Fleurs Acadiennes

Journal
Année
1893
Mois
9
Jour
14
Titre de l'article
Fleurs Acadiennes
Auteur
Prof J. Lanob.
Page(s)
2
Type d'article
Langue
Contenu de l'article
FLEURS ACADIENNES. De toutes parts il est vent de réforme, de progrès de la langue et de purisme. En cela je vois énormément de bien; toutefois, sous prétexte de remanier un idiome, il faut prendre garde de proscrire certains dire que le goût ne condamne point et qui sont comme le cachet d’une race ou d’une province. La langue du peuple est la langue du terroir et les écrivains qui la calquent le plus fidèlement sont généralement les plus goûtés. Les bons vieux mots, avec leurs finales multiples et leurs syllabes condensées auront toujours sur nos termes d’hier l’avantage de la logique populaire et de la brièveté dans la sonorité. Le génie des lettres n’est pas dans la découverte de mots nouveaux, mais dans le tour de main qui les accouple, la finesse de l’ouïe qui les harmonise, le coup d’œil qui les encadre et le sens supérieur qu’ils présentent parmi cette richesse d’imprévu, de musique, de peinture et d’idéal. Encore que beaucoup de vieux mots ne soient pas à enterrer, d'autres sentent le moisi toutefois et un peu de maquillage les ferait peut-être de notre temps; mais, ce que nous ne devons jamais permettre, c'est l’envahissement de notre vocabulaire français par des mots d’anglais à peine déguisés. Je serai bon sire—Je n’appelle bâtards que les mots d’origine saxonne auxquels le peuple accole une queue gauloise; ils n’ont aucune origine, aucun baptême. Acquérir les formes actuelles de la langue sans oublier le vieux langage si expressif et si juste souvent, accepter les mots étrangers qui sont passés chez nous sans déguisement par besoin ou convenance, mettre à la porte les monstres de l’ignorance et du mauvais goût, voilà ce que j’appellerais une œuvre saine. Je n’entreprends pas un ouvrage de linguistique, mais j’ai noté deçà, delà, de vieilles expressions acadiennes qu’il me semble parfois entendre encore dans les campagnes de France. Certains en rient et s’en moquent. En cela ils prouvent combien est borné leur savoir et médiocre leur esprit. Les Canadiens même se pincent les lèvres d'un petit air satisfait quand ils ont décroché une belle phrase acadienne. A ce propos j’ai été témoin d’un duel à la langue entre gens des campagnes canadiennes et acadiennes. —Toi, Canadien, qu’est-ce que cela veut dire— Je me suis affourché sur le travail, j'ai pris la lambine, je lui ai fessé sur la roustine et fait lever le gabarot.— Ah! Ah! Eh bien, tout bonnement, ceci signifie : “Je me suis solidement planté, jambes écartées, sur les timons de la voiture, j’ai pris le fouet, je lui en ai cinglé la croupe et fait lever….. la queue. A part “affourché” qui est vieux et familier et "fessé” dont je ne puis dire que la même chose, les autres mots roustine, lambine et gabarot sont de pure fantaisie. Primitivement “fesser” équivalait à donner le fouet : Je sais que pour un sou…….. Vous vous feriez fesser sur la place publique. (REGNARD) Affourcher n’est mentionné dans les dictionnaires ordinaires que comme terme de marine, mais au XVIIème siècle, il avait un autre sens courant, presque celui des Canadiens : Et moi, d’un saut léger et prompt, j’affourchai la quinteuse croupe d’un des beaux mulets de la troupe (Dufr.) Mais parlons des Acadiens, puisque c’est mon but. Vous ne vous étonnerez pas, en entrant dans une maison, que la maîtresse d’océans vous prie d'excuser le négligé de sa toilette parce qu’elle sort au tect des poules. Tect : ainsi que : toit : vient du latin tectum et signifie abri, étable. Tect est un vieux mot français qui s’emploie encore en quelques départements de France dans la même acception qu’en Acadie. Bré-poix, ne se trouve nulle part, sinon dans un antique lexique du commencement du siècle dernier. Avant cette époque—bré—avait cours comme aujourd’hui chez les Acadiens de certains centres. Ainsi, ils trempent des cordes dans la bré. Même bré a des composée. Embresner, embrener semble venir delà; à moins que le mot celtique : bran : ne le revendique. Bran veut dire sale et déchets; embrener, avec les compléments qu’y ajoutent les bonnes gens du pays, fait clairement entendre aurai que l’on s’est sali. Vous êtes invité à coucher dans une famille; on vous dira que l’on a pour vous un chalit tout neuf. Chalit ou Chalitz, vieux mot français dont ne parlent guère les dictionnaires et qui dérive du latin-capsa, châsse boîte, et : lectus : lit : châsse dans laquelle on couche. Maintenant nous disons un bois de lit-Est-ce aussi court et aussi logique ? Si le chalit ne vous tente point, on vous fera l’éloge de la couette ou des couettes. Ce mot, du grec : koitê : et usité jadis, vent dire matelas remplis de plume sur lesquels on repose. Fréquemment le mot : clayon : é-maille le discours de nos gens. En France, c’est le mot—hêche—qui le remplace dans les campagnes. Héche est de source allemande—haag— qui se prononce presque— haïche. Clayon vient do grec—kleiô—je ferme, et définissait un treillis sur lequel on égouttait, le fromage ou qui retenait les terres en glacis pour qu’elles ne s’éboulassent pas Ainsi que hèche, clayon est devenu per extension, portail, barrière à un seul battant. Parmi les mots vieillis, l’un de ceux qui déroute le plus c’est le nom de—cahuet — cagouet, ou cahouet appliqué à la tête et au crâne. Au temps jadis le cahuet était la partie de l’aumusse des chanoines qui couvrait le derrière de la tête. Peut-être le peuple prit-il le contenant pour le contenu et ainsi s’expliquerait le terme pittoresque des Acadiens qui désigne la tête. Je citerai encore deux mots avant de clore cette promenade dans la poudre des âges. Le mot—cobir—a-t-il jamais été français ? Si vous écrasez votre chapeau, si vous aplatissez un ballon, si vous déformez un objet, les Acadiens diront que vous l’avez—cobi. J’ai remué toutes les étymologies, j’ai feuilleté toutes les nomenclatures; enfin j’ai déniché ce mot dans le lexique que j’ai mentionné plus haut, qui le donne comme vieilli déjà à l’époque de Louis XIII (1610-1643). Même je verrais sa racine dans le verbe latin coibere ou cohibere, resserrer, dans son acception la plus relâchée. Enfin,—éloises—que l’on prend au lieu de—éclairs, en Acadien,a été du meilleur ton à l’époque de nos bisaïeules. Je l’ai arraché tel quel ainsi que cobir du sein de mon antique bouquin. Un chercheur lui donne pour père le verbe—elucere—Cette origine est patente; mais l’abbé Casgrain qui rapporte cette expression ne savait peut-être point qu’il était en présence d’un nom authentique, noble et vieux comme l’aristocratie des croisades perdue parmi les fils de la vieille France, en Acadie. Pour peu que j’aie du temps, je continuerai cette étude de patience. Parmi les lecteurs de l’EVANGÉLINE il y a sans doute des hommes qui s’intéressent à ces trouvailles. Du reste, je possède une liste de mots à élucider qui fournirait matière à une brochure de quatre-vingts pages. Mais ces travaux sont trop secs pour plaire au grand nombre. Je me contenterai donc de notes et de faits. Toutefois, je serais heureux d’augmenter mon écrin de nouvelles perles et d’enregistrer les vieilles expressions que l’on me signalerait. Pour aujourd’hui, arrêtons—nous à —Tect— —Bré— — Embreuer— —Chalit— —Couette— —Clayon— —Cahuet— —Cobir— —Éloise— PROF. J. LANOB.