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Messieurs,
C’est avec un bien grand plaisir que je constate la chaleur et l’éloquence qu’on déploie dans la discussion fort importante qui nous occupe, et cela me prouve une fois de plus que les Acadiens peuvent jouer un grand rôle sur la scène s’ils veulent se donner la peine de prendre part active aux luttes qui s’y livrent. Le sujet débattu prête certainement aux élans du cœur et les discours que nous avons entendus démontrent à l’évidence que nous sommes soucieux de notre avenir et de nos intérêts nationaux.
Quelle doit être la fête nationale des Acadiens? Tel est le sujet qui fait les frais de cette discussion, et il mérite assurément notre plus sérieuse attention. Il y a unanimité sur la nécessité d’une fête nationale, et c’est ce qui devrait avoir lieu. Quant au choix, j’opine pour la Saint-Jean-Baptiste, même après les éloquents plaidoyers que nous venons d’entendre pour l’Assomption. En premier lieu, la Saint-Jean-Baptiste est déjà enracinée en Acadie. Elle est chômée depuis longtemps dans l’Ile du Prince-Edouard, elle est établie à Memramcook depuis plusieurs années, on la célèbre à Madawaska, rameau important de notre race, et l’on dit qu’elle était autrefois en honneur parmi nos ancêtres. En l’adoptant, nous ne ferions donc que suivre le sentier battu, marcher sur les traces de nos aïeux et confirmer le choix déjà fait par une partie notable de notre peuple; et c’est, à mon sens, une chose importante à considérer par cette convention. En autant que possible, nous devons chercher à nous conformer à nos traditions et consulter ce qui a déjà été fait parmi nous. C’est le plus sûr moyen d’assurer le succès de notre fête. Une autre considération, qui n’est par sans poids, c’est que la Saint-Jean-Baptiste tombe à une époque bien plus favorable et plus propice que l’Assomption. Pour un bon nombre d’années encore, il sera toujours plus ou moins difficile de célébrer notre fête dans chaque paroisse, avec tout l’éclat, toute la pompe désirable. Le nombre de nos hommes instruits est encore fort limité et celui de nos orateurs l’est encore plus. Nous devons nous replier surtout sur les centres favorisés de maisons d’éducation, tant pour la partie musicale que la partie des discours. Sous ce rapport la Saint-Jean-Baptiste nous offre d’autres attraits bien plus précieux encore. Il est avéré qu’elle est la fête par excellence de tous les Français de la Nouvelle-France, qu’elle est chômée par tous les Canadiens-Français et de plus par tous les Acadiens, nos frères, qui habitent la province de Québec et aussi, me dit-on, par les Acadiens de la Louisiane. Tout nous invite à resserrer notre union avec les autres parties du Canada Français, aujourd’hui que notre sort politique est intimement lié au leur par la confédération. L’élément français ne peut que gagner à serrer ses rangs, à s’entendre, à s’unir. Or quoi de plus propre à nous faire atteindre cette union si désirable que l’adoption d’une fête patronale commune, où tous nos cœurs, battant à l’unisson, viendraient se confondre dans une entente fraternelle et durable. N’oublions pas que nous devons beaucoup aux Canadiens, que ce sont eux qui par leurs missionnaires ont entretenu cet attachement inviolable à notre foi et à notre langue qui nous fait remarquer, que ce sont eux qui ont les premiers fait luire à notre horizon le soleil de l’éducation qui déjà éclaire notre existence. Il y a donc ici encore une forte raison de chômer la fête nationale qu’ils ont adoptée, où plutôt qu’ils ont empruntée à l’Acadie ou qu’ils ont emportée avec nos pères de leur ancienne mère-patrie, la France, berceau commun de leur origine et de la nôtre. J’ai remarqué que les partisans de l’Assomption, s’appuyant sur leur prestige comme prêtres, se sont étudiés à faire entendre qu’en choisissant l’Assomption nous serions mieux protégés, notre avenir serait plus assuré comme peuple; mais j’espère que personne ne se laissera influencer par cette considération sous-entendue, qui, dans mon opinion, n’est pas fondée. Oui, j’ose l’affirmer, et si je me trompe, j’espère que les messieurs du clergé ici présents me reprendront, l’avenir du peuple acadien sera tout aussi bien assuré, nous serons tout aussi bien protégés comme peuple, en chômant et honorant Saint-Jean-Baptiste pour notre patron qu’en adoptant l’Assomption de la Sainte Vierge.
Songeons qu’il sera difficile aux paroisses qui ont jusqu’ici chômé la Saint-Jean-Baptiste, qui ont puisé dans cette fête les moyens de ralliement dont les résultats ont été si importants au point de vue national; ne craignons pas qu’on nous confonde avec les Canadiens, car la chose est impossible; elle n’a pas eu lieu par le passé, elle arrivera encore moins à l’avenir; - et rappelons-nous que la Saint-Jean-Baptiste a déjà été observée par nos ancêtres, qu’elle l’est actuellement par les membres de notre famille que la catastrophe de 1755 a jetés sur les rivages du Saint Laurent au milieu des Canadiens, qui les ont accueillis d’une manière si fraternelle, et j’en suis persuadé, nous ne saurions faire d’autre choix que celui de la Saint-Jean-Baptiste.