichement du sol; chassés d’un domaine, ils s’emparent d’un autre, jusqu’à ce que, enfin, ils ont jeté la base d’une petite nation qui compte aujourd’hui au-delà de 120,000 âmes, qui promet de devenir importante et puissante, si leurs descendants ne dégénèrent pas et s’ils marchent sur d’aussi nobles traces. Il faut l’admettre, c’est à la colonisation et à l’agriculture qu’il faut attribuer tous nos succès passés. Si l’Église possède aujourd’hui dans ces provinces une existence paisible et prospère, si le culte catholique est en vénération, si nous possédons des établissements d’éducation et de bienfaisance qui n’en cèdent en rien aux deux Canadas; si nos institutions civiles sont solidement fondées, je réclame pour la colonisation et l’agriculture l’honneur et la gloire d’en avoir été la cause première et efficiente. Elles ont fait de l’Acadie ce qu’elle est aujourd’hui. C’est à cette mère féconde et à sa fille industrieuse que l’Église et l’État doivent leur prospérité dans ces provinces. Je demande donc des autorités religieuses et civiles une reconnaissance pratique et raisonnable pour les services qu’ont rendus et rendent encore mes compatriotes à la cause commune en se livrant à ces deux industries, tout à la fois si pénibles et si bienfaisantes. Puisque les Acadiens ont contribué et contribuent au maintien des institutions religieuses et civiles du pays, il est juste, il est raisonnable d’espérer que leur zèle et leur dévouement seront dûment appréciés et convenablement récompensés. La classe ouvrière et agricole ne doit pas être oubliée et ostracisée, ni réduite à une espèce d’esclavage, et puisqu’elle fournit l’existence aux œuvres publiques, ce serait montrer beaucoup d’égoïsme et d’ingratitude que de lui refuser la somme d’importance qu’elle mérite. Honneur à nos ancêtres, premiers défricheurs et cultivateurs sur ce continent! Honneur à leurs cendres qui reposent dans nos cimetières les plus vénérables dans l’Acadie! Honneur à la classe ouvrière, à la classe agricole! vous avez droit à la première place, à la place d’honneur dans les cœurs de cette foule de peuple réunie pour applaudir à votre courage et à votre dévouement. La colonisation et l’agriculture, car l’une engendre l’autre, ayant été la nourrice de notre enfance nationale, seront encore la sauvegarde de notre religion, de notre langue et de nos traditions, héritage précieux que nous ont légué nos pères dans la Foi et le patriotisme et que nous devons conserver scrupuleusement. C’est un beau et ravissant spectacle, digne de l’admiration des anges et des hommes, que de voir, à la convention de Memramcook et à celle de Miscouche, les enfants de l’Acadie agenouillés et prosternés au pied des autels, sans distinction de rang, de position ou de condition, adorant, remerciant et priant le dominateur des nations qui, à la voix d’un des leurs descendait de son trône de triomphe, pour bénir les enfants des confesseurs de la foi! Ce matin nous avons vu réunie devant l’autel de notre glorieuse patronne la nation acadienne, représentée par des délégations nombreuses de toutes les parties de l’Acadie, pour y faire sa profession de foi catholique et se réjouir dans le Seigneur à la vue des prodiges de bonté et de miséricorde dont notre patrie a été favorisée depuis son berceau. Les pères, les mères accompagnés de leurs enfants; le clergé, les hommes de profession, les législateurs, les colons et agriculteurs, les hommes de commerce, les ouvriers, en un mot l’armée acadienne, le chapelet à la main, l’arme des Acadiens par excellence, ont fait violence au ciel et ont rendu Dieu propice envers leur chère Acadie. C’est dans ces circonstances, mesdames et messieurs, qu’il est vrai de dire que la colonisation et l’agriculture ont conservé la foi chez le peuple acadien, et qu’elles doivent être considérées comme des diamants précieux pour confectionner la couronne nationale. Du moment que notre population rougira de son passé, méprisera et abandonnera cette noble poursuite, pour se livrer exclusivement à d’autres professions, à d’autres occupations moins honorables, de ce moment-là, la foi, l’esprit de piété, l’attachement aux vieilles traditions, à notre langue et à l’Acadie, s’affaibliront peu à peu, et le nom acadien disparaîtra de l’histoire à jamais. Dans cette réunion acadienne, on reconnaît nos compatriotes à leurs manières affables simples et respectueuses, à leur langage acadien, qui n’est pas aussi dégénéré qu’on voudrait l’insinuer. L’Acadien et l’Acadienne s’y distinguent par leur franche hospitalité proverbiale, et leur attention délicate et prévenante; mais surtout par leur maintien religieux et leur piété fervente aux pieds des autels. Voulons-nous que notre population garde ce cachet distinctif qui lui fait tant d’honneur, en même temps qu’il fait l’admiration des peuples qui nous connaissent? dans ce cas, attachons-nous à l’agriculture, encouragez, soutenez l’œuvre de la colonisation. C’est la classe ouvrière et agricole, avant tout autre, qui est destinée à conserver la nationalité acadienne. Que l’on abandonne cette voie honorable et bienfaisante, et bientôt les noms acadiens seront anglifiés, la vieille foi catholique disparaîtra, la langue, la belle langue française sera méprisée et on ne trouvera plus sur le sol de l’Acadie que des fantômes acadiens. Puisque la colonisation et l’agriculture ont été notre salut dans le passé, qu’elles doivent être notre sauvegarde dans l’avenir, il est donc du devoir de tous les Acadiens et des amis du pays de s’entendre et d’aviser aux moyens à prendre pour encourager ceux qui s’y destinent. Personne ne mettra en doute l’importance de la colonisation au point de vue catholique, civil et national. L’éducation est fort importante pour nous et chacun doit s’imposer des sacrifices pour son avancement. Bâtir des établissements pour l’éducation de notre jeunesse, les encourager et les maintenir, voilà une œuvre belle et méritoire; mais pour avoir ces avantages et les conserver, il faut que la colonisation et l’agriculture en soient la base et le soutien. Le fort de Louisbourg était important au point de vue stratégique; mais comme l’a si bien dit un écrivain célèbre et un historien distingué: *Si la France, au lieu de dépenser des sommes d’argent fabuleuses pour cette construction fantastique et inutile, eut soutenu, encouragé et maintenu ses colonies, l’Acadie serait restée à la France et ce serait le plus brillant joyau de sa couronne.+ On a négligé, abandonné les colons défricheurs, on les a livrés à une puissance étrangère et ennemie. On a vu ces vaillants, ces courageux colons qui, par leur industrie et leur persévérance, s’étaient préparé un avenir prospère et enviable, entassés pêle-mêle sur des vaisseaux ennemis et chassés impitoyablement de leurs domaines, et pas une main charitable n’est venue à leur secours, pas une larme sympathique n’est venue consoler ces infortunés exilés. Malgré cette cruauté sans nom, la colonisation, sans appui, a repris son œuvre bienfaitrice, elle a planté la graine de sénevé sur le sol de l’Acadie et aujourd’hui ses rameaux s’étendent sur toutes les provinces maritimes, abritent 120,000 Acadiens, maintiennent l’Église et l’état dans tous ses départements, et encore pas une voix autorisée ne vient plaider la cause de cette bienfaitrice générale. La colonisation a été la créatrice et la régénératrice de l’Acadie et la fondatrice du pays que nous habitons, et l’ingratitude des intéressés en a fait une martyre nationale. Sans doute, le public a la foi dans la colonisation, mais cette foi est morte, parcequ’elle n’est pas accompagnée par les œuvres. On en parle dans nos conventions; on nomme des officiers pour sa défense et on les laisse sans secours pour mener à bonne fin une œuvre d’une importance vitale. On voudrait que notre pauvre population, que les esclaves fissent tous les frais, subissent toutes les privations inséparables de cette carrière si difficile, et que les bénéfices en revinssent à l’organisation ecclésiastique et civile sans se donner la peine de les secourir dans leur œuvre de dévouement. Ceux qui, touchés des privations et des misères de cette classe méritante, se dépensent et se sacrifient pour elle, sont accusés des motifs les plus indignes, et on les verrait écrasés sous le fardeau, périr dans la tempête, sans se donner la peine de venir à leur secours. La théorie ne suffit plus, il faut arriver à la chose pratique. La population d’aujourd’hui n’est pas trompée comme l’étaient leurs pères. Ils ne sont pas disposés, ni capables de subir toutes les privations, les ennuis, les difficultés et tous les inconvénients inséparables de cette œuvre de sacrifice. D’ailleurs, mille tentations, mille attraits sont semés sur les pas de notre jeunesse acadienne. Elle est généreuse et industrieuse, mais la colonisation n’ayant aucun appui véritable, ne présentant rien d’attrayant à leurs yeux, ils la considèrent plutôt comme une œuvre d’esclavage que nationale, tant la classe dirigeante est apathique à son égard. De là, l’émigration que tous les patriotes regrettent et condamnent et avec raison; mais pourquoi ne pas prévenir cet exil forcé en montrant plus de sympathie, plus d’encouragement, plus d’intérêt pratique à l’endroit de la colonisation et de la culture du sol? Je ne crains pas de le dire, le devoir m’oblige de le dire, les intérêts de la religion et de la patrie me forcent de le dire, c’est une honte pour notre pays de ne pas avoir une seule organisation autorisée dans l’intérêt de la colonisation. Étudiez ce qui se passe dans la république voisine et dans le bas et haut Canada et vous y trouverez une leçon importante sous ce rapport. Écoutez Léon XIII, le bon, le grand, le savant et surtout le charitable et sympathique Léon XIII. Il n’est plus le roi de l’Italie, il est détrôné et prisonnier dans son propre domaine au Vatican; mais cela ne lui ôte pas le titre de roi spirituel du monde catholique, de père commun des fidèles, l’ami et le protecteur de l’ouvrier et l’opprimé. Voici ce qu’il écrit à l’univers catholique et chrétien: *Il faut fonder des œuvres pour venir en aide à la classe ouvrière. Il faut chercher à rendre plus supportable aux pauvres les inconvénients de la vie présente en amenant ceux qui possèdent des biens de ce monde à acquérir des trésors précieux dans le ciel, par une large pratique de la bienfaisance, au lieu de faire de ces biens un usage abusif ou de fomenter la cupidité.+ Le Saint-Père ajoute: *Ces œuvres ont pour but de rendre moins pénible la vie des ouvriers et de les soulager dans leurs difficultés économiques.+ C’est bien là, lumen cæli. C’est la lumière qui vient éclairer le monde et lui faire connaître ses devoirs envers une classe méprisée et abandonnée. Il parle de l’abondance du cœur et justifie les efforts de ceux qui défendent la cause de cette classe méconnue et inappréciée, et qui sacrifient leurs biens, leur personne, leur avenir à leur avantage. Que font tous les grands hommes et les vrais amis de la classe ouvrière? Par exemple, le cardinal Lavigerie, le cardinal Manning, le cardinal Gibbons, le cardinal Taschereau, l’archevêque Walsh, l’archevêque Ireland et les prélats de l’Église catholique? Ils travaillent à organiser des sociétés pour venir en aide à la classe pauvre et ouvrière. Le cardinal Gibbons disait dernièrement à un interlocuteur: *La tendance du temps est vers la combinaison, l’organisation et c’est l’unité d’action qui est essentielle dans ce siècle, pour arriver à de grands résultats. Le pouvoir de l’organisation ne saurait être méconnu. L’évidence de sa puissance se fait sentir dans tous les départements de la vie.+ Il vaut mieux, dit ce savant et dévoué patriote, dépasser les limites de la prudence dans la libre discussion des intérêts du peuple, que, par une timidité exagérée, négliger de s’en occuper. L’admirable archevêque Walsh, de son côté, le vaillant et intrépide défenseur de ses compatriotes opprimés, écrivait dans la presse *The tenants funds+ s’élève à ,60,000; ceci représente l’assertion d’un principe fondamental du christianisme que la propriété du plus pauvre est aussi sacrée que celle des plus riches seigneurs. C’est donc l’union de sentiment et d’action, la combinaison, l’organisation et l’esprit de sacrifice qu’il faut pour réussir dans de grandes choses. Or, pour nous Acadiens et pour notre jeune pays, la *grande chose+, c’est la colonisation, c’est notre fort national qu’il nous faut bâtir. Mais pour cela, il faut s’entendre, il faut s’organiser. Il s’agit de réunir nos forces vers ce but important et de montrer que le peuple acadien est vivant et vivace. Pour arriver à ce résultat si désirable, un projet de loi a été préparé par un Acadien qui occupe aujourd’hui une position fort honorable dans la magistrature au Nouveau-Brunswick, un homme digne, un citoyen éclairé et un patriote dévoué, Son Honneur le juge Landry, lequel projet a été passé à la dernière session de la législature provinciale du Nouveau-Brunswick, et chaleureusement appuyé par les représentants acadiens de la chambre, ainsi que tous les représentants du peuple, sans distinction de croyance et de nationalité. Cette société, incorporée sous le titre de *Compagnie de colonisation des Provinces Maritimes+, a pour but de venir en aide aux colons et fonder et établir de nouvelles colonies dans les différentes Provinces Maritimes. Les fonds de cette société seront administrés par un corps régulier d’officiers et de directeurs, légalement organisé et autorisé à posséder et à administrer des biens fonds, meubles et immeubles et de manipuler les argents perçus au profit de cette œuvre si importante. Il ne s’agit pas de spéculation privée, de profits personnels, mais l’unique but est de promouvoir les intérêts du pays par le moyen de la colonisation. Jusqu’ici, cette industrie nationale a été laissée à l’initiative des particuliers; l’œuvre est devenue aux yeux d’un grand nombre une entreprise privée et personnelle, de sorte que la responsabilité et le fardeau n’étaient pas réglés d’après la justice distributive. Puisque c’est une œuvre d’un intérêt général, il est juste et équitable que tous les membres de la société qui doivent bénéficier de ces efforts, partagent aussi la responsabilité. Or, nulle personne qui prétend vivre dans les Provinces Maritimes peut avancer qu’il n’a aucun avantage à espérer de la colonisation, et par conséquent chacun doit être prêt à porter sa quote-part des responsabilités. Nous voilà réunis en convention pour se voir, se serrer la main et consolider notre existence nationale. Il s’agit d’ériger un monument, non seulement à l’honneur d’un apôtre, d’un père, d’un bienfaiteur insigne; mais un monument à l’honneur de nos ancêtres, premiers colonisateurs dans le pays. Ce monument, ce mémorial sera l’établissement de la *Compagnie de colonisation des Provinces Maritimes+. Rappelez-vous, chers compatriotes, qu’en contribuant à ce mémorial, vous honorez la mémoire et le souvenir de vos ancêtres, de vos pères et de vos mères, qui ont si bien mérité de la patrie. Pour vous encourager, vous avez l’Église qui a toujours avoué l’œuvre de la colonisation. Vous avez l’exemple des anciens missionnaires de l’Acadie, des législateurs et des vrais amis du pays, qui ont favorisé cette œuvre par excellence. Vous avez ce beau, ce magnifique panorama qui se déroule devant vos regards émerveillés; ces belles, ces magnifiques paroisses de la Baie Sainte-Marie, où réside une population heureuse et prospère, ayant ses autels, ses institutions et son autonomie particulière, qui parlent hautement à l’honneur de la colonisation. Tous, vous avez vu les grandes et fertiles paroisses de l’Ile Saint-Jean et du Nouveau-Brunswick qui sont des monuments indestructibles du courage et du dévouement de nos ancêtres et qui plaident éloquemment la cause des colons. Il s’agit d’élever un monument à l’Abbé Sigogne, d’heureuse mémoire. C’est une belle et généreuse idée que celle-là; mais s’il était permis à l’Abbé Sigogne de se lever sur son séant et de nous dire ce que son cœur de père, d’ami, et d’apôtre lui inspirerait, il ne manquerait pas de dire à ses enfants chéris, les Acadiens, comme il leur a dit de son vivant, avant tout, emparez-vous du sol, suivez les nobles traces de vos ancêtres, colonisez et cultivez, c’est là le premier de vos devoirs. Que vous diraient les anciens missionnaires acadiens, les Girouard, les Boudreau, les Poirier, les Babineau, s’ils étaient présents ici aujourd’hui? Ce qu’ils nous diraient? C’est que notre prospérité et notre bonheur dépendent largement du zèle et du dévouement à la cause de la colonisation, la pierre angulaire de l’édifice national. Consultez les cendres inanimées, les ossements arides qui reposent dans vos cimetières, restes mortels d’une race de héros, de fervents catholiques, de vrais patriotes, de braves et d’honnêtes cultivateurs. Interrogez les débris des exilés de 1755 parsemés le long des cours d’eau de ce continent et dans les forêts voisines, qui ont si bien servi les intérêts de l’Acadie. Prêtez une oreille attentive, écoutez respectueusement ce que vous diront ces voix éloquentes; vous entendrez des voix plaintives et aimantes qui vous diront: n’abandonnez pas la patrie que nous avons tant aimée. Aimez, chérissez le sol de l’Acadie. Soyez braves et courageux, étendez le domaine de la religion et de la civilisation, et restez Acadiens. À l’œuvre donc, amis compatriotes, du moment que la nouvelle compagnie sera finalement organisée, que ses embranchements seront établis, que ce fort national par excellence sera commencé, envoyez des pierres plus ou moins précieuses pour cette construction fondamentale de notre nationalité en Amérique. Montrez que vous êtes Acadiens de cœur et d’action. L’union fait la force. Soyez unis, non pas pour nuire aux autres nationalités avec lesquelles nous devons vivre en paix et en frères, mais dans le but d’encourager les plus faibles dans la course du progrès. Aimez-vous comme des frères, supportez-vous comme membres de la même famille acadienne. Tendez la main aux infirmes; soyez portés et généreux pour toutes les œuvres qui intéressent la religion et le pays que vous habitez. Portez avec fierté le drapeau acadien; si ses couleurs ne vous rappellent pas le drapeau de Saint-Louis, elles vous rappelleront au moins les couleurs favorites de votre glorieuse patronne et celles des martyrs de la cause catholique et nationale. Guidés par l’étoile qui le décore et qui le désigne comme l’étendard acadien, marchez de conquêtes en conquêtes. Il y a des forêts vierges en abondance encore inoccupées dans nos provinces, surtout au Nouveau-Brunswick, qui attendent la hache du bûcheron pour devenir fertiles et assurer un avenir prospère. Nos gouvernements, voyant notre détermination à établir le pays, deviennent mieux disposés et nos représentants travaillent avec énergie dans cette direction. À l’œuvre donc, amis compatriotes, mettez de suite la main à la charrue sans regarder en arrière et sans tenir compte des difficultés à surmonter. Le vrai soldat ne s’effraie pas à la vue de l’ennemi et au premier coup de canon; le navigateur courageux ne s’épouvante pas dans la tempête, le vrai patriote ne doit pas non plus reculer devant les obstacles et les difficultés à surmonter. Il adopte pour devise celle des soldats de l’Église et de la Papauté. *Aime Dieu et vas ton chemin.+