Conventions nationales des Acadiens (Robidoux) - 1881 - p113-122

Année
1881
Titre de l'article
Rapport sur l'Éducation, par le Rév. Ph. F. Bourgeois, C. S. C.
Auteur
Rév. Ph. F. Bourgois
Page(s)
113-122
Type d'article
Langue
Contenu de l'article
Révérends Messieurs, Messieurs les Délégués, Je regrette beaucoup de n’avoir pu apporter au travail lu aujourd’hui devant la commission de l’Éducation la réflexion, l’étude et le temps qui m’étaient nécessaires pour en faire une œuvre d’informations détaillées, basées sur des statistiques plus précises. Le comité Exécutif, eu regard à des circonstances qu’il ne pouvait contrôler, s’est vu, il y a quelques jours seulement, dans l’obligation de se mettre à la recherche d’un rapporteur pour cette commission, et m’a adressé à Saint-Laurent, près Montréal, une invitation pressante. J’ai eu la présomption d’accepter à un moment où un refus aurait pu compromettre le rapport même, mais je n’ai pas eu le temps de prendre aux sources authentiques toutes les notes qu’il me fallait pour donner au public l’histoire de l’éducation dans nos provinces d’en bas. Étant données ces explications, je soumets cependant aux révérends et honorés membres de cette commission les considérations suivantes: L’éducation a eu, comme la colonisation, ses pionniers aux premiers jours de notre établissement en Amérique. Si nous suivons l’histoire, nous voyons M. Poutrincourt s’intéressant d’une manière très active au développement de l’éducation et de la civilisation parmi les tribus aborigènes. Jessé Fléché civilisait pour la société, instruisait pour Dieu, nous dit l’histoire, et, le 24 juin 1610, il baptisa 21 néophytes dont les parrains avaient été choisis parmi les officiers les plus distingués de l’État. La même année, Biencourt, fils de Poutrincourt, fut mis en relation avec Mme de Guercheville. C’était une dame noble au cœur généreux, à l’âme fortement imprégnée des principes de la foi et de la charité chrétiennes. Et quand elle sut que la croix du Christ avait traversé l’Atlantique et allait s’implanter per Francos dans des contrées nouvelles, elle résolut immédiatement de concourir à l’œuvre de l’éducation chrétienne. L’histoire rapporte quels furent les sacrifices qu’elle s’imposa dans ce but, mais sous des circonstances aussi pénibles que sont celles d’une fondation, le résultat se trouva malheureusement en dessous de la volonté des bienfaiteurs, des bienfaitrices et des fondateurs. Quarante ans plus tard, le sieur d’Aulnay de Charnisay, figure saillante, type remarquable dans les premières annales de notre histoire, construisit un petit séminaire qui fut dirigé par douze récollets. Les enfants des colons, nos pères, furent nombreux sous le toit de cette maison, nous rapportent les chroniques de l’époque, et ne fussent arrivés les pénibles événements de 1755, l’éducation d’alors aurait fait sa marche progressive, aurait répandu son influence civilisatrice jusqu’à nos jours. Mais, dans le plan de Dieu, l’Acadie devait peut-être porter pour toujours les cicatrices d’une grande plaie. Elle devait être la terre d’Évangéline. Les éclaireurs de la race française en Amérique devaient peut-être subir l’outrage de la part de l’ennemi, le sort de la position et du nombre. Dans tous les cas, il en fut ainsi. Un jour la force du droit chancela sous le droit de la force. Et quand les demeures de nos ancêtres s’écroulèrent sous le feu des incendiaires ennemis, quand les vaisseaux de l’exil sortirent à pleines voiles du Gaspareau, emmenant vers des ports inconnus la fleur et la force de notre population, la lumière de l’éducation s’éclipsa sous cet astre de malheur qui s’élevait au-dessus des forêts et des demeures de nos pères. Et pour ceux que la proscription frappa en ce jour, l’éclipse fut séculaire!.. Pendant ce temps nos voisins d’origine étrangère avaient gardé leurs institutions, et bénéfice leur en revenait. Nous, Acadiens, il nous restait, comme le pilote du Troyen, qu’à côtoyer le rivage où l’édit d’exil nous avait dispersé. Il y a vingt-cinq ou trente ans, le mouvement en faveur de la haute éducation a été mis ici en branle par des amis de notre race et surtout par les gardiens de notre foi, je veux dire le clergé. Ici comme ailleurs, le clergé a instruit le peuple. Il s’est imposé la tâche de répandre la lumière où les ténèbres avaient été imposées, et cette mission, il l’a remplie gratuitement pour la gloire de Dieu, l’avancement du peuple et l’extension du bien dans le domaine entier de notre jeune société. Aujourd’hui, grâce au dévouement de ceux que la génération actuelle connaît et apprécie, et que la postérité bénira, nous voyons prospérer, pour l’avantage de nos compatriotes, le collège Saint-Joseph et celui de Saint-Louis, l’œuvre respective de chacune de ces maisons est aujourd’hui en pleine voie de prospérité. Dans notre province, le collège Saint-Michel de Chatham; à l’Ile du Prince-Édouard, le collège de Saint-Dunstan; dans la Nouvelle-Écosse, Sainte-Marie, Halifax, et Saint-François-Xavier, Antigonish ont également fourni à nos frères de l’Écosse et de l’Irlande et même à nos compatriotes, les bienfaits de l’instruction - et ces bienfaits, chaque race a su les utiliser. Pour l’éducation des jeunes filles, nous sommes heureux de compter un assez bon nombre de couvents et de constater les succès qui accompagnent partout les travaux des bonnes religieuses qui s’y dévouent. De nos jours comme autrefois les institutions anglaises des provinces maritimes, dont l’objet est de répandre l’enseignement supérieur et secondaire dans nos parages, subsistent et prospèrent. Au reste, elles ont toujours eu la force de la liberté, la haute main au pouvoir; autrefois surtout elles ont eu, je crois, le bénéfice de gain là même où nous eûmes l’injuste malheur de la perte. Les hautes écoles anglaises (high schools), l’Académie de Sackville, l’Université de Frédéricton ont fait le bien dans leur sphère. Les premières n’ont pas subi d’interruption sérieuse; elles ont toujours été là pour fournir aux Anglais les ressources intellectuelles que les circonstances fâcheuses de l’exode refusèrent aux vaincus. En tous les cas, le nombre des maisons affectées aujourd’hui à l’éducation supérieure et secondaire est relativement assez augmenté, en dehors de la Nouvelle-Écosse et du Cap-Breton, et nous avons le plaisir de constater que toutes ces maisons au point de vue de l’organisation, ont su se rendre recommandables et sont dignes de l’encouragement du public. Des établissements ci-dessus mentionnés sont sortis la plupart des instituteurs qui forment le noyau principal de notre corps enseignant. C’est ce dernier qui a la gouverne de l’instruction élémentaire. L’instruction élémentaire! telle est la branche de l’éducation, révérends et honorés messieurs, qui prime par son importance et ses résultats, et que nous allons considérer sérieusement, je l’espère, au cours de cette importante commission. Sans doute, il siérait mal à un jeune professeur comme moi d’imposer là-dessus ses idées aux membres éclairés de cette commission, en conséquence, vous me permettrez, n’est-ce pas, de baser mes remarques sur celles d’instituteurs d’expérience et de mérite au Canada comme en France. Car il y a chez les peuples qui se forment dans de semblables conditions, des situations identiques où les mêmes remèdes conviennent et peuvent s’appliquer aux mêmes besoins. L’instruction au Canada a eu autrefois des phases telles que nous pouvons y assimiler presque parfaitement l’état actuel de notre éducation parmi les Acadiens. Rien d’étonnant, au reste, qu’une même origine, que des mêmes préjugés de race, qu’une ressemblance d’aptitudes et d’aspiration chez deux peuples frères aient amené des surfaces tout à fait semblables dans cette question de l’éducation. Le fait me paraît beaucoup plus évident quand j’étudie l’histoire de l’éducation en Canada. À ce sujet, j’ai parcouru plusieurs brochures très intéressantes, entre autres une lecture de M. J. L. Archambault, faite, il y a quelques années, devant l’Union Catholique de Montréal. En exposant la situation de l’instruction dans le Bas-Canada, le savant conférencier ne pouvait dessiner d’une manière plus exacte la situation de la nôtre, surtout dans un certain nombre de ses traits. Tout en lui réservant l’honneur et le mérite de son travail, j’en tirerai librement ce qui me paraîtra le mieux approprié à notre étude, afin que nous nous en servions, au besoin, lorsque nous formulerons les résolutions pratiques de cette commission. L’instruction primaire a été négligée dans les colonies de la Nouvelle France durant de longues années. Il était, en effet, difficile, aux premiers temps de la colonie, de tout organiser et de donner en même temps, à ces organisations, le caractère de stabilité qui assurât immédiatement le succès. Pour nous, le temps devait amener de meilleurs résultats. Messieurs, c’est un fait accrédité; il existe parmi certaines classes d’Acadiens des habitudes traditionnelles, des préjugés invétérés qui font croire qu’il est inutile de s’occuper de la culture intellectuelle, parceque c’est une affaire secondaire pour la généralité des cas. C’est regrettable à dire, mais il faut l’avouer, cette fausse notion existe et elle a de profondes racines au fond de nos campagnes. C’est un obstacle contre lequel les résolutions de cette commission doivent avoir pour but de réagir, et de réagir fortement. Personne plus que nous ne croit aux convictions franches et loyales de nos compatriotes, mais il est des choses contre lesquelles la conscience la moins timorée viendra se heurter; certaines idées, qu’on les attribue à l’ignorance ou à la routine, ont tellement passé dans les convictions du peuple qu’elles ont reçu pour ainsi dire du temps et quelquefois des circonstances une autorité et une sanction aussi forte que la loi. Espérons que la réaction se fera plus tard, elle se fait même sentir depuis l’établissement de nos grandes maisons d’éducation. Mais la Nouvelle-Écosse, plusieurs sections assez étendues du Nouveau-Brunswick et de l’Ile du Prince-Édouard n’ont pas encore traversé cette époque de transition qui imprime d’autres idées quand cette époque apporte d’autres lumières. C’est l’œuvre du temps qu’il faut pour assurer surtout à nos frères de sang de la Nouvelle-Écosse les bienfaits de l’enseignement supérieur. C’est certainement de l’énergie et de l’union qu’il nous faut pour reconstituer par un mouvement intellectuel parti de la Convention, ces tronçons épars destinés à former le corps social des enfants de l’Acadie. En attendant, cherchons tous à secouer les langes du berceau, faisons participer le peuple au mouvement général et éclairons son intelligence. Un autre obstacle sérieux se présente aussi à notre attention. Pour que la jeunesse puisse acquérir l’amour de l’étude, avoir le désir de profiter de ses connaissances pour se préparer un avenir, une carrière honorable, il lui faut une institution forte et digne où elle puise l’attrait et la beauté de la science. En d’autres termes, l’enseignement qui est profession doit être un état mieux rétribué et partant mieux considéré. Oui assurément! Comment les instituteurs, les maîtres de l’enfance se sentiront-ils disposés à réveiller dans les jeunes intelligences, confiées à leurs soins, le goût et la noblesse du travail, l’idée du devoir, quand les préoccupations de la vie, les intérêts matériels peu florissants dominent et absorbent toute leur énergie et leurs facultés? Ah! c’est un spectacle affligeant que de voir de pauvres professeurs, des institutrices mal rétribuées, s’éteindre dans les dures nécessités du sort, lutter péniblement contre les misères d’uns situation rendue plus précaire encore par l’abandon ou l’oubli auquel on les condamne! Et pourtant grande et sublime est la mission de ceux qui se dévouent à l’enseignement de la jeunesse. Il faut de l’héroïsme et de l’abnégation pour préparer la destinée de créatures faibles et ignorantes, et consacrer sa vie entière à ce dur apprentissage. Les devoirs d’un tel apostolat sont pénibles, ingrats parfois. Voilà pourquoi cette carrière est tant redoutée. Si nous ajoutons à cela le manque d’un encouragement sérieux, d’une rémunération suffisante, nous aurons la raison de l’indifférence qui existe parmi nous pour les nobles et redoutables fonctions du professorat. C’est là un des plus grands obstacles à la diffusion de l’instruction primaire. Si nous voulons que les guides de la jeunesse répondent à leur sublime vocation et la fassent monter à son glorieux niveau, il faut que l’État s’efforce de récompenser davantage leurs travaux. Augmenter le salaire de l’instituteur, c’est donner plus de prix au pain de l’intelligence, c’est l’empêcher de se salir dans la fange de la matière, au contact des luttes de l’intérêt et du besoin. Alors, et alors seulement, les aspirants apporteront, dans l’exercice et l’accomplissement de leurs devoirs, un esprit plus dégagé, des convictions plus solides, les capacités seules chercheront à s’y produire et à y travailler d’envie et d’émulation, alors seulement l’enseignement sera vraiment digne d’attirer l’attention et le respect de toutes les classes de la société. Maintenant, Messieurs, s’il faut éliminer les obstacles qui, pour nous spécialement abondent au cercle de l’instruction primaire, voire même de l’instruction secondaire et supérieure, il faut adopter les mesures que l’expérience des érudits, que la science et l’étude contemporaine viennent de léguer aux pédagogues pour guider ces derniers dans la mission qui leur incombe à l’égard de la jeunesse qui débute. Pour n’être pas trop long, je n’indiquerai qu’une méthode que je soumets à l’attention des révérends et honorés membres de cette commission, c’est l’enseignement intuitif. La nature de l’intuition, son rôle, la portée et le vrai caractère de la méthode intuitive; voilà autant de points sur lesquels les esprits sont aujourd’hui très peu divisés, si l’on en excepte les pédagogues d’une ou deux nations. Dans notre siècle qui, à côté de ses aveuglements, a aussi ses lumières, une grande idée s’est fait jour dans les esprits, et a pénétré dans les écoles. Cette idée, la voilà: toutes nos connaissances viennent des sens1, par conséquent toute instruction doit être faite par les sens. C’est là la doctrine de Loche, de Condillac, de l’abbé Girard, de Pestatozzi, de Basedord, de Campe, de Frœbel et de tous les pédagogues qui ont fait l’honneur de l’Allemagne, depuis trois quarts de siècle. Tous, et avec eux les Suisses, les Américains, les Italiens, une bonne fraction française, plusieurs membres influents de l’instruction publique au Canada et au Nouveau-Brunswick, ainsi que dans les provinces qui nous avoisinent, tous, dis-je, ont vu là le salut pour l’éducation. On prétend aujourd’hui que l’enseignement qui convient à l’école primaire et populaire, c’est essentiellement celui qui se fait par voie de démonstration sensible, palpable, l’enseignement par les yeux. C’est ce mode d’enseignement qui donne à l’école moderne ses deux caractères distinctifs; d’une part un certain aspect aimable et presque gai, des études qui se font presque en jouant, une école où l’enfant se plaît, une éducation d’où l’effort et la contrainte sont bannis; d’une autre part, ce second caractère, non moins frappant, c’est que tout l’enseignement est pratique, usuel: on n’apprend aux enfants que ce dont ils auront à se servir. En un mot, par ce procédé, l’enseignement est simple, utilitaire, intuitif. C’est là, du reste, la méthode préconisée énergiquement par Rousseau, Montaigne, Fénélon et Rollin. Mais ceux-ci ne purent faire prévaloir cette méthode de leur temps: il y avait trop de préjugés à combattre. M. Villemain jugeant l’ouvrage de l’abbé Girard, *Le cours éducatif de la langue maternelle+ où cette méthode est parfaitement retracée, disait un jour devant l’Académie Française: *La seule, véritable école populaire est celle où tous les éléments d’étude servent à la culture de l’âme, et où l’enfant s’améliore par les choses qu’il apprend et par la manière dont il les apprend. Cette idée simple et les conséquences qu’elle entraîne dans la pratique, l’abbé Girard, ce vertueux instituteur de Fribourg, les avait saisies dès le premier âge dans l’exemple de sa propre mère et dans les soins qu’elle donnait à une famille de quinze enfants. Il fut dès lors frappé de ce qu’il a depuis ingénieusement appelé la méthode maternelle, en voyant comment la parole est mise sur les lèvres de l’enfant, les pensées et les mots lui arrivent par une leçon instinctive, où la mère, en lui nommant les objets sensibles, éveille en lui les idées morales et lui parle déjà du Dieu qui a fait tout ce qu’elle lui montre. Tel est, révérends et honorés Messieurs, sur la question de l’enseignement intuitif, le faible et bref aperçu que nous nous permettons de soumettre à la considération de cette commission éclairée. Il nous semble que toutes nos maisons d’éducation devraient se mettre en mesure d’adopter ces procédés d’enseignement, lesquels sont en accord avec les règlements imposés par nos systèmes respectifs d’éducation dans les provinces maritimes. Il est constant qu’il deviendra plus tard dangereux de s’attarder dans un vieux système qui a été général autrefois, qui a eu sa raison d’être, mais qui, depuis la fin du 18e siècle, a perdu son crédit chez presque tous les peuples civilisés. Maintenant, si comme il appert par les autorités que je viens de citer, il nous faut suivre une voie facile et pratique pour enseigner la jeunesse, nous devons aussi préparer cette jeunesse à toutes les positions commerciales et industrielles du jour, selon les aptitudes des individus qui nous sont confiés. Il faut, comme le disait le conférencier précité, les initier de bonne heure à l’étude des lois et des phénomènes qui ont amené les progrès gigantesques du monde industriel, et jeté tant de lumière au fond de toutes les questions de l’économie humaine. Et ce travail, où se fera-t-il? à l’école. Le dessin, l’architecture, le génie civil, tout ce qui se rattache au commerce, aux finances, aux exploitations manufacturières, aux détails intimes de l’économie domestique, tout cela doit être l’objet de notre attention, de nos soins. Nos collèges, nos académies commerciales, nos couvents, enfin nos écoles de compagne, prépareront donc ceux ou celles qui leur sont confiés à la pratique ordinaire des différentes sphères du commerce, de l’industrie et de l’économie domestique. En joignant ainsi, dans l’enseignement, l’étude des principes avec la pratique ou avec la science appliquée, l’élève saura quelle direction imprimer à ses travaux, l’école deviendra alors un atelier, le maître apprendra à son élève à manier les instruments de son travail et il se fera artisan, c’est-à-dire artisan de son avenir, de sa destinée. Il nous semble donc souverainement important de répandre de telles notions chez le peuple qui sent, au reste, ce déficit, par conséquent de modifier, en certains quartiers, notre système d’enseignement primaire, notre système d’enseignement commercial. Ce n’est pas à dire qu’il faille opérer un changement radical: point du tout. Mais en présence des nécessités qui s’élèvent de toutes parts, l’étude des sciences pratiques s’impose à notre attention: elle doit prendre sa place dans l’éducation du peuple. L’industrie est donc une de ces questions qu’il est bon d’agiter et qu’il ne faut pas exclusivement laisser aux mains de l’étranger. Toutes idée qui a pour but de relever le niveau intellectuel de notre nation est une idée qu’il faut semer dans le sillon où notre peuple marque les traces de sa fécondité et de sa force, car elle peut devenir un élément de civilisation, une grande cheville ouvrière pour les générations qui seront là pour la recueillir. La philosophie nous apprend qu’il y a toujours autour d’un grand principe une foule de puissances secondaires qui se nourrissent de sa substance et déversent, par autant de canaux, la vie et le mouvement dans le domaine où elles s’exercent. C’est ainsi que l’industrie, en s’introduisant par tous les pores du corps social, en pénétrant dans tous les foyers, en venant s’asseoir sur les bancs de l’humble école de la campagne, finira par combler une lacune immense et réveiller parmi nos jeunes intelligences cette sève féconde du génie et du talent qui, jusqu’ici, a coulé presque inactive du cœur de la patrie. Je ne peux terminer, révérends et honorés messieurs, cette faible esquisse historique de notre éducation sans faire mention du rôle que l’Église et l’État se sont approprié dans notre système scolaire, grâce à des circonstances et à des vues dont le résultat a créé, dans la dernière décade, de profondes perturbations dans notre état social. Il nous est arrivé un de ces obstacles que le pouvoir n’avait pas le droit de susciter et sous lequel il a fallu nous courber dans l’épreuve pour notre foi, dans la lutte pour la sauvegarde de notre religion. En un mot, au cours de notre système élémentaire d’éducation, l’État libre n’a pas voulu admettre la liberté de l’Église. Il a employé des moyens négatifs pour exclure toute religion, et depuis lors n’a pas voulu faire justice à nos réclamations les plus essentielles au for extérieur du devoir et de la conscience. Si nous voulions revenir longuement sur cette question, nous ferions observer que, malgré les concessions déjà faites, le système d’enseignement athée qui nous a été imposé n’est pas encore dépourvu de danger, et que ce danger est d’autant plus sérieux que le ver ronge dans l’ombre. Qu’il nous suffise de dire que, une seconde fois, nous avons été et nous sommes les victimes de mesures autoritaires subversives de nos droits les plus sacrés, des prérogatives les plus saintes de famille et de religion. Ailleurs, dans la Confédération, la famille et la religion ont trouvé, en temps opportun, des défenseurs énergiques de leurs droits. L’État a accordé à chaque secte, à chaque dénomination religieuse une protection égale; il n’a pas permis qu’une arrogante majorité portât atteinte aux libertés d’une faible minorité. Il n’a pas voulu, dans l’école, d’une autorité impie ou irréligieuse dont l’enseignement serait impie ou irréligieux et qui porterait au sein des générations futures un élément de perte et d’impiété. *Mais, comme le disait M. Caro à l’Académie française, faisons le silence, sinon l’oubli. À quoi bon, d’ailleurs, revenir sur des scènes d’injustice et de pitié éternelles? Il est trop tard. Oui, il est trop tard, toutefois, quoiqu’on fasse, malgré tout l’effort et la persévérance des hautes sphères, le coup est frappé et l’histoire a donné son verdict. L’humanité pardonne; c’est son devoir; elle a des clients éternels qui sont tous les malheureux. La politique oublie, c’est son droit; elle a des clients momentanés qui lui coûtent souvent assez cher. Mais l’histoire n’a ni le devoir de pardonner, ni le droit d’oublier. Elle n’a pas de clients; elle est juge suprême; elle ne se laisse ni attendrir, ni corrompre. Elle est au-dessus des menaces furieuses et des vaines colères. Ce qu’elle a jugé est bien jugé et ce qu’elle a flétri restera flétri. Étant donnée cette situation, que nous reste-t-il à faire? Ce que nous faisons maintenant. Nous nous tenons fermes sur la pierre, ayant toujours les yeux fixés sur elle, de concert avec la jeunesse qui s’instruit en grandissant.+ Attendere ad petram unde excisi estis, comme le dit le prophète Isaïe. Nous nous tenons dans un juste milieu, sans exagération ni faiblesse. Car l’exagération soulève les passions contre la vérité. Nous honnissons le don-quichotisme catholique, nous ne voulons pas être taxés de chauvinisme en matière de religion. Nous éviterons la forfanterie comme le respect humain, et nous sommes tous décidés à garder la vérité et la droite ligne chrétienne dans la charité et la prudence chrétiennes. Par là, nous espérons qu’une justice plus abondante nous sera un jour octroyée, et qu’il nous sera donné de voir encore la religion et l’État se donner la main pour former notre jeunesse acadienne à la science et à la vertu.