La convention de Truro - 16 17 et 18 octobre

Journal
Année
1895
Mois
10
Jour
25
Titre de l'article
La convention de Truro - 16 17 et 18 octobre
Auteur
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2
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LA CONVENTION DE TRURO-16 17 ET 18 OCT Les travaux de l’assemblée commencent à neuf heures dans la grande salle de l’école normale sous la présidence du surintendant de l’éducation de notre province, avec quatre ou cinq cents instituteurs et autres personnes qui s’intéressent aux choses de l’éducation, présents. Le premier travail lu traite de l’éducation des incorrigibles et des avantages que l’on pourrait tirer d’une école de réforme. A onze heures le professeur Lanos de l'Académie de Halifax et Instructeur du vaisseau amiral Crescent et de la flotte “North Atlantic” est invité par le président à prendre la parole. Le président fait remarquer que pour la première fois dans l’histoire du pays, un Français est appelé à soutenir les intérêts de ses compatriotes. Il explique que M. le professeur Lanos est natif de la belle France mais qu’il parle l’anglais avec une facilité dont beaucoup d’Anglais seraient jaloux, et qu’il espère, que l’orateur pourra se dire que son auditoire anglais ne le cède en rien à la légendaire politesse française qui trouve à complimenter jusque dans les fautes, si fautes il y a— M. le professeur se rend alors à la tribune parmi les applaudissements et les paroles d’encouragement. Un journal anglais dit—Il parle avec aise; se fait écouter avec plaisir, “a splendid apparence” et joint à tout cela un savoureux et léger accent qui n'a pas peu contribué à la bonne impression qu’il a créé. Il a été interrompu par de fréquents applaudissements. Voici les idées générales du discours de notre compatriote qui a duré une heure vingt minutes environ. Il est professeur de langues, mais il se bornera à parler du français à la Nouvelle-Ecosse—dans les écoles anglaises—et dans les paroisses françaises. En toute études il y a la théorie et la pratique. La théorie, possible à presque tout le monde, est seulement l’étude raisonnée de principes. La pratique devrait être le but premier dans l’enseignement des langues, mais dans quel ordre et à quel degré. Il parle du latin que presque personne ne sait pratiquement aujourd’hui et qui était autrefois la langue universelle et le bien commun de pays à pays et de savant à savant. Plusieurs langues modernes l’ont remplacé et, la plus importante, est le français. En enseignant le français à des Anglais il faut éviter deux excès– trop de grammaire sans pratique— trop de pratique sans grammaire— Non modus rei ante rem : En premier lieu la chose, ensuite ce qui l’explique. Il veut que ses élèves anglais aient déjà des idées bien formées sur les choses qui les environnent; avant d’aborder le français; alors, prétend-il, l’enfant n’a qu’à retenir un mot nouveau pour exprimer une idée déjà maîtrisée; dans le cas contraire, il doit créer dans une langue étrangère l’idée et le mot. Il explique qu’il n’est point sage d’apprendre de la grammaire sans avoir déjà un fonds de connaissances, un vocabulaire; sans lequel on frappe dans le vide. Il propose l’ordre suivant d’après lequel l’élève acquiert des connaissances, amasse des matériaux suffisants pour amener la grammaire en suite 1e La lecture, 2e La traduction de ce qui a été lu, 3e La grammaire de cette lecture, 4e Propos d’érudition ou revue de mots et de grammaire, 5° Conversation, imitation au tableau ou par écrit, par leçons de choses, dessinant et mimant. Il développe ensuite et donne les règles de la lecture avec des exemples. Il ne sépare pas la grammaire de la partie pratique, il la place seulement en troisième lieu. Il condamne la méthode Berlitz et toutes les méthodes soi-disant naturelles, parce que 1e Elles s’opposent à l’usage de la langue maternelle de l’enfant 2e attachent le savoir à l’âme et ne le lui incorporent pas. 3e Dans nos examens écrits, elles n’ont aucune place. Elles ne préparent pas l’élève à passer des examens. Il s’étend alors sur la formation psychologique des mots et des idées et finit par conclure que des anglais voulant apprendre le français doivent savoir leur langue et s’en servir pour parvenir au français; sinon ils feront l’aveugle conduisant l’aveugle. C’est le cas de nos Acadiens dit-il. Vous les mettez à l’étude de l’anglais, sans qu’ils aient un fonds de connaissances, sans idées, avec des livres anglais; et leurs instituteurs n’ont point les moyens, même intellectuels, de suppléer aux défauts des livres en double texte, inutiles et bondés d’erreurs, qu’ils ont entre les mains. Il rappelle qu’il a émis ce principe de ne pas enseigner le français à des anglais sans qu’ils sachent ce que leur parler veut dire. Puisque ses auditeurs admettent la justesse de ce principe, peuvent-ils, dans le cas des Acadiens, se refuser à admettre davantage qu’ils doivent savoir le français avant d’essayer de l’anglais! Il demande donc un changement. Les Acadiens ne peuvent pas être traités sur le même pied. L’état d’infériorité de leurs écoles le prouve. Ils ne savent pas leur langue que l’on pourrait presque appeler un patois, tellement leur ignorance des deux langues fait qu’ils les mêlent d’une façon à la fois baroque et lamentable. Comment d’un français pitoyable faire sortir un bon anglais? Il faut une langue dans laquelle leur apprendre cette autre langue. Donc, c’est par le bon français qu’ils arriveront à l’anglais, encore faut-ils qu’ils sachent le bon français et les instituteurs aussi. A la base de tout, il mettrait le français. Il consacrerait trois ans de la vie d’école d’un acadien, au français seul— ou au français posé comme base de l’éducation anglaise. Et pour cela il aurait 1e. La lecture 2e. l’appellation—3e. l’écriture 4e. la grammaire—5e. la composition— 6e. la conversation. Ensuite il prendrait l’anglais sur le même plan qu’il enseigne le français dans les institutions de Halifax —tel qu’exposé plus haut. Les matières seraient les mêmes que dans les autres écoles de la province, en anglais. Quel est son but en demandant à l'assemblée et au gouvernement de changer l’état actuel des choses? Il sait que la langue nationale est l’anglais et qu’un homme ne vaut que ce que son éducation anglaise vaut, mais il cherche l’avantage de l’anglais. Si les Acadiens étaient mêlés aux populations d’autre langue, tout irait bien à la satisfaction de nos frères Anglais. Mais les Acadiens sont massés dans un coin impénétrable à l’élément anglais et eux ne comprenant pas leurs voisins, mur de Chine, ils restent chez eux. Son plan favoriserait les échanges de sympathies, d’idées humanitaires et patriotiques et ceux des Acadiens qui ne sortiraient pas de leur retraite, auraient l’avantage de parler le bon français, de ne pas faire piteuse figure, et de posséder l’anglais comme une réserve quand les Anglais iraient dans les villages acadiens se faire choyer et héberger; tout pour le plus grand bien de la patrie Canadienne Une et Indivisible. Ces dernières paroles sont reçues parmi des tonnerres d’applaudissements qui témoignent de la bienveillance de l’auditoire et de la bonne impression laissée par le discours. Le président, surintendant de l’éducation MacKay, exprime sa satisfaction, et offre la tribune à qui veut discuter. Le Rev. Père Parker, du collège Ste Anne se lève, et d’une voix sympathique et claire, avec l’éloquence que tout le morde lui connaît, il supporte tout ce que M. le professeur Lanos a si bien démontré, la nécessité de changer quelque chose à l’enseignement tel qu’il se pratique dans les districts français. Il croit qu’un livre de lecture et une grammaire sont de première nécessité dans les écoles acadiennes. Ici, nous ne sommes pas au Manitoba; il n’y a chez nous ni rancune ni déplaisir à ce qui s’est fait jusqu’à ce jour, seulement, les Acadiens sentent le besoin de savoir l’anglais, et ne peuvent y arriver en ce moment. Il ne prétend point demander le français au détriment de l’anglais; il travaille dans l’avantage de ce dernier; c’est le vœu même des Acadiens dont il est le délégué. M. l’inspecteur Morse, prend aussi la cause de ses écoles françaises du comté de Digby et croit qu’il est temps d’appliquer un remède au mal dont souffrent les écoles acadiennes et il lui semble indiqué par le professeur qui a traité la question d’une manière si compétente. La discussion en reste là, mais elle est reprise dans l’après-midi lorsque le R. P. Parker lit la proposition suivante, discutée en séance privée : That, in the opinion of the educational association it would seem desirable that the council of public instruction for this province should allow such change to be effected, in the books in use in schools in French speaking districts, as would give to pupils in said schools two text-books in their own language at least in reading and grammar in order to facilitate their acquiring a knowledge of English. Le principal McLeod dit qu’il ne voit pas la raison valable de permettre aux Français rien de semblable. Les Ecossais ont été dans le même cas et ils parlent aujourd’hui l’anglais. Le Principal O’Hearn dit qu’il favorisait aussi l’usage d’une langue seule, mais que M. le professeur Lanos a fait clairement entendre que pour apprendre une langue étrangère à l’âge adulte il faut avoir des conceptions nettes dans sa langue maternelle, or les Acadiens n’ayant pas ces conceptions nettes en français, il faut qu’ils y arrivent et puis se mettent à l’anglais dans la suite, et cela obligatoire comme l’avocat des Acadiens l’a lui-même exposé. M. le proviseur des écoles de Halifax se demanda ai on fera aux Ecossais de Pictou les mêmes gracieusetés : M. le Principal Calkin de l'Ecole Normale, trouve dangereux de mener deux langues de front. On lui fait entendre précisément que le Prof. Lanos n’en veut qu’une a la fois. A présent il n’y en a aucune, ou deux, comme il voudra. Enfin M. le Professeur MacDonald de l’Ecole Normale rapporte qu'il a été inspecteur des écoles et que les Français ne font rien en Anglais, faute de compréhensions et de moules à idées bien remplis, comme dit si bien son ami, le Professeur Lanos, et que le double travail de recherche de l’idée et du mot dans une langue étrangère est trop, il faut qu’ils trouvent l’idée en français et n’aient qu’à la passer, la revêtir du mot anglais, et, conséquemment, aient accès à leur langue. Il se rangeait donc aux côtés du Rev. P. Parker. M. le Principal Kennedy de l’Académie de Halifax, est aussi en faveur du système du Prof. Lanos et lui donne son adhésion. La question est posée— La résolution passe à l’unanimité. Le soir du même jour, le R. P. Parker remercie l’assemblée au nom du peuple acadien et du Professeur Lanos; il proteste de la loyauté des anciens colons de Grand’Pré. Bien qu’ils aiment leur langue française, personne ne leur en fera un crime, même un reproche, car c’est un souvenir de leur mère et de leur enfance. Ils sont et seront fidèles au pays dont tous nous sommes les enfants. Eu faisant allusion à la résolution concernant les écoles acadiennes, l’Honorable M. Fielding, dit après le R. P. Parker, et ceci peut clore l’article : Pendant que d’autres provinces souffrent des luttes de croyances et de races, nous avons raison d’être fiers, ici, car nous voyons toutes choses dans un jour plus patriotique, plus libéral, plus aussi pour le bien de tous en général et de chacun en particulier. —Les Acadiens comme nous les voyons ont à rendre mille grâces, une fois de plus au Rev. P. Parker qui leur a voulu, un point de l’importance de celui qui figure dans la proposition. Sa présence a voulu aussi au collège Ste-Anne quelques bonnes paroles du Dr Allison de Mount Allison University, et autres. L’orateur de notre parlement local, M. Laurence lui-même a complimenté le R. Pire en particulier et exalté les douces et simples mœurs des Acadiens, d’une manière émue, racontant des scènes dont il avait été lui-même témoin. En avant, Acadiens, on compte sur vous. Pas de faiblesse. Pas de trainards!