Seconde convention nationale des Acadiens

Année
1884
Mois
8
Jour
28
Titre de l'article
Seconde convention nationale des Acadiens
Auteur
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2
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SECONDE CONVENTION NATIONALE DES ACADIENS Reprenons le compte-rendu de la grande fête de Miscouche, par le sermon de jour. Nous regrettons de ne pouvoir en offrir à nos lecteurs qu’un résumé bien imparfait et incomplet, nous en demandons pardon à l’éloquent prédicateur, le révérend père A. D. Cormier. Bentus populus evjus Dominus Deuavjus. Bienheureux le peuple qui a le Seigneur pour son Dieu. Mes biens chers frères,–En jetant un coup d’œil sur cette vaste assemblée réunie autour de cet autel érigé à l’ombre du clocher de cette église devenue trop petite pour contenir les représentants, venus de tous les coins du pays, d’un peuple relativement petit en nombre mais grand dans ses malheurs et par sa foi; en présence du clergé nombreux vénérable et distingué qui se presse à votre tête en ce jour remarquable, il semble que je devrais me taire, et que la parole, à ce moment de la fête qui nous réunit ici, appartiendrait à une bouche plus autorisée que la mienne. Nul plus que moi ne ressent mon insuffisance devant cette assemblée de l’élite de la nation acadienne, et je ne me serais jamais rendu à l’invitation qui m’a été adressée ces jours derniers seulement, sans les vives et pour ainsi dire irrésistibles instances de plusieurs amis auxquels je dois reconnaissance et déférence. Pris à l’improviste, l’instruction que je suis appelé à vous donner se ressentira inévitablement du manque de préparation; laissez-moi, seulement, donner libre cours aux sentiments dont mon cœur déborde en contemplant ce tabernacle, demeure de notre Dieu, en respirant cet air si fortement imprégné de patriotisme et de foi religieuse. C’est à l’ombre de la croix que le peuple acadien est né, qu’il a grandi et qu’il s’est développé, au milieu d’épreuves et d’infortunes, dont l’histoire n’offre guère d’exemple; ce qui a fait sa force dans le passé et qui la fait dans le présent, le fera dans l’avenir; c’est par la croix qu’il parviendra à la grandeur et remplira la mission que Dieu lui a indubitablement réservée. Lorsque nos pères quittèrent notre ancienne mère patrie, que la colonie acadienne se détacha de ce beau et graduel pays, la France, pour établir la civilisation sur ce coin du nouveau monde, le plus grand trésor qu’ils apportèrent avec eux,–trésor qui devait être leur bouclier dans des luttes inégales,–fut la foi, une foi vive et ardente, qu’ils gardèrent profondément gravée dans leur cœur. Ce fut le flambeau qui les dirigea et les soutint à travers les déserts et les difficultés sans nombre qu’ils rencontrèrent sur leur route; ce fut l’[illisible] qui les sauva du déluge de persécutions qu’ils durent à endurer; ce fut la manne qui les nourrit et les fortifia dans les fléaux et les calamités sans parallèle qui ont marqué les pages les plus mémorables de l’histoire de ce pays. Leurs frères séparés comprirent le lien qui les rattachait à l’église, et lorsqu’ils voulurent les bannir, les faire disparaître, pour s’emparer de leurs biens, ils eurent recours à la ruse en les appelant du haut du clocher paroissial. C’était, on le savait, le meilleur moyen, de réunir qu’on voulait perdre. Vous savez ce qui arriva. On procéda de suite à leur exil, séparant l’époux de l’épouse, l’enfant de la mère, on les embarqua sur divers bâtiments et on les dispersa aux quatre coins de l’Amérique. C’est alors que la foi vint à leur secours, releva leur courage. Ils se soumirent comme autrefois le saint homme Joben disait : que la volonté de Dieu soit faite, nous acceptons l’épreuve. Lorsqu’ils furent loin de leur cloché natal, privés de consolations spirituelles que leur avait jadis prodiguées leur grand conseiller, le missionnaire, c’est alors qu’ils comprirent tout l’étendue de leur malheur : ils prirent la résolution de revenir dans la patrie bien-aimée. Ici encore c’est la foi qui ramena ces exilés sur nos plages. La grande gloire de nos aïeux et de leurs descendants, c’est d’avoir conservé intacte la foi qu’ils tenaient de leur mère, la fille aînée de l’Eglise. La foi fut l’étoile qui les guida à travers les écueils d’une existence pénible et malheureuse; la sauvegarde qui les arracha à la mort nationale à laquelle les avaient voués d’implacables ennemis. Où trouve-t-on les héros et les chefs d’œuvres, sinon chez les nations attachées et fidèles à l’église. Toute nation qui s’écarte de la voie et perd la foi finit par décliner. Voyons la France. Tant qu’elle reste fidèle à ses traditions religieuses, tant qu’elle conserve son glorieux titre de fille aînée de l’Eglise, elle est la maîtresse du monde. Elle s’écarte du droit sentier, elle donne asile à l’infidélité, aussitôt elle tombe, elle est livrée aux horreurs de la révolution, c’est une nation déchue. Voyez les Canadiens-Français, dignes fils aussi de la vieille France. S’ils forment un peuple si remarquable, c’est qu’ils sont restés fidèles à leur foi et à l’Eglise. C’est ce qui fait leur force et leur gloire. Imitons nos ancêtres et suivons les exemples qui nous sont donnés par ces nations. Soyons avant tout enfants dévoués de l’Eglise, respectons toujours ses dogmes, soyons fidèles à nos traditions religieuses. Qu’il m’est doux de voir cette fête de notre peuple, qui sera un grand événement dans son histoire, commencer sous les auspices de la sainte religion, par un acte de foi solennel et public. Qu’il est consolant de voir cette multitude prosternée au pied de cet autel, autour duquel se pressent nos prêtres, nos hommes publics, nos instituteurs, notre peuple; le sang de l’auguste victime sera pour nous une bénédiction qui portera des fruits de vie. Puissions-nous, par le saint sacrifice, mériter et obtenir de conserver intacte et toujours vivace la foi de nos pères. En conservant la foi, nous conserverons également la langue française, dans laquelle nous avons appris à prier. Notre langue! précieux dépôt qui vient immédiatement après celui de la foi, qui en est couinte la garantie. Ne l’oublions jamais, qu’elle occupe la première place. Parlons-la dans nos familles, parlons-la au foyer, parlons-la toujours entre nous. Toutes les nationalités se font une gloire de garder leur langue et leurs coutumes. Dans les affaires et dans nos rapports avec nos voisins, parlons, s’il le faut, une langue qui n’est pas la nôtre. C’est une nécessité à laquelle il faut savoir se soumettre. Mais ailleurs, mais dans nos familles, mais dans nos réunions intimes, que la langue française soit la langue de nos entretiens, quand même nous la parlerions imparfaitement. Au congrès national de Montréal, un grand évêque, Mgr Laflèche, parlant de la nécessité de la conservation de la langue française, a dit qu’il aimait voir un Canadien parler mal l’Anglais. Pour un Français la langue est un lieu qui l’unit étroitement à la religion. Un grand moyen de conservation nationale et religieuse c’est d’observer avec toute la solennité possible la fête patronale des Acadiens–l’Assomption de la Très Sainte Vierge. Ne vous semble-t-il que Marie, qui est devenue notre patronne officielle, notre protectrice nationale, ait de tout temps veillé sur nous et préside à nos destinées. C’est à elle que nous avons recours dans les occasions difficiles, c’est elle que nous invoquons dans le danger : c’est elle sans doute qui nous a protégés et dirigés à bon port à travers les écueils et les périls auxquels notre peuple a été si longuement exposé. Redoublons d’amour et de filial attachement envers la reine du ciel, ayons confiance pleine et entière en notre puissante protectrice, mettons notre avenir entre ses mains, soyons fidèles à ses inspirations, et nous exécuterons sûrement les desseins de Dieu sur nous. Que chaque année le 15 août vous trouve au pied de l’autel de Marie; vous y compterez, vous y compterez vos forces, vous y resserrerez les liens qui vous unissent les uns aux autres; votre patriotisme, votre foi religieuse s’y réchaufferont au foyer le plus pur de l’amour pour la religion et la patrie. La sainte Vierge est la grande protectrice des nations fidèles à Dieu. Elle a sauvé la France; elle a maintes fois détourné le bras vengeur de son divin Fils levé sur le pays de nos ancêtres. Maintenant que nous nous sommes spécialement consacrés à elle, mis sous sa toute puissante protection, elle s’intéressera particulièrement à nous; si nous savons nous montrer dignes de ses faveurs, elle obtiendra de son divin Fils que le peuple acadien grandisse et prospère, qu’il avance et progresse dans les choses matérielles comme dans la foi religieuse. Adressons-nous à elle avec confiance dans tous les périls. Marie a manifesté sa protection à travers tous les siècles. Qu’elle soit désormais notre étoile, puisse-t-elle briller à nos yeux d’un éclat toujours grandissant. Qu’elle soit l’étoile qui conduise notre faible barque à travers les récits de la vie, qu’elle nous conduise, comme autrefois les bergers au berceau de l’éternité, au port du salut et nous y fasse jouir à jamais du bonheur céleste. On nous pardonnera volontiers de dévier du programme pour reproduire dès maintenant le rapport de la 4e commission, celle de l’agriculture. Voici les résolutions adoptées en comité, puis soumises en convention en séance solennelle et ratifiées par les délégués : RESOLUTION Attendu que l’agriculture a été notre sauvegarde dans le passé comme elle le sera dans l’avenir, il est Résolu qu’il est grandement désirable que les Acadiens attachent la plus grande importance à l’agriculture, s’efforçant d’améliorer leur mode de culture, évitent de diviser et subdiviser, morceller leurs terres de manière à ne pas exposer la jeunesse au découragement sur des morceaux de terre impropres à élever et à établir de nouvelles familles; 2e Que les personnes forcées par des circonstances incontrôlables d’abandonner leurs terres, s’efforcent de les transmettre à leurs propres compatriotes; 3e Que des sociétés d’agriculture soient établies dans chaque paroisse acadienne afin de contribuer à l’amélioration de la culture. Voici maintenant l’étude soumise par M. l’abbé M. F. Richard, curé de Saint-Louis, rapporteur de cette commission. L’agriculture est d’une importance si générale et si grande pour les Acadiens qu’il serait inutile ici d’attirer l’attention sur ce travail si élaboré. RAPPORT. Il a plu au comité d’organisation de cette belle et magnifique fête de m’imposer la charge de faire un rapport sur l’Agriculture. Je suis loin de me trouver froissé de ce que l’on m’ait assigné cette partie du programme. Je regrette cependant qu’un sujet aussi important n’ait été confié à d’autres mains, plus habiles et plus pratiques. Je dois déclarer que ma tâche est passablement difficile, puisque je viens à la suite de messieurs les rapporteurs sur l’Education et sur la Colonisation, qui ont sans doute déterminé notre jeunesse à se livrer corps et âme à acquérir la science et à se lancer dans les forêts vierges. Sans vouloir arrêter cet élan si désirable,–car personne plus que moi apprécie la nécessité de l’éducation primaire et commerciale pour la masse, et classique pour ceux qui ont les dispositions, ainsi que l’œuvre par excellence de la colonisation,–je dois cependant réclamer votre attention sur une autre profession non moins importante. Je prétends que sans l’agriculture bien entendue, l’éducation et la colonisation ne sont pas possibles. L’éducation est une chose nécessaire à l’avancement social et matériel des Acadiens; mais il faut que l’agriculture vienne en fournir les moyens. La colonisation, si digne de la considération et de l’encouragement de tout véritable patriote, ne saurait réussir sans l’agriculture. Donc, veuillez me permettre de placer l’agriculture en premier lieu en importance et en dignité. Il est bien compris que je ne prétends pas que l’agriculture doit passer avant la religion; pas plus que nos intérêts matériels ne doivent être mis en parallèle avec nos intérêts éternels. Toutefois, la religion doit à l’agriculture une dette de reconnaissance bien méritée, qu’elle a d’ailleurs toujours reconnue avec bonheur. Je viens donc défendre la cause du laboureur, de l’habitant des fermes. Je voudrais avoir l’éloquence d’un Routhier, d’un Tassé, ou d’un Thibault pour vous porter à chérir cette belle, sublime vocation et pour flétrir les préjugés que des hommes soi-disant savants et aristocrates ont dans leur foi orgueil, soulevés contre les véritables bienfaiteurs du pays. Je m’efforcerai de vous démontrer que l’agriculture a été pour les Acadiens leur salut dans le passé et qu’elle sera aussi leur salut dans l’avenir. C’est l’agriculture qui a sauvegardé notre religion, notre langue et nos coutumes, et c’est encore par les moyens fournis par l’agriculture que nous grandirons comme peuple et que nous remplirons les destinées providentielles sur nous. Les peuples comme les individus, ont leur destinée, leur mission : la nôtre c’est d’être cultivateurs. Quoique des hommes dans leur orgueil ont semblé vouloir considérer l’agriculture comme inférieure aux autres emplois, il sera toujours vrai de dire que l’agriculture a toujours été et sera toujours l’occupation la plus noble et la plus digne parce qu’elle est la plus conforme aux desseins de Dieu sur les hommes. Dieu est grand dans toutes ses œuvres; mais les beautés, les charmes de la nature semblent proclamer davantage la puissance et la bonté de son créateur. L’homme pas son travail perfectionne cette œuvre de Dieu, s’il m’est permis de m’exprimer ainsi, et elle devient entre les mains du roi de la terre l’instrument le plus noble pour accomplir ses desseins. Nos ancêtres avaient été choisis particulièrement pour ce genre d’emploi, et par conséquent les premiers colonisateurs de l’Acadie appartenaient à la classe la plus digne de la société française. Ils avaient compris la dignité et l’importance de la culture des champs et ont inspiré les mêmes sentiments à nos pères qui à leur tour, ont transmis ce précieux héritage à leur postérité. Visitez Port-Royal, Beaubassin, Grand-Pré, Beauséjour; vous y verrez des villes qui ont grandi sur leurs ruines; mais il y a là des monuments que la persécution n’a pas détruits et qui parlent hautement et éloquemment du courage, de l’énergie et de l’industrie agricole des premiers fondateurs du pays. En s’emparant du sol ils ont planté la croix, emblème du salut et du sacrifice. Le premier édifice fut un temple érigé à la gloire du Seigneur où s’assemblaient les nouveaux colons pour remercier et prier. Au milieu de ce nouveau paradis terrestre régnait la paix, la tranquillité, l’innocence. Le cultivateur partageait ses affections entre l’église, sa famille et son champ. Le jour du Seigneur seul le décidait à laisser sa maison et son champ. Aussi la religion régnait en maîtresse dans tous les cœurs; l’église et le prêtre partageaient chaque année dans ses récoltes, ce qui était pour lui la plus douce satisfaction. L’agriculture, après la dispersion de 1755, a encore été le salut des Acadiens, habitués à la culture. Nos ancêtres, exilés, au lieu de se rendre dans les villes et les chantiers pour y trouver la subsistance, s’enfoncent de nouveau dans les forêts, défrichent de nouvelles terres, forment de nouvelles paroisses, bâtissent de nouvelles églises, élèvent de nouveau l’étendard de la croix, et que voyons-nous aujourd’hui? Parcourez les provinces, visitez le Nouveau-Brunswick, allez faire un tour dans le comté du Madawaska, de Westmorland, de Kent, de Northumberland, de Gloucester, et de Restigouche, et vous serez étonnés d’y voir de nombreuses paroisses agricoles florissantes et prospères. Visitez la Nouvelle-Ecosse et le Cap-Breton, spécialement la baie Sainte-Marie, et là encore l’agriculture est considérée et pratiquée comme elle le mérite. Et jetons un regard sur cette belle et magnifique paroisse, et visitons les paroisses environnantes, Tignish, Rustico, Mont Carmel, Saint Jacques, etc., nous sommes émerveillés d’y voir tant de progrès et de prospérité. Au milieu de ces diverses paroisses, quel est l’objet qui attire d’abord notre attention? toujours et invariablement c’est la croix du clocher qui surmonte une église. C’est elle qui occupe le plus beau site, la position la plus élevée, et l’étranger est forcé d’admettre et dire que les Acadiens sont vraiment religieux et que leurs églises sont toujours d’une beauté et d’une élégance supérieures, et c’est vrai. L’agriculture a conservé notre religion, elle a aussi conservé notre langue, la langue de nos pères, la belle langue française. Lorsque nos ancêtres furent si cruellement et si lâchement chassés de leurs foyers et dispersés aux quatre vents du ciel, il semble qu’il ne restait d’autre alternative que de se confondre avec les autres races, de se familiariser avec leurs langues et leurs coutumes et ne former qu’un même peuple, qu’une seule nation. Cependant la prédilection des Acadiens pour l’agriculture les a portés à se former en groupes, éloignés des grands centres, et ils se livrèrent à la culture. Ce cette manière ils ont formé de nouvelles colonies, de nouvelles paroisses, et par-là ils ont conservé leur langue et leurs coutumes, tellement que les Acadiens aujourd’hui parlent le français aussi universellement et aussi correctement que du temps de la fondation de la colonie. Pourtant ils étaient entourés par des races ne parlant que l’anglais; le commerce était entre les mains des étrangers, et malgré tout, ils sont restés français par la langue et par les mœurs. Lors de l’expatriation, on pensait avoir anéanti le nom acadien. Après les avoir exploités on a changé les noms des places qu’ils avaient habitées afin qu’il n’en resta aucun souvenir : car le nom acadien sera toujours un reproche pour ses persécuteurs. Toutefois, ce petit peuple existe encore; il vit de la vie de la foi catholique. Il existe comme peuple français, dans une colonie anglaise et il prétend vivre encore d’après ses traditions et prendre sa place légitime parmi les autres races qui l’entourent. Maintenant il me reste à vous démontrer que l’agriculture qui a été notre salut national dans le passé le sera encore dans l’avenir. L’agriculture est l’unique appui de la religion, de la colonisation et de l’éducation. Sans l’agriculture elles sont destinées à végéter ou à périr. Je l’ai déjà dit, c’est l’agriculture qui soutient la religion, qui construit les églises et qui entretient le clergé; ôtez l’agriculture et la religion est perdue pour nous. C’est elle qui doit contribuer à l’établissement et au soutien de nos maisons d’éducation et qui pourvoira à l’éducation de nos jeunes lévitent qui se destinent au sacerdoce. C’est elle qui soutient nos couvents; je ne dirai pas nos collèges parce que nous n’avons pas l’avantage de d’en posséder dans l’intention de la population acadienne, à l’exception du collège Saint Joseph de Memramcook. C’est elle, en un mot, qui met à l’abri notre foi et nos intérêts religieux. C’est encore l’agriculture qui devra conserver notre langue et nos traditions. Un bien petit nombre de notre jeunesse, vue les difficultés à surmonter, peuvent se procurer une éducation française; il résulte de là que c’est dans la famille que la langue doit être conservée. Or, dans les villages, dans les chantiers, on n’y parle que l’anglais; il s’ensuit donc que c’est à la campagne chez le cultivateur indépendant et maître de son terrain, que cet héritage précieux doit être conservé. Qui est-ce qui n’a pas admiré la franchise, la candeur, l’honnêteté, la simplicité, l’industrie, et le dévouement de nos cultivateurs acadiens? Qui est-ce qui n’a pas éprouvé sa bienveillance, sa politesse, son hospitalité proverbiale? Eh bien, je dirai, après un orateur distingué du Canada parlant du cultivateur canadien : « Le véritable type canadien ce n’est pas moi, c’est lui. » Oui, le véritable Acadien, l’Acadien de mérite et le véritable bienfaiteur de l’Acadie, a toujours été le cultivateur et il le sera toujours. Donc, braves et courageux cultivateurs, soyez fiers de votre position, elle est noble, elle est digne. Ne rougissez pas de tout votre visage, ni de vos mains rondes et usées par la hache, la pioche, la faulx ou la charrue. Sous ces dehors, que la classe instruite ou qui prétend l’être, regarde avec mépris ou dédain, on trouve les vrais patriotes, les vrais citoyens, les vrais chrétiens. Aimez votre condition, elle est digne des plus beaux génies, des hommes les plus distingués. Attachez-vous au sol qui vous a vu naître et qui vous a nourris. Respectez ces terres arrosées par les sueurs et le sang de nos pères. Conservez religieusement et scrupuleusement le patrimoine qui vous a été légué par nos aïeux. Améliorez vos terres, faites les produire davantage par des améliorations que l’expérience nous dit d’adopter. Apprenez à vos enfants à bien cultiver, cultiver avec intelligence et discernement. S’ils voient que leur travail est récompensé, et il l’est toujours sur une terre bien cultivée, ils s’attacheront à la culture du sol et vous n’aurez pas de douleur de les voir s’expatrier, au lieu de les voir vivre et mourir à l’ombre de l’église paroissiale. Ne divisez, ne subdivisez pas des terres à peine suffisantes pour élever et entretenir une seule famille, en quatre ou cinq portions. Que le père adopte le plan suivi dans ma propre paroisse natale, paroisse de Saint-Louis, c’est-à-dire que la vieille terre fournisse les moyens pour coloniser, acheter et défrichir de nouvelles terres qui seront une véritablement acquisition pour l’avenir, et par là établir la famille. Dans mes colonies de Rogersville et d’Acadieville, j’ai eu le plaisir de rencontrer plusieurs de mes compatriotes de l’Ile Saint-Jean; mais j’ai remarqué que c’était généralement des familles entières. Où sont nos jeunes gens? Pourquoi ne viennent-ils pas sur la grande terre s’emparer du terrain qui les attend? Les uns disent que c’est par le manque de courage, d’autres parce que la navigation, la pêche, etc., sont plus avantageuses. Quant à la première raison, je n’aime pas à l’entretenir, et croire que les Acadiens d’aujourd’hui sont trop peu courageux pour suivre l’exemple de leurs pères, qui ont été d’abord colonisateurs et qui sont maintenant de bons, d’intelligents cultivateurs. Tant qu’à la seconde, savoir que la navigation et la pêche sont préférables à l’agriculture, c’est faire injure à l’expérience des siècles et à l’intelligence ordinaire que de vouloir placer l’agriculture à ce degré d’infériorité. Si j’ai l’honneur de posséder votre confiance et d’être considéré votre véritable ami, et j’ambitionne cette faveur, laissez-moi vous engager fortement à vous attacher à la culture du sol. Emparez-vous de ces terres encore vierges, elles vous appartiennent comme premiers possesseurs de pays; elles vous sont offertes comme citoyens et sujets britanniques. Le drapeau qui nous abrite vous garantit la possession de vos propriétés, et par conséquent ne pas en profiter c’est manquer de patriotisme, c’est ne pas être vrai Acadien. En terminant, laissez-moi vous signaler trois grands obstacles au succès dans l’agriculture. Le premier, c’est un certain système routinier qui rend la culture ingrate et décourageante; c’est parce que l’on n’aime pas assez cette occupation que l’on ne prend pas assez de soin pour l’améliorer. Le second c’est le luxe, c’est le penchant d’imiter la classe commerciale dans son mode de vivre. De là des dépenses au-delà de ses moyens, des dettes contractées, des hypothèques non rachetées, des propriétés gaspillées et perdues. Mais le principal, c’est une grande complaisance dans des choses qui ne sont pas nécessaires à la vie, l’excès dans l’usage du thé, du tabac, mais particulièrement dans l’intempérance. Chers compatriotes, laissez-moi vous engager, vous exhorter, vous supplier au nom de Dieu, au nom de l’Eglise, de la patrie, de la société et la famille, de vous tenir en garde contre ce terrible fléau. C’est sans contredit.