Notes de Halifax

Journal
Année
1895
Mois
2
Jour
14
Titre de l'article
Notes de Halifax
Auteur
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Page(s)
2
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NOTES DE HALIFAX (Do notre correspondant) Je suppose que vous avez ressenti comme nous l’effrayante tempête de vendredi. Pour un ouragan, c’en était un. On m’écrit de Port Morien, Cap-Breton que la mer a emporté là des brise-lames et des quais, submergé des boutiques et des maisons. On m’annonce également de Margaree que la marée a causé des dommages considérables à l’embouchure de la rivière rompu la dune et envahi les dépôts et les habitations qui ne se trouvaient pas à l’abri sur les hauteurs. Le même fait s’est reproduit dans le Saint Laurent qui a inondé les deux rives et brisé ses glaces, les entassant en d’énormes icebergs au gré de ses fureurs. Les caves de la basse ville de Halifax ont subi un lavage complet aussi. Les dégâts ne valent pas la peine d’être notés; cependant, ce n'est point tous les jours qu’il nous arrive des semblables Zéphyrs. * * * Le vapeur Labrador est arrivé d’Europe avec trois cents passagers environ. Vous ne vous imaginez pas quelle est l’anxiété de quelques-uns de ces malheureux en présence de la terre. Je me suis rendu au débarcadère, samedi, avec mon ami, M. Lévy, commissaire des Etats-Unis au Bureau des Emigrants. Tous ceux qui se présentent comme émigrant aux Etats-Unis doivent passer devant lui, lui fournir leurs papiers, subir son interrogatoire et la visite de son médecin. Quiconque n’a pas de papiers en règle, ne peut certifier qu’il a un emploi qui le prémunisse contre le besoin; quiconque ne se peut réclamer d’un parentage qui le garantisse de la misère; quiconque est déclaré inapte à un emploi lucratif, pour impotence ou maladie, est impitoyablement rayé du livre. Une centaine d’hommes, de femmes et de jeunes gens, la plupart Russes et Allemands ont défilé au Bureau des constatations. Vingt-sept sont restés sur le carreau et six attendront que M. Lévy ait reçu des personnes dont se réclament ces émigrants, des documents comme quoi leur stage est assuré. D’autres ont dû virer de bord. Il y a des scènes déchirantes; mais évidemment il faut passer au crible ces milliers d’êtres qui se jettent vers les régions encore neuve de l’Ouest américain. * * * Un vapeur, la City de Wakefield a relâché dans le port en très mauvais état. Il est chargé de coton brut; et on a découvert à 500 milles de Halifax que la cargaison était en feu. L’élément destructeur faisait lentement son œuvre et malgré le courant d’eau qu’on a dirigé à travers les 3000 balles de coton, il a été impossible de fixer le foyer. A part le coton, une quantité énorme d’huile et de bois de cèdre se trouvait à bord ainsi que du charbon. Ces deux derniers articles ont été absolument balayés du bord par la mer. On décharge en ce moment à Halifax. * * * J’ai eu le plaisir et l’honneur de faire un bout de conversation, la semaine dernière, avec l’Honorable M. Comeau et MM. Jousse et Pothier. Entre parenthèse, je ne vois pas pourquoi les journaux anglais sont si unanimes à épeler les noms de nos compatriotes : Joyce et Porther ou Porthier. Ça n’a l’air que mi-acadien et pas du tout français. Mais, vous savez ce que j’en pense! * * * J’apprends sans surprise et avec regret que la quête nationale pour les héritiers de M. Thompson a fait fiasco. Les ministres d’Ottawa comptaient plus sur le peuple que de raison. Ce coquin de peuple; peut-être pense-t-il qu’il en a donné assez d’argent aux admirateurs intéressés de M. Thompson. La guirlande des ministres d’Ottawa offerte au défunt premier était évaluée du moins a été payée 3000 piastres; celle de la reine Victoria 20. La dépense des fleurs a été de 12000 piastres. C’est ce qui a mangé l’héritage peut-être. En tous cas, on aurait pu suivre l’exemple de la reine d’Angleterre qui sait aussi bien faire les choses que nos amis conservateurs. Pschutt! je ne fais jamais de politique. * * * Nos Acadiens sont représentés aux chambres de la Nouvelle-Ecosse par deux sénateurs et trois députés, les honorables H. M. Robichaud et Isidore LeBlanc, deux vieux politiciens et l’honorable M. Comeau et MM. Pothier et Jousse. Les deux derniers représentent, l’un Yarmouth, l’autre Richmond. Monsieur Jousse est un ancien capitaine qui parle très bien l’anglais. Sa parole brève, le regard droit en avant, dénotent l’homme qui a commandé longtemps. Il est d’un âge qui voit les choses dans leur jour le plus vrai. Au physique, M. Jousse est de taille moyenne, et d’allure dégagée. Politiquement, c’est un libéral. M. Pothier est un des intéressés de la compagnie J. H. Pothier, du Wedge. Il siège pour Yarmouth. Je pense que c’est un des plus jeunes membres de l’Assemblée, peut-être le plus jeune. C’est le premier Acadien qui se tienne du côté de l’opposition conservatrice de notre province. * * * L’autre jour, au théâtre une femme portait un chapeau monstre, haut et large comme cela. Un monsieur derrière elle, avait beau lever le nez pour voir par dessus (le chapeau), ou baisser la tête pour voir par dessous. Pas moyen. Alors se penchant : Madame, auriez-vous la bonté d’enlever votre chapeau, nous ne pouvons voir ce qui se passe là-bas— Oh! monsieur, dit la charmante créature, que vous êtes à plaindre! Et elle n’en fit rien. Un moment après le monsieur hasarde encore—S’il vous plait, madame. Je crains que quelque chose de fâcheux ne vous arrive— —Peuh! fait la belle au chapeau monstre. Occupez-vous donc de ce qui vous regarde. S’adresser ainsi à moi, un étranger, a-t-on jamais vu! Peuh! Le malheureux éconduit se rejette dans son fauteuil et pose simplement son castor sur sa tête. Aussitôt des balcons partent les cris et les sifflets— Enlevez-le! Enlevez le chapeau! A bas le melon! A bas la bourriche! La femme au chapeau, qui n’a pas vu le manège du monsieur, prend les cris pour elle et tout rouge et tremblante elle enlève son toit. Alors le monsieur se penchant de nouveau, après s’être découvert— quand, je vous disais, hein!