Seconde convention générale des Acadiens.

Année
1884
Mois
8
Jour
21
Titre de l'article
Seconde convention générale des Acadiens.
Auteur
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Page(s)
2
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Seconde convention générale des Acadiens. Beaucoup d’entraves d’abord; des obstacles imprévus et imprévoyables surgissent de partout; de sombres rumeurs venues de tout côté. Résultat : un succès complet. Les plus indifférents mêmes s’en sont revenus enthousiasmés, et ceux qui désespéraient de voir jamais la nationalité franco-acadienne se relever, ont senti en présence de tant de foi religieuse, de tant de vitalité, nationale, un rayon de céleste espérance se glisser dans leur âme. Disons que les oppositions du commencement ont puissamment aidé aux triomphes de la fin. Un bruit étrange, sinistre, avait couru par toute l’Acadie : on veut étouffer notre nationalité, dût notre Religion y périr ensuite. Le spectre avait décrit au front cette parole, qui ressemblait à une prophétie fatale : finis Acadie. La mère du crucifié, notre divine patronne, a effacé de sa main la lugubre inscription. L’Acadie français ne mourra pas! Ce n’est pas que les démonstrations extérieures, la politique, les bruits de la fête aient été considérables. Rien sous ce rapport là qui puisse rivaliser avec la grande Saint-Jean Baptiste de Montréal, ni même y être comparé. Ce n’était pas là notre ambition, au reste, puis cela n’était pas dans nos moyens. Nous allions à Miscouche non pas pour nous réjouir, comme il convient à ceux qui moissonnent, mais pour semer, pour travailler. La journée, qui a été fort belle, a commencé par le Saint-Sacrifice de la messe, célébrée en plein air, sous un dais d’arbres et de verdure, en présence d’environ cinq mille personnes. Un viril et saint prêtre, une des antiques colonnes de notre édifice national, M. l’abbé Chs. Boudreault, des Iles de la Madeleine, offrit le sacrifice, accompagné de M. l’abbé Stanislas Boudreau, curé de Saint-Jacques, sur l’Ile, et de M. Jean Hébert, curé de la nouvelle colonie acadienne de Saint Paul, au Nouveau-Brunwick, comme diacre et sous diacre. Le sermon, un bel et éloquent sermon, fut prêché par un jeune, le Révérend Père André Cormier, professeur au collège de Memramcook. Il convenait à la jeunesse, et surtout à un élève du seul collège français qui reste en Acadie, de faire entendre, au nom de la Religion, des paroles de consolation, et d’espérance, à ceux qui avaient tant besoin d’être consolés et raffermis dans leur espoir. Le reste de la journée, c’est-à-dire, toute l’après-midi, et la veillée jusqu’à onze heures, fut consacrée aux travaux de la Convention. Ces travaux, comme le lecteur ne l’ignore pas, avaient été confiés à cinq commissions. Tout le travail des commissions avait été fait la veille et l’avant veille de la Convention, les délégués de toutes les paroisses Acadiennes s’étant, à cette fin, rendus d’avance à Miscouche; de sorte qu’il ne restait plus, le 13, qu’à discuter les rapports et à les adopter, s’il y avait lieu. Conjointement avec le fait d’avoir réussi, en dépit de l’opposition, à tenir la Convention, les travaux des cinq commissions, ratifiés par toute l’assemblée, constituent le succès réel, pratique de la grande démonstration du 15 août. D’abord il a été décidé d’enrayer le mouvement d’émigration aux Etats-Unis, en détournant le courant des émigrants du côté des terres vacantes du Nouveau-Brunswick. A cet effet, une société de colonisation, avec M. l’abbé M. F. Richard, fondateur du collège Saint Louis, pour président, a été formée. Il faut des fonds, du zèle et de l’éloquence pour induire le surplus de population des paroisses acadiennes–de l’Ile surtout–à venir prendre des terres neuves. M. Richard a le zèle et l’éloquence et il ne tardera pas à avoir des fonds. Déjà, séance étonnante, il donna lecture d’une lettre de M. l’abbé E. Biron, de Paris, encourageant fortement la colonisation et contenant un chèque de 500 francs. M. Biron est l’ancien directeur du collège Saint-Louis. N’ayant plus le privilège de se consacrer, avec ses revenus, à l’éducation française des Acadiens, il dut s’en retourner en France. Mais son exil ne saurait diminuer sa charité pour nous; et les 500 francs de cette année ne sont pas sa première offrande en faveur de la colonisation acadienne. Les secondes résolutions se rattachent à la langue et à l’éducation françaises. La convention adopta, entre autres propositions, les conclusions d’une adresse au gouvernement de l’Ile demandant que l’enseignement de la langue française, dans les districts scolaires français, soit mis sur le même pied que l’enseignement de la langue anglaise, que les professeurs reçoivent pour l’enseignement du français les mêmes rémunérations pécuniaires et avancements que pour l’enseignement de l’anglais, et que l’inspection des écoles se fasse en français comme en anglais dans les localités françaises. Pour la propagation de la langue, qui se perd considérablement, surtout sur l’Ile et à la Nouvelle-Ecosse, une société dite de La ligue française fut organisée avec Sir Hector Langevin pour président honoraire et le Très Révérend Père C. Lefebvre pour président actif, M. l’abbé E. Biron, Paris, pour vice président honoraire, et M. l’abbé Chiasson, D. D., pour vice président actif, l’honorable P. A. Landry, M. P., pour trésorier, M. E. Gerbié, France, pour secrétaire honoraire, et M. Pascal Poirier, pour secrétaire actif. En autant qu’il sera possible, des sociétés paroissiales s’organiseront, et se tiendront en rapport avec la société générale. Celle-ci, au reste, désire se rattacher à une société du même nom, récemment formée en France, dans un but analogue. Quant à la nomination de Sir Hector Langevin comme président honoraire, M. le Président déclara qu’il n’y avait là aucune préférence politique : Sir Hector est un des chefs les plus puissants, les plus éminents de la nationalité canadienne et un ami particulier et très sincère de notre race; c’est à ce double titre, et à nul autre, que nous désirons le voir à notre tête, dans une question de cette nature. Des résolutions très importantes sur l’agriculture et l’industrie furent ensuite passées, puis le rapport de la troisième commission, sous la direction de M. l’abbé S. Doucet, curé de Poquemouche et du Révd. Père A. Cormier, fut confirmé au milieu des vivats universels et avec un enthousiasme délirant : le drapeau tricolore, c’est-à-dire le drapeau de la France, est désormais le drapeau national de l’Acadie française, comme il est le drapeau des Canadiens-Français, comme il est le drapeau de tous les Français du monde. Pour marque distinctive de notre nationalité acadienne : une Etoile dans la partie bleue du drapeau, l’étoile de l’Assomption. Notre air national est le Ave Maris Stella du chant grégorien, avec des paroles françaises. La scène qui accompagna l’adoption du drapeau et le chant de l’Ave Maris Stella était solennelle et touchante : un grand nombre pleuraient. C’est qu’au lieu de la mort nationale, le peuple acadien saluait dans son drapeau l’emblème de la vie nationale, se levant sur lui pour la première fois depuis 1713. Parmi les évènements de la convention il faut nommer trois dépêches venues de la Baie Sainte Marie, Nouvelle-Ecosse, et signées, au nom de leurs paroisses respectives, par les principaux citoyens de Meteghan, de Saulnierville, de la Pointe de l’Eglise, de Grosses Coques, et de l’anse des Belliveau. Dépêches d’encouragement et de confraternité. Des vivats! des hourahs! des vives nos frères de la Nouvelle-Ecosse! les accueillirent. Il fut aussi donné trois hourahs! pour nos frères les Canadiens-français, à la suite de la lecture d’une dépêche de Sir Hector, trois hourahs! pour la France, trois pour Sa Sainteté Léon XIII, trois pour la reine Victoria, trois pour sa Grandeur Mgr Melntyre, évêque de l’Ile, trois pour le Révd Père Lefebvre et le collège de Memramcook, et trois pour le curé, les Religieuses et les paroissiens de Miscouche. M. l’abbé Nazaire Boudreault, curé de Miscouche, les Révérendes dames de la Congrégation et les paroissiens de Miscouche ont fait les choses princièrement, avec autant d’intelligence que de générosité : ils avaient droit à cette ovation. Parmi les orateurs mentionnons les noms du président général de la Convention, l’honorable P. A. Landry, qui fit deux discours éloquents l’un en anglais, l’autre en français; M. l’abbé M. F. Richard, l’énergique curé de Saint Louis, un des plus forts appuis de notre nationalité et l’un des plus puissants orateurs du Dominion; M. Pascal Poirier, d’Ottawa, qui improvisa à la dernière séance de la convention, un discours dont l’éloquence fit frémir l’auditoire d’émotion; M. F. Gerbie, qui parla au nom de la France devant un auditoire ému jusqu’aux larmes d’entendre des nouvelles de la vieille mère patrie; le Révd Père André Cormier, le prédicateur du jour, qui parmi les exhortations religieuses données au nom de l’Eglise, nous a dit cette parole mémorable : dans votre marche vers le progrès ne perdez jamais de vue vos concitoyens d’origine étrangère, et faites en sorte qu’eux non plus ne vous perdent pas de vue; l’honorable J. O. Arsenault, membre du Cabinet de l’Ile, qui parla au nom de sa province et son cabinet; M. Olivier LeBlanc, M. P. P., le sympathique député de Kent N. B., M. N. A. Landry, jeune avocat de talent et d’avenir, qui parla au nom du beau comté français de Gloucester, N. B.; M. Phillipe Belliveau, ecclésiastique, un orateur futur dont il sera parlé; M. Antoine Girouard, shérif de Richibouctou; M. le Docteur Fidèle Gaudet de Meteghan, au nom des Acadiens de la Baie Sainte-Marie, N-E; M. Auguste Renaud, ex député aux Communes; M. Wilfred Haché, secrétaire de la convention, en remplacement de M. Gilbert Girouard, absent; M. Jean O. Arsenault, un avocat de la Tempérance; M. Edouard Girouard, avocat de Moncton; et M. Michel Savoye, colon d’Acadieville; M. Gallant de Rustico, et M. Robidoux du Moniteur. La prochaine convention générale des Acadiens se tiendra à la Nouvelle-Ecosse, à l’endroit et à la date choisis par le comité exécutif.