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Année
1881
Mois
11
Jour
17
Titre de l'article
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Auteur
Juaentas
Page(s)
2
Type d'article
Langue
Contenu de l'article
(Pour le Moniteur Acadien) M. le Rédacteur, J’ose aujourd’hui réclamer un court espace dans les colonnes de votre estimable journal afin d’émettre quelques idées qui ont pour but, si elles sont réalisées, d’accélérer davantage la marche de l’instruction parmi nous. Je ne m’arrêterai pas, Monsieur le Rédacteur, à démontrer les nombreux avantages de l’instruction car ils sont suffisamment connus de tous les Acadiens en général, et de vos intelligents lecteurs en particulier, à preuve les nombreux sacrifices qu’ils s’imposent chaque jour pour se les approprier; je craindrais de plus s’abuser de votre bienveillante indulgence. Je veux seulement soumettre à la considération des lecteurs du Moniteur une suggestion qui me semble propre à stimuler notre avancement tant moral qu’intellectuel. Depuis quelques années il est question dans certaines paroisses d’établir des associations littéraires où la jeunesse laborieuse et intelligente de ces localités aurait pu acquérir de vastes connaissances sans préjudices d’argent et de temps. Mais soit le manque d’initiative nécessaire, soit antipathie de la part de quelques uns, cette pensée toute patriotique n’a encore reçu presque aucun développement, c’est là l’idée, Monsieur le Rédacteur, dont j’ose me faire l’humble interprète et cela malgré ma jeunesse et mon inexpérience. Nous voyons dans nos villes et même dans nos campagnes, un certain nombre de jeunes gens possédant le degré suffisant d’instruction pour remplir des emplois plus ou moins lucratifs, demeurer dans un déplorable statu quo sans aucune autre perspective d’avenir; d’autres moins fortunés encore végètent sans pouvoir utiliser les quelques notions d’arithmétique, d’histoire ou de littérature qu’ils ont pu s’approprier. Une fois sortis de l’établissement qui leur a procuré les quelques avantages sur lesquels ils comptaient pour se créer une honnête position mais qui étaient insuffisants, ils relèguent dans l’oubli les livres où ils pourraient encore puiser comme à une source intarissable des connaissances variées et étendues. Or, si l’on étudie attentivement les causes de cette déplorable négligence, l’on ne peut rejeter tout le blâme sur ces infortunés jeunes gens, mais l’on doit accuser aussi le défaut d’encouragement que rencontre dans nos paroisses la jeunesse instruite. Livrés à leurs propres ressources, ne recevant aucun appui de ceux qui par leur position ou par leur nombre pourraient leur être de quelques secours, ils perdent courage dès qu’ils veulent s’élever, en essayant de se créer une position quelconque. Certainement qu’il s’en trouve dont la seule négligence est la cause de leur peu de succès et ceux-ci méritent censure; si toutefois la majorité des habitants de nos paroisses de qui dépend le résultat de toute entreprise de ce genre, s’intéressait davantage à l’avancement de l’instruction parmi la jeunesse, nul doute que l’on verrait s’effectuer une heureuse réaction dans la situation présente. Le remède le plus efficace à ce mal repose, il me semble, dans l’établissement de bibliothèques paroissiales composées d’ouvrages choisis, propres tout à la fois à instruire et à plaire et la fondation de certaines sociétés où chacun pourrait mettre à profit pour lui-même et pour autrui les quelques connaissances qu’il aurait puisées dans ces ouvrages. Ceux auxquels le manque d’instruction suffisante ou toute autre raison ne permettrait pas de profiter directement de ces avantages pourraient également s’instruire en assistant aux séances publiques données par l’association et dans le cours desquelles seraient traités des sujets d’un intérêt primordial. Pour nous encourager dans cette voie, nous n’avons qu’à constater les progrès qu’ont réalisés et que réalisent encore nos frères les Canadiens pas le moyen de ces sociétés paroissiales. Si aujourd’hui ils comptent dans leurs rangs une phalange serrée et brillante d’écrivains érudits et distingués, s’ils possèdent comme propriété nationale un répertoire aussi vaste et va rié d’ouvrages de tout genre, ce succès est dû en partie à l’encouragement qu’a reçu de ma masse du peuple la jeunesse instruite et qui lui a valu l’érection de ces sociétés littéraires que l’on rencontre dans la plupart des paroisses. Elle s’est consultée cette jeunesse énergique, elle s’est ralliée et forte de l’appui du peuple, elle a érigé ces monuments littéraires qui subsisteront pour redire aux générations futures ce qu’ont fait pour la patrie leurs prédécesseurs. Ce que nos frères du St. Laurent ont fait, ne pourrions-nous pas nous aussi l’effectuer? N’avons-nous pas autant d’intelligence et d’énergie que nos frères de là-bas et même que nos voisins d’origine étrangère qui doivent aussi leurs succès littéraires aux bénéfices retirés de semblables associations? Oui, nous possédons nous aussi cette énergie morale, cette intelligence élevée et ce savoir-faire qui impriment à leurs travaux un cachet tout particulier. Les fils de Cartier et de Champlain ont devancé de beaucoup, il est vrai, les fils de Poutrincourt et de d’Aulnay, mais ceci est dû au concours de circonstances exceptionnelles et malheureuses auxquelles ceux-ci ont dû se soumettre. Donc, si les mêmes causes produisent les mêmes effets, en établissant parmi nous ces associations sous le patronage et l’appui de tous les vrais Acadiens, nous pouvons nous attendre à une réaction importante dans l’extension de l’instruction de nos paroisses. Mais pour arriver à un tel résultat, il nous faut de l’esprit d’initiative et nous avons droit de l’attendre de la classe influente et instruite de la population; au clergé dont le zèle et le dévouement ne connaissent pas de bornes lorsqu’il s’agit du bien-être intellectuel et moral des paroisses, à nos hommes de profession qui en de telles occasions ont toujours fait preuve d’un patriotisme éclairé, incombe le devoir de prendre l’initiative dans cette œuvre et d’encourager nos jeunes gens dans cette voie. J’émets ces considérations, M. le rédacteur, dans l’intérêt de la jeunesse et j’espère qu’elles recevront de vos nombreux lecteurs, l’attention qu’elles méritent. Vous remerciant, M. le rédacteur, du long espace que vous avez bien voulu m’accorder, je demeure votre tout dévoué, etc. JUAENTAS.