Discours de M. Pascal Poirier au congres national de Montreal

Année
1884
Mois
7
Jour
17
Titre de l'article
Discours de M. Pascal Poirier au congres national de Montreal
Auteur
-------
Page(s)
2
Type d'article
Langue
Contenu de l'article
DISCOURS DE M. PASCAL POIRIER au congrès national de Montréal. Suite. Nous avons vu l’effectif et les positions : faisons maintenant la revue des armes de combat, puis pour terminer, nous examinerons quelles sont les dispositions morales des soldats et des officiers. Nous existons encore! Ce qui veut dire que rien d’humain–ou d’inhumain–n’empêchera désormais que nous ne vivions jusqu’au bout notre vie [illisible]. L’arme de notre salut, celle qui nous a sauvé par le passé et qui sera notre sauvegarde pour l’avenir, c’est notre caractère français, nos traditions acadiennes et notre religion, toutes chose que nous conservons comme étant ce que nous avons de plus précieux ici-bas. C’est à l’efficacité de nos armes que nous devons d’avoir mille fois repoussé la mort nationale qui nous envahissait sous toutes les formes, écrasement; dispersion, assujettissement, pauvreté, mépris, misère et [illisible] inouïs. Cela a été pour nous la parole disant aux sœurs de Lazare : Votre frère n’est qu’endormant; et à celui-ci : Lève-toi du tombeau! Longtemps on nous a cru morts attendu que nous ne donnons plus de signe de vie; mais nous aussi nous n’étions qu’endormis; nous aussi nous avions un ami qui veillait sur notre sommeil d’agonie, ou de trépas, si vous le préférez; et voici que nous nous levons, encore affaiblis et tout couverts de poussière du tombeau, mais vivants, cependant, et d’autant plus déterminés à vivre que nous avons vu la mort de plus près, et témoignant en même temps aux nations de la [illisible] de la race française et de cette vérité : c’est qu’un peuple qui s’appuie sur Dieu ne meurs pas. Ce retour à la vie ne date que de vingt ans, à la fondation du collège de Memramcook par l’un des vôtres, lequel est aussi devenu le premier d’entre les nôtres, le révérend Père Lefebvre. Nous n’étions rien alors civilement ou politiquement, n’occupant aucunes positions officielles même des plus humbles, n’ayant, sauf une ou deux exceptions, aucun prêtre de notre race, pas un seul avocat, pas un médecin, pas d’instituteurs compétents ni d’institutrices, pas de commerçants ni d’industriels, et n’ambitionnant rien de ces choses là parce que nous ne songions pas que rien de cela eut été fait pour nous. Satisfaits qu’on nous laissât vivre sans nous enlever le peu que nous possédions, nous ne demandions qu’à être ignorés, et qu’on nous laissât cueillir en paix les moissons que le bon Dieu nous donnait comme à nos voisins, et jouir, de la lumière de son soleil qu’il ne nous refusait pas. Aujourd’hui nous ne sommes certes pas au bout de la carrière, mais quelle distance nous avons franchie! Nous avons des avocats et des médecins; un nombre assez considérable de prêtres et de religieux; des instituteurs et des institutrices, avec un département français à l’école normale; chaque centre acadien a ses marchands acadiens; nos cultivateurs commencent à travailler leurs terres avec plus d’intelligence, ayant plus de lumières; nous avons quelques fonctionnaires publics à Ottawa et au pays; nous avons un conseiller, l’honorable M. A. D. Richard, à la chambre haute du Nouveau-Brunswick et un autre l’honorable monsieur Boudreau, vient de mourir à la Nouvelle-Ecosse; nous avons un ministre dans le cabinet de Charlottetown, l’honorable M. Jos. O. Arsenault, et un autre, l’honorable M. Leblanc, à Halifax; et nous avons à Ottawa un représentant qui, quoique français, et chef politique de sa nationalité, est reconnu par les anglais eux-mêmes pour l’un des premiers leaders du Nouveau-Brunswick, j’ai nommé l’honorable Pierre. A. Landry. Pour vous donner une meilleure idée du progrès universel que nous avons fait dans très peu d’années, il me suffira de vous dire qu’à la chute du gouvernement de King-Fraser en 1878 et à la formation du cabinet Fraser-Landry, tout le monde disait, même des Acadiens, qu’un gouvernement à Frédéricton n’était pas viable avec un Acadien en conseil. Nous sortions alors de la tourmente du bill des écoles. Cependant, M. Landry est entré comme commissaire des travaux publics, c’est-à-dire avec le portefeuille donnant le plus de patronage, puis il a été nommé secrétaire provincial, ce qui comprend l’administration des finances et est considéré le portefeuille le plus important, et à sa sortie du cabinet pour venir à Ottawa, on disait partout dans les cercles politiques qu’un ministre n’était pas viable sans un Acadien dedans. Ce renversement radical, dû en grande partie aux talents et à l’honorabilité de M. Landry, mais qui fait honneur aux Anglais de ma province, s’est opéré dans l’espace de cinq ans! Je vais ici commettre une indiscrétion. Comme je n’ai pas de donnée absolument officielle, tout en étant bien certain du fait que je puis sans trop d’indiscrétion être indiscret. Si par hasard j’avançais quelque chose qui ne fût pas absolument vrai, les intéressés, et ils ne sont pas loin d’ici, je crois, pourront me reprendre–Voici; c’est que lorsque l’honorable M. Fraser, aujourd’hui juge de la cour supérieure, s’est retiré du ministère, la place de premier ministre a été offerte à M. Landry. Il a refusé, ne croyant pas sa province mûre pour subir un premier ministre français. Si je l’osais, pour la première fois, je lui dirais ici qu’il a eu tort; parce que messieurs les Anglais sont avant tout des gens pratiques et que s’ils l’ont désigné, c’est qu’ils le reconnaissent comme le premier de leurs hommes politiques à Frédéricton, their very best man. Ces progrès que nous réalisons d’une manière remarquable, cette influence que nous commençons à acquérir, cette déférence que l’on croit maintenant pouvoir nous accorder sans trop déroger, tout cela se fait sentir non-seulement dans nos provinces d’en-bas, même ici au cœur du Canada–Déjà une preuve bien frappante que nous faisons du chemin, c’est qu’à votre grande célébration de 1874 il y eut ici comme hier soir, un banquet somptueux où toutes les gloires nationales, où toutes les personnes revêtues d’une autorité respectée, où toutes les nationalités amies, eurent leur toast, furent acclamées avec enthousiasme. Le tour des Acadiens, dûment représentés à la fête, arriva; mais nous étions inscrits, nous vos frères aînés–ou pour le moins contemporain sur ce continent, sous le titre de : Nationalités étrangères! Toutes les nationalités étrangères eurent leur toast à la fin du banquet, les Anglais d’abord, puis les Irlandais, puis les Écossais, puis les métis du Manitoba. Les Acadiens vinrent les derniers! Je ne rappelle pas cela pour en faire un reproche à qui que ce soit, mais pour constater un fait. La chose, au reste, avait été faite sans mauvaise intention, sans l’idée de blesser au cœur ni d’humilier personne, mais tout naturellement : les Acadiens étaient encore à cette date si complètement effacés! Hier au soir–sans que les organisateurs du banquet connussent probablement le fait que je viens de rapporter–les Acadiens occupaient la place qui leur revient, ils venaient immédiatement après nos frères des Etats-Unis et de l’Ontario, et ne portaient plus l’étiquette d’étrangers. N’avais-je pas raison de dire que nous faisons du chemin, même ici au centre du Canada? J’ai parlé tout à l’heure du collège de Memramcook et de son illustre fondateur et supérieur actuel, le révérend Père Lefebvre. Nous avions jusqu’à deux ans, un autre collège également florissant, qui fonctionnait depuis sept ou huit ans, formant des chrétiens éclairés et des patriotes ardents, un collège acadien en un mot, trop acadien, trop français, hélas! pour sa vitalité, le collège de Saint-Louis. M. l’abbé Richard, un des nôtres et peut-être le plus méritant des nôtres, en était le fondateur supérieur.–Ce collège fut fermé, il y a deux ans, dans des conditions trop pénibles et pour des motifs trop regrettables pour que je vous en fasse part, mesdames et messieurs. L’avenir est à Dieu et ceux qui persévèrent avec foi et humilité : inclinons-nous et espérons. Nous avons aussi un grand nombre de couvents fondés et dirigés par les excellentes sœurs de la Congrégation, sur l’ile Sainte-Jean, à la Nouvelle-Ecosse et au Nouveau-Brunswick ainsi que quelques autres couvents appartenant aux congrégations du Sacré-Cœur et des Sœurs de Charité. Puis nous avons des écoles laïques françaises au Nouveau-Brunswick dans presque toutes les paroisses acadiennes, avec un inspecteur français, M. Valentin Landry. Les écoles fonctionnent bien; et le bill des écoles dont il a été tant question, a finalement tourné à l’avantage des Acadiens, depuis qu’il a été rendu acceptable par le gouvernement local, c’est-à-dire depuis que NN. SS. les évêques l’ont accepté. Ainsi la jeunesse acadienne du N. B. a à peu près ce qu’il lui faut pour s’instruire dans sa langue maternelle et pour s’éclairer des lumières de la foi. La génération qui vient, si elle n’est pas plus française que celle qui s’en va, sera plus instruite, et possédera par la même des armes plus efficace pour combattre le combat national, maintenir les positions acquises et grandir la sphère de son action. Malheureusement les Acadiens de l’Ile du Prince Edouard et surtout ceux de la Nouvelle Ecosse sont moins favorisés sous le rapport de l’instruction française. Ils manquent pour la plupart, d’instituteurs et d’institutrices de leur langue, et les lois locales gênent entravent considérablement leur action. Les difficultés de ce côté sont graves et considérables; il faudra sans doute de rudes combats et de longues années pour les surmonter. Mais nous ne désespérons pas, avec beaucoup de patience et d’énergie, de réussir finalement, et il faut, sous peine de mort nationale, que nous réussissions; car notre arme de salut, le signe tout puissant par lequel nous avons vaincu, c’est la Religion; et le jour où nous aurons perdu– ce dont Dieu nous préserve–notre parler français et nos traditions acadiennes, notre foi sera en grand danger de périr. Le temps fixé pour la séance consacrée aux Canadiens des Etats-Unis et aux Acadiens ayant expiré, l’orateur ne crut pas devoir, quelque [illisible] de continuer, terminer le discours dont il avait tracé le cadre. Il lui restait pour compléter sa revue à développer la quatrième considération de la disposition des esprits en Acadie en ce qui regarde la province de Québec.