Conventions nationales des Acadiens (Robidoux) - 1881 - p39-43

Année
1881
Titre de l'article
Discours M. J. P. Rhéaume, Président de la Société Saint-Jean-Baptiste de Québec
Auteur
M. J. P. Rhéaume
Page(s)
39-43
Type d'article
Langue
Contenu de l'article
Monsieur le président et messieurs, Le 24 juin de l’année dernière, à notre banquet national, j’avais l’honneur de vous adresser ainsi qu’aux autres délégués ces paroles: *Soyez les bienvenus, nobles Acadiens, précieux tronçons d’un peuple martyr que nous avons peut-être trop oublié!+ Aujourd’hui c’est à votre tour de nous dire: *Vous êtes les bienvenus,+ et nous le sommes, je vous l’avoue, au-delà de toute attente. En effet, quand nous voyons le patriotisme rayonnant sur toutes les figures, les manifestations d’allégresse qui ont éclaté de toutes parts depuis notre arrivée au milieu de vous, nous sommes tentés de dire que nous ne méritons pas une hospitalité aussi cordiale. Grande et patriotique pensée que vous avez eue, messieurs les promoteurs de cette convention, de réunir en ce jour à jamais mémorable, nos frères les Acadiens de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick, de l’Ile du Prince-Édouard, et peut-être aussi ceux du Labrador et de Saint-Pierre Miquelon. Comme nous, messieurs, vous avez compris que dans une occasion aussi solennelle, il fallait affirmer sa foi et son attachement à sa nationalité avec éclat. Comme nous vous avez compris que lorsque l’amour de la religion et de la nationalité est fortement ancré au cœur d’un peuple, c’est en vain que l’on voudrait l’anéantir. Comme nous vous avez encore compris que, d’une grande et imposante réunion de la famille acadienne, il en résulterait un bien immense pour son développement intellectuel et matériel. Bien avant ce jour, messieurs, un ami sincère des Acadiens, l’honorable M. Rameau, que vous auriez aimé à voir au milieu de vous, j’en suis certain, a dit dans son admirable livre, *La France aux Colonies+, que si dans l’espace d’un siècle, de 1755 à 1855, le nombre des Acadiens a décuplé sans le secours d’aucune émigration, cela est dû à leur attachement profond à leur langue, à leurs institutions; attachement, dit encore M. Rameau, pour leur religion qu’ils ont poussé jusqu’à des sacrifices dont l’histoire offre peu d’exemples. Et, messieurs, aurions-nous pu, nous, Canadiens-Français, descendants de la même vieille France, délaissés comme vous par un gouvernement corrompu, dont l’ignoble Louis XV était la personnification, rester indifférents à cette grande convention des Acadiens? Ah! il aurait fallu ignorer complètement votre histoire, si palpitante d’intérêt, pour être demeurés sourds à votre bienveillant appel. Quand un peuple comme le vôtre a eu pour ancêtres des Biencourt, des Poutrincourt, des de Latour, des de Monts, un Hébert, un de Grand Fontaine, un Thibodeau, on est fier d’être Acadien. Quand un clergé a le souvenir de sacrifices sans bornes qu’ont faits les premiers missionnaires, les Aubry, les Jessé-Fléché, on est heureux d’être prêtre acadien. Et lorsqu’on se rappelle Madame de Guercheville, femme d’honneur de Marie de Médicis, renonçant à tous les honneurs et les jouissances des palais, pour venir s’enfoncer dans les forêts de l’Amérique; lorsque nous nous rappelons aussi Madame de Poutrincourt, partie de Dieppe, la première des femmes européennes qui est venue mettre le sceau à la création de la jeune colonie, on est glorieux d’être femme acadienne. M. le Président et Messieurs, il y aurait peut-être inconvenance de ma part à vouloir pénétrer plus avant dans votre histoire en présence d’un auditoire si éminemment instruit que celui devant lequel j’ai l’honneur de porter la parole. Cependant, je ne puis me soustraire à une pensée, celle d’évoquer le triste et lugubre souvenir de la malheureuse époque du 5 septembre 1755. Le projet le plus infernal, comme vous le savez, avait été conçu depuis un certain temps par un ennemi implacable, aigri d’avance par ses luttes avec la France, et il ne tarda pas à être mis à exécution par l’attentat le plus diabolique qui se soit jamais vu chez une nation civilisée. Je n’entrerai pas dans les horribles détails de cet infâme complot, mais je répéterai seulement quelques lignes de l’histoire de cet affreux drame. *Les Anglais, (ce ne sont pas ceux de notre époque) rapportent l’abbé Ferland, l’abbé Gauthier, M. Rameau et M. Garneau, ayant résolu de chasser de l’Acadie toute la population française, l’attirèrent dans un piège à Grand-Pré, et après avoir promené le fer et la flamme, on jeta sur des navires plus de sept mille personnes de tout âge, de tout sexe, on leur fit prendre la route de l’exil et ensuite on les dispersa depuis Boston jusqu’à la Caroline.+ Ah! c’est ici, Messieurs, que je voudrais avoir les inspirations de M. Onésime Fortier, dans un morceau de poésie intitulé La ruine de Grand-Pré en 1755, et qui a été couronné par l’Université Laval en 1875; que je voudrais avoir, dis-je, les inspirations de ce morceau d’éloquence poétique dont le texte même, Super flumina Babylonis illic sedimus cum recordaremur Sion, indique déjà les malheurs des Acadiens dans le lâche guet-apens du 5 septembre 1755. Je voudrais avoir les accents plaintifs d’un Longfellow pour vous redire la douleur de vos pères lorsqu’un certain nombre d’entre eux revinrent de l’exil pour mourir dans leur pays natal. Il y aura bientôt, messieurs, cent vingt-six ans que ce crime de lèse-nation a été consommé; mais je m’arrête devant le récit de tant de malheurs, de tant d’infortunes que vous connaissez et que vous avez appris dès votre plus tendre enfance sur les genoux de vos mères, pour saluer l’aurore de meilleurs jours. Ah! si les Monkton, les Winslow pouvaient contempler un instant les dignes représentants des cent mille, et peut-être plus, Acadiens répandus dans tous ces lieux, là où ils ont porté le fer et la flamme. Ah! s’il leur était donné, un instant, de voir ces beaux champs qu’ils ont dévastés dans leur rage diabolique, ces beaux temples, ces belles maisons d’éducation, ces nombreuses résidences qui ont remplacé celles qu’ils ont incendiées. Ah! je le répète, s’il leur était donné de voir cette nation aujourd’hui debout, pleine de vigueur et qu’ils croyaient avoir pour toujours clouée à leur infâme gibet, ils écraseraient sous le poids de leur honte. Heureusement, messieurs, que ces temps-là sont passés et que nous n’avons plus à redouter de semblables infamies; car les luttes glorieuses que nos hommes d’État ont eu à supporter pendant plus d’un demi-siècle, nous mettent à l’abri de semblables proscriptions. Nous avons un beau présent et un brillant avenir devant nous; c’est à vous, généreux Acadiens, c’est à nous, Canadiens de tous les rangs, de toutes les conditions, de nous unir, de prêter main-forte à ceux qui, comme vos dignes représentants, veulent sincèrement promouvoir vos intérêts nationaux et sociaux. Mais, rappelez-vous, messieurs, que pour obtenir un bon résultat, il faut le Concordia Salus. Oui, il vous faut de l’esprit de concorde et d’union entre vous comme entre nous, afin que la nationalité acadienne, comme la nôtre, croisse, grandisse et augmente en force et en valeur. Rappelons-nous que l’union est nécessaire et indispensable aux peuples comme elle est nécessaire au bonheur des familles, et que c’et par cet esprit d’union que vous pourrez faire de grandes œuvres pour votre nationalité. Vous avez donné un caractère vraiment national et patriotique à votre convention en affirmant votre foi, votre nationalité; mais ce que nous devons le plus admirer c’est le côté pratique. Vous avez compris que la plus belle des démonstrations n’est rien sans des œuvres utiles; aussi, messieurs, il nous fait plaisir de constater que les travaux de votre convention seront des œuvres utiles et durables. M. le président et messieurs, la société St-Jean-Baptiste de Québec, par son bien humble représentant, vous offre ses plus sincères remerciements pour lui avoir donné l’occasion d’assister à cette grande fête de la famille acadienne et vous en promet une éternelle reconnaissance. En nous invitant à cette grande et imposante démonstration, vous avez exaucé les vœux de M. Rameau qui, dès 1854, exprimait le désir de voir un jour les Acadiens et les Canadiens, dont tous les cœurs sont sortis de la même race, battre à l’unisson, et soyez certains, messieurs, que nous emporterons avec nous le meilleur souvenir de la large part que vous nous avez faite dans ce congrès vraiment national.