L’Instruction française à la Nouvelle Ecosse.

Année
1884
Mois
4
Jour
24
Titre de l'article
L’Instruction française à la Nouvelle Ecosse.
Auteur
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2
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L’Instruction française à la Nouvelle Ecosse. Ci-suit une traduction du discours prononcé en chambre par M. Henri Robicheau, député de Digby, sur la question des collèges. M. Robicheau se prononce carrément pour l’enseignement du français aux enfants acadiens, ce qui, loin d’exclure l’enseignement de l’anglais, le facilite. M. Robicheau semble se placer au véritable point de vue dans ce discours, et il est à espérer que le gouvernement néo-écossais, dans lequel siège l’hon. Isidore Leblanc, député de Richmond, reconnaîtra la justesse de ses appréciations et donnera suite aux idées émises par M. Robicheau et que semble partager l’hon. M. Leblanc. M. Robicheau–A propos de cette résolution, j’aimerais dire quelques mots sur l’instruction française et les écoles françaises. Et en le faisant, si je ne m’exprime pas comme je le devrais, cela prouvera le manque d’instruction parmi mes compatriotes. Les Acadiens-Français en cette province ont trois prêtres, mais pas un seul docteur, ni un seul avocat, ni un instituteur du grade B,–et, j’en demande pardon à mon honorable ami de Richmond (l’hon. I. Leblanc) pas un membre pour représenter les intérêts acadiens français comme ils devraient l’être dans cette législature. On pourrait dire que c’est notre faute, et j’admets que nous nous sommes négligés, mais en même temps je pense qu’ils ont été négligés. Si nous avons moins d’instruction que nos voisins, ce n’est pas que nous ayons moins d’aptitudes et d’intelligence. Et j’en réfère aux Acadiens-Français du comté de Yarmouth. Je crois que les habitants de Pubnico possèdent une aussi belle flotte de vaisseaux de pêche qu’il en existe dans la Nouvelle-Ecosse, et ces vaisseaux ont été construits, non pas par des ouvriers, mais par des pêcheurs. Et je crois pouvoir dire sans crainte d’être contredit que le crime est inconnu parmi eux, et que pas un d’eux n’a connu la prison. Non seulement ils se font honneur à eux-mêmes et à la population française du pays, mais ils sont un sujet d’orgueil pour les Anglais de Yarmouth. L’hon. commissaire des Travaux et des mines–Ecoutez, écoutez. M. Robicheau.–Je puis aussi référer aux Acadiens Français du comté de Digby, dont les artisans, je le dis hautement, ont bâti les trois quarts de la belle flotte de navires dont Yarmouth est si fier et qui portent le pavillon anglais dans les eaux de tout l’univers. Je crois que le plus grand navire qui soit maintenant en construction dans la Puissance, est bâti par un Acadien de ce comté. Je pourrais aussi référer aux Acadiens du comté de mon honorable ami, le comté de Richmond. Je les ai vus, comme capitaines de bâtiments, égaler les meilleurs capitaines du monde. Je ne crois pas que nous ayons eu, pour nous instruire, avantages de nos voisins. J’en appelle aux sommes accordées aux collèges, aux académies du comté. On pourra peut-être me dire que les Acadiens auraient pu envoyer leurs enfants à ces institutions, mais ils n’en avaient pas à leur portée, excepté dans le comté de Richmond. Depuis 1865, on a donné $142,390 aux collèges, $77,265 aux académies particulières, et $121,750 aux académies de comté,–soit $341,406 en tout. Ajoutons à cela neuf ans d’intérêt sur $153,637, la moyenne de la dépense couvrant plus de dix huit ans, et nous avons un total de $24,752.19 par année. Les Acadiens forment près d’un dixième de la population de la province, et leur part de cette somme serait de $2,475.21. Je ne dis pas que nous aurions droit à tout ce montant, et je n’amène pas cette affaire sur le tapis pour dire que nous n’avons rien reçu, mais on ne peut nier que nous n’avons reçu que fort peu. Je mets la chose devant la chambre pour montrer que les autres ont retiré plus d’avantages de cet argent que les Acadiens, et c’est là une raison pour laquelle les autres sont mieux instruits et plus avancés que nous. Je pourrais citer ici le rapport de l’inspecteur d’écoles de Digby pour cette année, pour montrer que les Acadiens ont besoin d’une meilleure classe d’instituteurs que ceux qu’ils ont maintenant. Ce monsieur dit : « Les Acadiens Français de ce district d’inspection méritent une mention honorable pour les efforts qu’ils font pour tenir leurs écoles en opération toute l’année. La rareté d’instituteurs régulièrement diplômés est une difficulté grave en rapport avec leurs écoles. Pour faire face à la demande, il faut souvent donner des permis limités à des personnes qui n’ont pas la compétence voulue. » Un bon nombre de gens prétendent que les Acadiens n’ont pas besoin d’une éducation française, que l’anglais est la langue qu’ils devraient apprendre, qu’ils se trouveraient mieux en apprenant l’anglais que le français. Un coup d’œil sur le comté de Richmond nous fera voir ce qui en est sous ce rapport. Il y a dix-huit ou dix-neuf ans, ils avaient une bonne école française à Arichat, mais on vint à croire un bon jour qu’il valait mieux apprendre l’anglais que le français, et les instituteurs français furent renvoyés. En 1865, il y avait six instituteurs et 182 élèves, dont douze apprenant la navigation. Que voyons-nous aujourd’hui? Dans cette même école, où l’on croit devoir instruire les enfants en anglais, il n’y a plus que trois instituteurs et 93 élèves, et la moyenne des enfants qui fréquentent l’école n’est que 41 en été et 44 en hiver. Dans le département avancé, la moyenne journalière est de cinq en été et de treize en hiver, et il n’y a pas un élève qui étudie la navigation ou le français. De 1871 à 1881, alors que dans toutes les écoles communes du comté, il n’y avait qu’un élève sur vingt quatre habitants qui étudiait le français, la population ne s’est accrue que de trois cinquièmes d’un pour cent. Après que l’école française à Arichat eût été abandonnée, le Père Girroir, qui jouissait de la sympathie de son peuple,–il était Acadien–s’en fut à Inverness, et là, mettant l’épaule à la roue, il fonda de belles écoles et enseigna aux enfants à rester dans leur patrie, à aimer leurs concitoyens, leur pays et leur drapeau. Aujourd’hui il y a un élève sur chaque six habitants qui étudie le français, et la population s’est accrue de 26 ½ pour cent en dix ans. Il me semble que ces chiffres vont à démontrer que l’instruction française est aussi avantageuse aux Acadiens que l’anglais. Et en parlant de la sorte, je ne veux pas être pris pour un adversaire de l’instruction anglaise pour les Acadiens, mais quand les enfants ne comprennent pas l’anglais, il est plus facile de les instruire dans leur propre langue d’abord, et ensuite de leur apprendre l’anglais. Dans le comté de Digby où il y a un élève sur chaque cinq habitants qui étudie le français, la population acadienne s’est accrue de 22 par cent en dix ans. Dans Yarmouth, où un élève sur onze habitants apprend le français, les Acadiens se sont accrus de 31 par cent, mais je crois que plusieurs familles de Digby sont allées s’établir dans Yarmouth. Il y a 41,600 Français dans la province, soit environ un dixième de la population. Il y a 3,000 de leurs enfants qui étudient le français et 5,186 qui étudient l’anglais, et les trois quarts de ces enfants ne peuvent pas parler un mot d’anglais, et l’instruction est perdue pour eux. Il y a environ 1,500 filles qui fréquentent les écoles. Je pense qu’il vaudrait infiniment mieux qu’elles fréquentassent des écoles françaises. Je ne pense pas qu’il y en ait beaucoup d’admises au barreau; une sur cent pourrait se faire institutrice; bien que mon honorable ami de Shelbourne leur donne le pouvoir de voter, je doute qu’aucune d’elles vienne à monter à la tribune. Je suis persuadée qu’il vaudrait mieux pour elles d’étudier la langue française, leur propre langue. Je fais ces remarques pour montrer que le gouvernement de ce pays devrait s’occuper de cette question. Je pense qu’on devrait faire quelque chose pour instruire 41,000 âmes de la population de cette province. Quelques uns croient qu’un instituteur français à l’école normale serait justement ce dont nous avons besoin. Si on ne peut faire mieux, je ne dis pas qu’il serait mal d’en avoir un; mais l’école normale n’est pas une école où l’on envoie les enfants, c’est pour apprendre aux enfants à enseigner. Si nous n’avons pas d’écoles françaises les enfants français ne pourront jamais être admis à l’école normale. Ce qui est nécessaire, ce sont des écoles avancées, telles que des académies, où le français et l’anglais seraient enseignés, où nos jeunes pourraient s’instruire à se préparer à l’école normale, ou à apprendre la navigation, ou faire un bon cours commercial; J’espère que le gouvernement étudiera nos besoins et fera l’année prochaine quelque chose pour nous permettre de monter au niveau des autres races. Au Nouveau-Brunswick, où il y a de bonnes écoles françaises, les Acadiens occupent une meilleure position qu’ici. Ils sont des prêtres, des avocats, des médecins, des instituteurs, de première classe, et des hommes pour les représenter dans la législature locale et dans la chambre des communes, qui leur font honneur, tandis qu’ici, dans la Nouvelle-Ecosse, ils n’ont même pas d’école du grade B ni d’instituteur du grade B. Je pourrais dire que nous avons de bonnes écoles pour nos filles, deux couvents dans le comté de Digby et deux couvents dans le comté de Yarmouth, qui font beaucoup de bien et instruisent nos filles comme elles devraient l’être; mais nous voulons les moyens d’instruire nos garçons. Je voudrais en voir de bien instruits venir ici, et les entendre revendiquer les intérêts des Acadiens, si Dieu me prête vie. (applaudissements.)