Encore ce monument

Journal
Année
1895
Mois
5
Jour
16
Titre de l'article
Encore ce monument
Auteur
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Page(s)
2
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ENCORE CE MONUMENT Un membre de la Société des guerres coloniales a donné une conférence très terne, à Boston, il y a quelques jours. Evidemment, il a été question de la colonne de Louisbourg. Déjà, notre journal a traité cette question une fois, notre correspondant de Halifax a montré le côté futile et enfantin de la démonstration yankee et dit qu’elle ne valait pas la peine qu’on s’en occupe; un écrivain très connu et grandement apprécié dans les provinces maritimes a mis en lumière le caractère bigot, haineux et révolutionnaire de ces intéressés de la Nouvelle-Angleterre. Tous ces écrivains ont raison au point de vue où ils se placent. Supposons que la Société des guerres coloniales dresse simplement une colonne à Louisbourg. Que signifie cela? Le conférencier de Boston auquel nous avons fait allusion et qui se nomme Bell, croyons-nous, disait devant les ignorants qui l’écoutaient l’autre jour que, grâce à la prise de cette place forte de Louisbourg, les Français avaient été à jamais expulsés du continent américain. C’est une moule que cet individu et ceux de ses auditeurs qui l’ont cru sur parole sont des gobe-mouches. Expulsés, pauvre homme, la prise de Louisbourg n’a pas enlevé au Canada un seul colon et aujourd’hui, au Cap-Breton, dans les provinces maritimes, c’est presque par centaines de mille que nous comptons les descendants de ces Français que vous avez expulsés à jamais?? C’est comme votre victoire de Louisbourg, à supposer que vous prétendiez que la reddition de cette place ait été une victoire. Et où sont les drapeaux aux fleurs-de-lys que vous avez pris, et les armes, et les bagages, et les canons, et les prisonniers, où sont-ils? Zéro. Pour la bonne raison que vos armées de quarres ont dû se résigner à voir défiler les troupes françaises avec armes et bagages, drapeaux et canons, ne vous laissant que quatre murs où vous avez abrité vos orgies après l’évacuation. Belle victoire! Belle expulsion! Même pour frapper une médaille commémorative il vous a fallu repêcher de la rade un vieux mortier que vous n’avez jamais pris aux Français. Si un canon français est encore sur le continent, regardez bien, il a été encloué, ou il est fêlé, mais vous ne l’avez pas enlevé à une batterie encore tout chaud, vibrant la décharge et suant la poudre. Belle victoire! Dans une lutte de trente contre un ne pas pouvoir arrachera l’ennemi un drapeau, un fusil, un canon et le laisser sortir en plein soleil, par la force des choses, comme font vos boxeurs après que vous avez prononcé qu’ils sont ex aeguo, oui, c’est une fière démonstration! Vous pouvez venir en grand nombre, par la vallée d’Annapolis, la terre d’Evangéline, comme c’est votre intention, par mer, suivant la route de l’amiral Warren, en ballon, si cela vous fait plaisir, vous ne changerez pas les faits et ne vous couvrirez de ridicule que davantage. Les Français voient d’un mauvais oeil vos ingrates machinations; les Anglais loyaux ne vous méprisent pas moins. Quand, à Louisbourg, un de vos orateurs se lèvera et ânonnera de vagues à-peu-près, quelque loyal Anglais-Canadien vous rappellera que le 17 Juin, anniversaire de la prise de Louisbourg est aussi celui de Bunker Hill. Alors vous vous souviendrez que votre premier acte de rébellion et le premier engagement de vos braves soldats contre les troupes de la mère patrie eut lieu à Bunker Hill de Boston un 17 Juin. Et, dans cette rencontre vous fûtes battus comme des chiffes, mesurés juste à votre longueur et n’eut été des secours étrangers, vous seriez encore les humbles sujets d’Albion. Donc, quelque Anglais loyal, qui sait son histoire et vos histoires, se lèvera et vous jettera cela au nez. Vous en ferez une belle tête? N’empêche que le 17 Juin les gamins et les grandes personnes s’en vont autour du monument de Bunker HillI, lancer des pétards et s'applaudir d'avoir secoué le jug de l’Angleterre. Belle victoire et belle gloire aussi, la même que celle de Louisbourg! Des pétards, tous des pétards, rien que des pétards que ces Yankees! On parle d’inviter le gouverneur-général à la cérémonie et de faire flotter dans le port les couleurs de l’Angleterre et les pâles étoiles des Etats-Unis; il leur faut bien peu pour faire de grandes choses. Nous sommes certains que les Acadiens, les Canadiens-Français et Anglais se toucheront les coudes pendant les pétarades des citoyens de la grande république et se prêteront un mutuel secours s’il est besoin de leur rabattre le caquet. Nous le tenons de source certaine et de haut lieu. La question religieuse ne s’impose pas maintenant; on n’y pense guère; mais, politiquement parlant même, de loyaux Anglais et de braves Français ne peuvent pas manquer de faire sentir à nos voisins qu’ils sont de bonnes grosses bêtes, pas méchantes, mais bêtes, tout plein. De plus, à qui les Américains doivent-ils d’êtres eux-mêmes? A la France; aux Français; à leur argent, à leur sang. Et ils se montrent tous les jours atrocement ingrats, comme l’Italie. Trente-trois ans après l’aventure de Louisbourg, le 5 mai 1778, Washington recevait au camp de Valley Forge le traité d’alliance de la France grâce à l’influence de Lafayette. Les soldats américains qui n’en pouvaient mais reprennent courage, on accueille les Français avec enthousiasme; le généralissime ordonne à toute l’armée de crier à un signal : Vive le roi : et les Français, Lafayette, Rochambeau, de Grasse ont conquis l’indépendance américaine. Washington l’a écrit à Franklin lui-même, “St nous n’avons pas l’armée et l’argent de la France, notre cause est perdue.” Messieurs les Yankees, avez-vous payé cette dette? Non! mais vous servirez l’insulte à la place. C’est généralement ce que font les insolvables. Peut-être qu’à ce moment vous étiez bien aises de voir revenir ces Français que vous aviez expulsés? Dites-nous donc ça.