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Shédiac, Jeudi, 1er septembre 1881.
Notre Fête Nationale et la Presse Canadienne.
Le choix que nous avons fait du 15 août pour notre fête nationale devait naturellement avoir du retentissement au Canada, et il en a eu. La question a été envisagée de divers côtés. Plusieurs journaux l’ont appréciée au point de vue de l’union plus intime, du rapprochement plus étroit des Canadiens et Acadiens. Ceux-là ont blâmé le 15 août. Les autres, se plaçant à un autre point de vue et considérant les Acadiens comme une race distincte, ayant ainsi que les Canadiens et les Louisianais un passé qui leur est propre, ont généralement approuvé l’adoption du 15 août. Si ceux-ci on regretté de nous voir adopter une fête autre que la leur, ce n’était pas dans un esprit de blâme mais de regret que nous ne fussions pas effectivement une même race par notre histoire comme nous le sommes par notre origine.
Nous tenons à constater ces diverses opinions, attendu qu’il a été plus d’une fois question, à la convention même, de savoir ce que penseraient les Canadiens en nous voyant choisir une autre fête que la leur; et nous sommes convaincu, l’ayant entendu déclarer solennellement, qu’un grand nombre de ceux qui ont voté pour l’Assomption auraient voté pour la St Jean-Baptiste, s’ils avaient cru nous aliéner les Canadiens ou même refroidir leurs sympathies pour nous. S’il y a eu de part et d’autre des expressions malheureuses d’échappées,–et dans une question aussi brûlante et aussi délicate il était difficile de ne pas effleurer les susceptibilités de quelqu’un,–l’immense majorité, tout le monde enfin, était d’accord pour ne pas rompre l’harmonie entre les Acadiens et pour ne rien faire ni dire qui pût avec raison blesser les Canadiens ou les éloigner de nous.
Au nombre des journaux qui ont blâmé le choix du 15 août, il faut mentionner le Courrier du Canada, rédigé par M. le Dr N. E. Dionne, délégué du cercle catholique à Memramcook.
Nous partageons les vues de M. le Dr Dionne lorsqu’il dit : « L’union entre les deux rameaux français de la Confédération est désirable à tous égards. » Mais nous différons d’opinion avec lui, lorsqu’il ajoute, au cours du même article : « On a beau dire que le peuple acadien a son histoire distincte de la nôtre; pour tout homme impartial il n’y a là qu’un trait particulier dû à un concours de circonstances malheureuses que nous ne pouvions ni prévoir ni empêcher. »
Ce que M. le docteur dit plus loin est de nature à donner aux Canadiens une mauvaise interprétation du sentiment et de l’idée qui ont présidé au choix de notre fête nationale. « Et pourtant, dit-il, nous avons vu là-bas des gens prêts à sacrifier les Canadiens-Français pour le plaisir de se dire Acadiens-Français! » Au plaisir de se dire Acadiens, ceux-ci n’ajoutent pas l’idée de sacrifier les Canadiens. Nous le répétons, les Acadiens n’ont et ne peuvent avoir que des sentiments de reconnaissance et d’amitié pour les Canadiens. Une infirme exception, un ou deux individus ne font pas la règle.
Plusieurs journaux ont emboîté le pas après le Courrier du Canada. Nous citerons le Nouvelliste de Québec qui fait cette observation :
« Nous aimons assez nos frères de l’Acadie pour ne point nous formaliser d’une décision qui leur sera plus funeste qu’à nous. Si l’expérience du passé n’a pas été suffisante pour leur apprendre les déboires, les souffrances qu’endurent les peuples naissants qui veulent marcher seuls, l’avenir est là pour leur rappeler ces dures vérités. Le peuple acadien marchera seul,–nous le souhaitons,–mais puisse-t-il ne pas s’apercevoir que les auxiliaires qui lui offraient la main, et qu’il a refusés, pouvaient lui aider à surmonter les difficultés, les embarras qu’il ne manquera pas de rencontrer dans sa marche. »
Le Canada, publié à Ottawa, endosse les mêmes idées.
La Rive Nord, journal de M. I. U. Fontaine, descendant d’acadien, blâme également le choix que nous avons fait. « Il est singulier, dit-il, que les Acadiens aient voulu avoir un jour particulier pour jour de fête, quand ils sont Français, quand les Canadiens ont un jour solennel, la St Jean-Baptiste, qui est du reste la fête des anciens Acadiens. » Le confrère se dit en mesure de prouver que la St Jean-Baptiste était fêtée par les Acadiens avant la dispersion de 1755, au moins au Bassin des Mines.
Le Quotidien de Lévis regrette le choix que nous avons fait, mais ne nous blâme pas. Il écrit à ce sujet un article excessivement sympathique que nous regrettons, faute d’espace, de ne pouvoir reproduire en entier. Il termine en disant : « Nous avons le 24 juin, ils ont l’Assomption! Eh bien, au jour de l’Assomption, nous nous unirons à eux, et au 24 juin nous leur tendrons la main. Dans tous les cas, soyons unis, et que notre sort soit commun. »
Au nombre des journaux qui, tous en regrettant–car tous les journaux canadiens, par sympathie pour nous, regrettent que nous ne formions pas un seul peuple–de nous voir adopter une fête différente de la leur, nous approuvent cependant dans le choix que nous avons fait, il faut en premier lieu mentionner la Minerve. Or la Minerve, nous le savons, est l’organe du gouvernement conservateur dans la province de Québec, ce qui indique qu’au point de vue politique, au moins, nous n’avons rien perdu dans l’estime des conservateurs de notre province sœur, et que nous ne sommes pas isolés d’eux. Voici entre autres observations de ce que dit la Minerve :
« Nous ne sommes pas prêts à blâmer nos frères acadiens pour cela (le choix du 15 août). L’Acadie ayant son passé distinct, bien distinct, un passé d’infortunes presque sans exemple dans l’histoire, il est légitime pour ses enfants de tenir à perpétuer ces souvenirs à se distinguer de toute autre race, même des Canadiens-Français, qui ont moins souffert. Il ne faut pas que les Acadiens oublient leur passé, [illisible], et qu’ils ont considéré qu’une fête nationale particulière pouvait aider à remplir cet objet, on doit leur laissé [illisible]. N’empêchera pas les liens de fraternité française d’exister entre eux et nous, et nous croyons même que c’est à la [illisible] de Ptre Hector Langevin, notre chef, qu’ils ont acclamé comme leur chef , et qui ont, de fait, le chef naturel de toute la population d’origine et de langue française de l’Amérique britannique; nous voyons que c’est Sir Hector Langevin lui-même qui leur a suggéré d’abord de choisir le jour de l’Assomption comme fête nationale, puisqu’ils paraissaient tenir à avoir un jour de fête autre que le 24 juin.
Encore une fois, les Acadiens, en montrent cette persistance, [illisible] fait preuve d’énergie et de caractère. Ils ont fait voir qu’ils connaissent leur glorieuse histoire et savaient l’apprécier. C’est beaucoup. Leur histoire n’est pas la nôtre, et ils n’ont pas eu tort de vouloir se distinguer de nous à cause d’elle.
L’essentiel, toutefois, c’est que les Acadiens vivent et ne veulent vivre comme nation. [illisible] viendra de soi. Ils sont d’origine française, comme nous, et nos frères, à ce seul titre. Peu importe que leur fête nationale tombe le 24 juin ou le 15 août; nous les trouverons toujours et [illisible] nous trouveront. Ils ne refusent pas de nous reconnaître comme frères aînés, et cela suffit à notre ambition.
Il y a dans cet article plus que de la sympathie, il y a de la générosité. Seulement, nous tenons à relever une inexactitude. Ce n’est pas Sir Hector Langevin qui a donné l’idée du choix de l’Assomption; ceci n’empêche pas que nous ne soyons très heureux de la haute approbation de Sir Hector, exprimée dans une communication au secrétaire de la convention.
Nous n’avons pas vu l’Electeur de Québec, mais la Patrie de Montréal, qui est, avec l’Electeur, le principal organe du parti libéral chez les Canadiens-Français, ne nous blâme pas non plus.
Au point de vue de nos intérêts politiques, les déclarations de la Minerve d’abord, puis de la Patrie, sont précieuses à recueillir.
Nous oublions de mentionner le Mail de Toronto, organe du parti conservateur dans la province d’Ontario, lequel, à l’occasion de notre convention, a fait sur les Acadiens un long et sympathique article. Le Mail a foi dans notre avenir.
Parmi les journaux de langue anglaise dans les provinces maritimes qui nous ont manifesté un bienveillant intérêt à l’occasion de notre convention, le Sun de St Jean, le Times de Moncton, et le Sun de Truro méritent une mention spéciale.